Réalisé par Patrice Chéreau
Avec
Isabelle Adjani, Daniel Auteuil et Jean-Hugues Anglade
Édité par Pathé
1572. La guerre de religion entre catholiques et protestants fait rage. Afin de réconcilier les Français, Catherine de Médicis décide de marier sa fille, la catholique Marguerite de Valois, la « reine Margot », avec le protestant Henri de Navarre, le futur roi Henri IV. Au cours de la nuit de la Saint-Barthélémy, alors que le sang coule à flot dans les rues de Paris, la « reine Margot » sauve du massacre le seigneur de la Môle. Entre Margot la catholique et le protestant la Môle naît une passion qui fera basculer leurs destins.
A la base, Patrice Chéreau souhaitait réaliser une nouvelle version des Trois Mousquetaires, mais un projet déjà bien entamé (mais jamais terminé) par Jean Becker l’empêche d’aller au bout de son projet. C’est sur les conseils de Claude Berri que Chéreau se tourne vers un autre roman de Dumas père, La Reine Margot. Berri assure la production et confie au réalisateur un budget conséquent pour l’époque de 120 millions de francs. Après une longue et minutieuse préparation, 9 versions du scénario, le choix du casting, 4 mois de tournage, le Grand prix du jury au Festival de Cannes en 1994 et le Prix d’interprétation pour Virna Lisi, le film n’engrange « que » 1 979 412 entrées.
Un peu plus tard, cinq Césars viendront couronner la reine de Chéreau qui reste encore aujourd’hui controversée : meilleure actrice pour Isabelle Adjani, meilleur acteur dans un second rôle pour Jean-Hugues Anglade, meilleure actrice dans un second rôle pour Virna Lisi, meilleure photographie pour Philippe Rousselot et les meilleurs costumes pour Moidele Bickel.
Patrice Chéreau parvient à s’approprier le roman de Dumas. Il mène son immense troupe de comédiens de la même façon qu’une troupe de théâtre où la foule d’acteurs gravite autour de la flamboyante Isabelle Adjani. Si les seconds rôles demeurent exemplaires, le film a été conçu en pensant à l’actrice principale. Elle devient le coeur de l’histoire, celle vers qui les yeux se tournent même quand l’action ne se focalise pas sur elle. Si le film a été sujet à de nombreuses controverses lors de sa sortie en 1994, sa beauté plastique n’a jamais été démentie. Ce qui explique que La Reine Margot n’a pas été le succès populaire attendu (surtout par son producteur), c’est sa durée (près de 2h30) mais surtout sa violence crue et viscérale. Une violence des sentiments, des mots et bien sûr physique.
Chéreau ne tombe jamais dans l’académisme habitué des spectateurs. Il filme de manière réaliste les événements de la Saint-Barthélémy, stylise la violence en montrant le sang qui coule à flot et inondant les trottoirs de Paris. Les personnages lui importent plus que le reste et les décors sont souvent réduits au minimum. Aucun personnage n’est affublé d’un chapeau, Chéreau met en évidence ses acteurs devant un décor uni à la manière des représentations picturales de l’époque, un fond vert ou gris. Pas étonnant que les spectateurs détracteurs y aient vu une supercherie pseudo-intellectuelle.
La théâtralité de Chéreau peut rebuter le spectateur encore aujourd’hui. Il est nécessaire pour apprécier le film à sa juste valeur, d’aller de l’avant et de laisser ses préjugés de côté. L’épure des décors ne vient jamais fléchir l’intérêt que l’on porte à La Reine Margot. Les moyens techniques ahurissants se voient à l’écran, les décors de Richard Peduzzi et les costumes de Moidele Bickel sont sublimes, la musique de Goran Bregovic envoûtante et digne d’un opéra funèbre.
Les yeux extraordinaires d’Isabelle Adjani contrastent avec le rouge omniprésent du sang et des costumes. L’actrice est entourée de comédiens non moins sensationnels en particulier Jean-Hugues Anglade dont la longue scène d’agonie demeure une de ses plus remarquables incarnations. Virna Lisi campe une Catherine de Médicis transfigurée, véritable monstre d’une abyssale noirceur. Pascal Greggory, Dominique Blanc, Asia Argento, Daniel Auteuil, Vincent Pérez, tous sont exceptionnels.
De nos jours, le drame historique, cruel et violent de Patrice Chéreau s’apprécie peut-être même encore plus qu’à l’époque. Le cinéaste avait pris quelque temps d’avance sur sa réalisation par son parti pris de réaliser un film à caractère historique de manière contemporaine. Même dans le cinéma, la France déteste la rupture… sauf si on l’annonce tranquille. Chéreau théâtralise le royaume de France de la fin du XVI sans en rajouter, signe une oeuvre puissante et majestueuse et offre un rôle en or à son actrice principale et participe à sa légende.
