Les Maîtresses de Dracula (1960) : le test complet du Blu-ray

The Brides of Dracula

Édition Collector Blu-ray + DVD

Réalisé par Terence Fisher
Avec Peter Cushing, Martita Hunt et Yvonne Monlaur

Édité par Elephant Films

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Le 12/02/2018
Critique

Les Maîtresses de Dracula

Transylvanie, à la fin du XIXe siècle : le comte Dracula est mort mais ses disciples poursuivent ses rites sataniques afin d’étendre son culte. La jeune enseignante française Marianne, en route pour rejoindre sa nouvelle affectation à l’Académie Lang, doit faire halte pour la nuit dans une auberge isolée. Elle y fait la connaissance de l’élégante baronne Meinster qui lui propose l’hospitalité de son château jusqu’au lendemain. Marianne accepte puis découvre que la baronne a un fils qui est attaché à un mur par une lourde chaîne en or…

Les Maîtresses de Dracula (The Brides of Dracula) (GB 1960) de Terence Fisher est le plus original des trois films que Fisher consacra au vampirisme.

Son scénario écrit par Jimmy Sangster, Peter Bryan et Edward Percy ne doit pratiquement rien au roman de Bram Stoker alors que Le Cauchemar de Dracula (Dracula / Horror of Dracula) (1958) en était largement inspiré et que Dracula, prince des ténèbres (Dracula Prince of Darkness (1965) lui empruntera le personnage de Renfield. Dracula est mort : on nous le confirme dès le début, en voix-off. Mais le récit - démentiel tel que la géniale actrice Freda Jackson le narre à Yvonne Monlaur - de la jeunesse du baron Meinster établit bientôt le lien qui exista entre Meinster et un de ses disciples. Ce scénario multiplie les scènes-choc, atteignant des sommets inédits : les métaphores incestueuses, lesbiennes, homosexuelles, sado-masochistes envahissent symboliquement l’écran et leur puissance demeure, encore aujourd’hui, sans égale. il se révèle constamment d’une intelligence rare. Raison pour laquelle ses capacités de suggestion demeurent aussi impressionnantes que ce qu’il montre. L’ouverture du film décrivant une organisation criminelle qui amène (au moyen de la ruse et de la terreur imposée par une emprise maléfique immémoriale) Marianne à accepter l’invitation de la Baronne, maintient ainsi exactement la balance, d’une précision et d’une rigueur toutes deux intangibles, entre le dit et le non-dit, d’autant plus terrifiante.

L’interprétation est exceptionnellement riche et novatrice. David Peel compose un vampire (paradoxalement unique, comme toujours) ne le cédant en rien à Christopher Lee. Il faut rendre définitivement justice à Peel. L’actrice française Yvonne Monlaur tient le rôle de sa vie, celui qui perpétue sa mémoire : c’est à cause de ce rôle qu’elle est désormais l’une des trois grandes « Yvonne » du cinéma fantastique anglais : Yvonne Furneaux, Yvonne Monlaur, Yvonne Romain. Freda Jackson est l’un des seconds rôles féminins les plus inquiétants jamais vus dans un Hammer film tandis que Martita Hunt, extraordinaire, n’a pas vraiment d’équivalent et que Marie Devereux incarne une des femmes-vampires muettes les plus érotiques et les plus agressives du cinéma parlant.

La mise en scène de Terence Fisher rend un hommage appuyé à l’expressionnisme allemand dès l’ouverture (Yvonne Monlaur prise de panique à cause de la course folle du cocher) et le dialogue même rend un hommage explicite mais ambivalent à Fritz Lang. « l’Académie Lang » où doit enseigner Marianne est une école favorablement connue de la Baronne, mais il s’avère que son directeur est un imbécile. Faut-il y voir une métaphore filée jusqu’au bout ? Pas nécessairement : donner à une école le nom de Lang suffit à constituer un clin d’oeil esthétique intéressant. L’expressionnisme de Fisher est d’une vigueur et d’une violence supérieures à celui de Lang. C’est qu’ici tout y conspire, et tout se tient magiquement. Musique et photographie créent un cauchemar plastiquement tangible : la peur et la folie y guettent les âmes sensibles. Un simple exemple : ce plan du baron Meinster sur le balcon, titubant au bord du vide, vu en plongée par Marianne, est repris quelques instants après… mais Meinster est absent : son absence suggère cruellement l’illusion alors sa présence témoignait de la folie objective de la créature qu’il est devenue, du chaos insoutenable dont il est issu et qu’il sert désormais. Une telle ambivalence - revendiquée, soulignée, abyssale - est typique du contenu manifeste de tout le film. L’espace imparti nous interdit de développer plus avant une analyse minutieuse, plan par plan, séquence par séquence, du restant : elle mériterait d’être écrite.