La Reine Margot fait une cure de jouvence, et arrive pour la première fois en Blu-ray dans une copie intégralement restaurée à partir d’un master 4K. Le test a réalisé sur check-disc. L’édition disponible dans le commerce se présente en digibook, qui contient le Blu-ray du film, un DVD de bonus et un livret de 48 pages. Les menus principaux sont très beaux, animés et musicaux.
Sur la première galette (Blu-ray), le cinéphile retrouvera la bande-annonce d’époque, tandis que l’ensemble des suppléments sont à découvrir sur un deuxième disque (DVD) :
Cette nouvelle édition s’illustre par la présence d’un nouveau documentaire sur le film de Patrice Chéreau : Un film et son époque : Il était une fois… La Reine Margot (53’). Réalisé en 2013, ce module se compose de nombreuses et nouvelles interviews des comédiens du film, de Danièle Thompson et de Patrice Chéreau, de l’historien et critique de cinéma Antoine de Baecque, du compositeur Goran Bregovic, du monteur François Gedigier, mais aussi d’images de tournage, d’archives télévisuelles, de planches de storyboards, de la pièce de théâtre Le Massacre de Paris de Christopher Marlowe et mise en scène par Patrice Chéreau en 1972. Chaque intervenant aborde la genèse de La Reine Margot, la Grande Histoire, la production, les personnages et la sortie du film. Parallèlement, les anecdotes de tournage s’enchaînent sur un rythme soutenu.
Nous retrouvons ensuite l’entièreté de l’interactivité de l’édition DVD 2007.
Entretiens avec Danièle Thompson et Patrice Chéreau
(48’) :
Attention, entretien passionnant ! Ne passez pas à côté de
cette incontournable interview des deux scénaristes du film.
Visiblement très complices, les deux collaborateurs reviennent
sur La Reine Margot, 14 ans après sa réalisation. Pour
Thompson, le film était un long et passionnant défi dont elle
garde toujours un merveilleux souvenir. Quant à Chéreau, très
critique envers son travail, il avoue avoir encore l’entière
fabrication du film dans sa tête et qu’il est très difficile
pour lui de donner un jugement. Effectivement, le cinéaste se
souvient de tout, de chaque jour de tournage, des incidents,
des hauts et des bas survenus. C’est pourquoi on regrette
l’absence d’un commentaire audio qui aurait été, on en est
certain, très riche.
Thompson et Chéreau analysent ensuite le lourd et difficile travail d’adaptation. Il était évident pour les scénaristes de tailler leur propre narration à l’intérieur du roman touffu de Dumas, de fusionner deux personnages en un seul et de se reposer sur quelques travaux historiques en plus du roman de base.
Dans une autre partie, les deux scénaristes se remémorent le casse-tête lié au casting. Si Isabelle Adjani a toujours été envisagée, Chéreau rêvait d’avoir Monica Vitti pour le rôle de Catherine de Médicis, coproduction italienne oblige. Ayant essayé mille fois de convaincre l’actrice, Chéreau essuie un échec. Vitti refusait de se faire teindre les cheveux en noir et de les avoir tirés en arrière. Le rôle l’intéressait, mais la comédienne a persuadé Chéreau qu’elle ne pourrait physiquement s’approprier le personnage. Carlo Ponti refuse que Sophia Loren (approchée par Chéreau) soit réduite au second rôle. Claudia Cardinale est envisagée par le cinéaste, mais jugée trop « gentille » pour le personnage. Bien que peu convaincu par son travail, mais grâce à l’influence de quelques collaborateurs italiens, Chéreau rencontre Virna Lisi, actrice qui adore être transformée et enlaidie. C’est l’entente immédiate et la comédienne interprétera finalement Catherine de Médicis. Quant à la distribution masculine, le casse-tête est encore plus complexe. Bien que Daniel Auteuil ait été envisagé très tôt pour le rôle de Navarre, Patrick Bruel est imposé par Berri pour interpréter La Môle. Mais Bruel souhaite jouer Henri de Navarre. Chéreau lui propose alors le rôle de Charles IX, mais l’acteur refuse. Le réalisateur portera son dévolu sur Jean-Hugues Anglade.
Dans la dernière partie de ce passionnant entretien, Chéreau et Thompson passent en revue l’esthétique du film, les repérages (de 1989 à 1992), les costumes, les choix de la mise en scène, les décors.
En ce qui concerne le montage, deux équipes travaillent simultanément dès la fin octobre 1993 pour que le film puisse être présenté au Festival de Cannes l’année suivante. Chéreau se retrouve devant un film long et les coupes sont nécessaires. Parallèlement, France 2 commande au cinéaste une version de trois heures destinée à la télévision qui sera diffusée au mois de septembre 1994. Pour la version sortie dans les salles (onze minutes de moins que le montage cannois), Chéreau coupe quelques scènes mais en rallonge d’autres. Selon Chéreau, la version plus courte est un peu trop radicale. « La version longue, celle de Cannes, malgré quelques signes de faiblesse ou de fatigue, est celle que je préfère ».