Peut-être Les Maîtresses de Dracula est-il, tout compte fait, non seulement un des chefs-d’oeuvre mais encore le chef-d’oeuvre de Fisher, ce qui en ferait automatiquement le plus beau film fantastique de l’histoire du cinéma ? Nous sommes assez souvent tentés de répondre par l’affirmative. Reconnu à sa sortie par une élite critique puis un peu oublié à mesure qu’il devenait chimiquement puis magnétiquement invisible, sa résurrection numérique permet à tout le moins de constater la permanence de son impact.

Les Maîtresses de Dracula

Présentation - 4,0 / 5

Edition spéciale « combo » Blu-ray + DVD édités le 5 décembre 2017 par Elephant film. Durée du film sur Blu-ray 85 minutes environ, sur DVD 82 minutes environ. Image Blu-ray region free au format 2.0 compatible 16/9 en Full HD 1920x1080p. Son DTS HD Dual Mono 2.0 (sur Blu-ray) et Dolby Digital 2.0 (sur DVD) en VOSTF et VF d’époque. Suppléments : livret collector 20 pages, « la petite boutique des horreurs de la Hammer » (10 min. environ), « Souvenirs d’une maîtresse de Dracula : entretien avec Yvonne Monlaur » (12 min. environ), « Erotisme et sadisme chez Terence Fisher : un texte de Michel Caen lu par Yvonne Monlaur », présentation du film par Nicholas Stanzick (25 min. environ), jaquette réversible (affiche contemporaine par le graphiste Melchior Ascaride / affiche d’époque), bandes-annonces, galerie d’images. Mention erronnée du format 1.78 au verso de la jaquette.

Le livret illustré de 20 pages, signé Nicolas Stanzick, est une introduction à la Hammer films, sa genèse, son histoire, sa réception en France. On sait que ce dernier point, pas seulement sociologique mais aussi historique et esthétique, était l’objet principal du livre de Nicolas Stanzick, Dans les griffes de la Hammer, éditions BDL (revue, corrigée et augmentée), Paris 2010. Il n’est évidemment pas oublié ici et le chapitre sur la naissance de la revue Midi-Minuit Fantastique est; sans surprise, l’un des meilleurs du livret. Je signale que Nicolas est le maître d’oeuvre d’une nouvelle édition, revue et augmentée, de cette célèbre revue dont les tomes reliés I et II sont déjà sortis chez l’éditeur Rouge profond, dont le tome III devrait sortir cette année 2018. Voici quelques observations concernant certains points intéressants, dans l’ordre de leur apparition :

Le cinéma fantastique muet (notamment celui de l’expressionnisme allemand de 1915-1930) puis le cinéma fantastique parlant américain, donc celui de la Universal historique de 1931-1945 et celui des majors concurrentes qui lui emboîtèrent immédiatement le pas (notamment Warner, Paramount, MGM, RKO), avaient déjà produit sur le public de 1931-1945 l’effet sociologique que produisit la Hammer sur celui de 1955-1975. Penser que la Hammer a introduit un frisson nouveau me semble donc une erreur rétrospective, y compris concernant l’érotisme et l’aspect social. qui ne sont absents ni l’un ni l’autre de l’histoire du cinéma fantastique des origines à 1955.

Le terme « gothique » pour définir les films fantastiques de la Hammer films, est historiquement comme esthétiquement peu approprié en dépit de la mode actuelle, pour plusieurs raisons.

L’interprétation athée de La Revanche de Frankenstein (GB 1958) de Terence Fisher, a été soutenue par Jean-Pierre Bouyxou et je crois comprendre qu’elle est reprise par Nicolas mais elle fut vigoureusement refusée par son scénariste Jimmy Sangster au cours de leur entretien (publié in Bouyxou & Lethem, La Science-fiction au cinéma, éditions U.G.E., collection 10/18, Paris 1971).