Galerie photos :
De superbes galeries divisées en cinq catégories : le
tournage, dont les photographies sont signées Luc Roux (4’),
les coulisses par Luc Roux (2’), un album impressionnant de
polaroïds par la scripte Suzanne Durrenberger (4’), les
dessins préparatoires et les costumes par Moldel Bickel (4’),
les décors et accessoires (1’).
Essais costumes - Archives 1993 (6’) :
Issues d’une VHS, les images sont d’honnêtes factures. Virna
Lisi se fait aider d’un interprète pour parler avec Pascal
Chéreau, derrière sa caméra. Les autres comédiens du film
passent ensuite devant la caméra.
Comparatif film/storyboard (par Maxime Rebière)
:
Focus sur deux scènes, celles du mariage (5’) et de la chasse
(7’).
Scènes coupées (10’) :
Dommage que ces sept scènes coupées ne soient pas commentées.
De plus, certaines scènes supprimées abordées dans l’entretien
manquent à l’appel :
a) La Môle chez Coligny
Au moment de prendre la fuite, La Môle demande à Coligny de
venir avec lui pour échapper au massacre. Coligny refuse, les
catholiques arrivent et La Môle s’enfuit par les toits.
b) Le charnier
La scène est plus longue et comporte des gros plans
supplémentaires sur les corps dispersés avant d’être jetés
dans le charnier.
c) Le réveil de Coconnas
Suite de la scène précédente où La Môle, après son réveil fait
le souhait de revoir Margot et de la délivrer d’Henri de
Navarre.
d) Le livre de chasse
Catherine de Médicis trouve le livre de chasse que La Môle
avait revendu.
e) Henriette et Coconnas
La scène apprenait plus rapidement aux spectateurs la liaison
entre Henriette et Coconnas, surpris par La Môle alors qu’ils
se disputent dans la chambre. Dans le film, La Môle arrive au
moment où Coconnas est assis sur le sol en train de boire. On
apprend la liaison que dans la scène suivante.
f) Le Duel La Môle-Maurevel
Scène plus longue que celle du film.
g) Le Retour du roi d’Espagne
Catherine de Médicis apprend que le roi d’Espagne vient de
passer la frontière. Elle ordonne à un cavalier d’aller à sa
rencontre pour le presser.
Un livret de 48 pages, qui revient notamment sur le contexte historique et la genèse du film, accompagne également cette édition.
A l’occasion de son vingtième anniversaire, La Reine Margot s’offre à nous en Haute Définition dans une nouvelle et superbe copie entièrement restaurée en 2013 par Pathé et les laboratoires Eclair Group à partir du négatif original 35mm.
Cette version restaurée 4K renforce les contrastes, la densité des noirs, la finesse et le modelé de la photographie de Philippe Rousselot, l’éditeur ayant pour une fois choisi le codec AVC qui consolide l’ensemble avec brio, plus que son habituel VC-1. L’image est stable, entièrement débarrassée de scories diverses et variées, les couleurs sont ardentes, vives et chatoyantes, certains décors brillent de mille feux, les détails sont légion aux quatre coins du cadre. Les scènes en extérieur affichent une luminosité inédite, tout comme un relief inattendu, un piqué pointu, un grain flatteur et des contrastes divins. Tous les défauts constatés sur l’édition DVD en 2007 ont été éradiqués, à l’instar des pompages, petites tâches, du bruit vidéo dans les arrière-plans, ainsi que les instabilités de l’étalonnage.
Revoir La Reine Margot dans ces conditions techniques est subjuguant, d’autant plus que cette nouvelle version, supervisée par le réalisateur et par son monteur François Gedigier, a été enrichie par quelques modifications de montage, souhaitées par Patrice Chéreau lui-même (avant sa disparition), toujours insatisfait de son travail. Nous n’hésitons pas à donner la note maximale à cette édition HD, car il serait vraiment difficile de faire mieux.
Ce nouveau mixage DTS-HD Master Audio 5.1, frôle la perfection. En effet, à part quelques sensibles saturations dans les aigus, la magnifique partition de Goran Bregovic trouve ici un coffre inédit, un nouvel écrin acoustique dynamique et même percutant, jamais entaché par un souffle quelconque. Ce mixage éclatant combine la musique et les dialogues avec une fluidité et une ampleur quasi-exemplaires, à mille lieues de l’ancien mixage Dolby Digital 5.1 artificiel. Les latérales soutiennent solidement l’ensemble et instaurent un vrai confort phonique. La DTS-HD Master Audio Stéréo s’en tire également avec tous les honneurs et contentera ceux qui ne seraient pas équipés sur la scène arrière.
Les sous-titres anglais et français pour sourds et malentendants sont également disponibles, ainsi qu’une piste en Audiovision. La restauration a été réalisée par L.E. Diapason.
Crédits images : © Luc Roux, Pathé