Christopher Lee et Fisher ont soigneusement maintenu l’ambivalence humaine / inhumaine du personnage de Dracula, monstre rendu plus dangereux par sa beauté apparente mais néanmoins monstre. Aspect démoniaque (au sens à la fois théologique et kierkegaardien du terme) revendiqué par Lee dans son entretien avec Caen paru dans un Midi-Minuit Fantastique n°4-5 de janvier 1963. Lee le maintiendra dans ses interprétations suivantes, y compris dans les dernières grandes versions Hammer des années 1970 qu’il interprète, celles de Roy Ward Baker et de Peter Sasdy.

(PROGRAM(cauchemar_de_dracula)) (Dracula / Horror of Dracula) (GB 1958) de Terence Fisher n’est pas le premier film montrant les canines du vampire. Si ma mémoire est bonne, on les voyait déjà en 1943 chez Siodmak et en 1944 et 1945 chez Erle C. Kenton. On les voyait assurément dans El Vampiro ((PROGRAM(proies_du_vampire))) (Mex. 1957) de Fernando Mendez avec German Robles. En couleurs et sanglantes, en revanche, possible mais… à vérifier cependant ! L’histoire du cinéma réserve tant de surprises… et il reste encore tant de films fantastiques inédits en France au cinéma à découvrir : je pense par exemple au (PROGRAM(retour_du_vampire)) (USA 1943) de Lew Landers avec Bela Lugosi.

Concernant la réception politique de la Hammer films en France, une certaine ambivalence demeure: le public de gauche intellectuelle a certainement pensé ce que Nicolas écrit; le grand public apolitique n’a absolument pas pensé cela, quant au public de droite intellectuelle … je ne sais pas ! Je note, à ce sujet, que la revue Présence du cinéma (Michel Mourlet, Michel Marmin et les « mac-mahoniens ») défendait un cinéaste-bis (devenu d’ailleurs, non moins que Fisher, un cinéaste classique incontournable) tel que Vittorio Cottafavi alors que Jean Douchet crachait sur Fisher certaines des lignes les plus méprisantes jamais lues dans l’histoire critique française de ce cinéaste (lignes reproduites dans M.-M. F. n°1).

Le paragraphe sur l’année 1968 et ses paradoxes culturels et sociologiques est très bon.

Sur les vedettes féminines de la Hammer, analyse assez complète mais l’espace manquait évidemment pour cerner totalement la richesse du sujet et il est, de toute manière, préférable de réserver une telle analyse à une critique titre par titre.

Le chapitre sur les Hammer « para-victoriens » (donc sur ceux relevant des genres de la sciences-fiction, de la terreur psychologique, de l’aventure historique et préhistorique) compense, en dépit de son inévitable brièveté, un peu leur absence du livre de référence.

Michael Carreras était déjà aux commandes et déjà actif dès les années 60, bien avant le passage de pouvoir « officiel » de James à Michael. D’autre part, les contemporains rendent responsables Aïda Young plutôt que Carreras de l’accentuation de la violence et de l’érotisme graphique. Un point d’histoire de la Hammer à creuser un jour (peut-être déjà résolu par les livres consacrés à l’histoire du studio, notamment les livres anglais et leurs témoignages de première main ?) mais Michael en fut aussi responsable, de toute évidence.

Intéressant paragraphe synthétique sur l’évolution fishérienne de la conception du baron Frankenstein mais il me semble que le passage « de l’autre côté du miroir » est déjà effectué à la fin de La Revanche de Frankenstein.

Bons paragraphes sur les Hammers des années 1970 et sur la présentation de (PROGRAM(frankenstein_et_le_monstre_de_l_enfer)) (GB 1973) de Terence Fisher à la Convention française du cinéma fantastique, ce qui accentue la reconnaissance critique néanmoins encore marginale et pour longtemps, du genre. Sur le plan du grand public, en revanche, la Hammer n’est pas encore classique : elle demeure également marginale et pour aussi longtemps, notamment à la télévision (la télédiffusion du (PROGRAM(cauchemar_de_dracula)) en VF d’époque vers 1975 demeurant l’exception qui confirme la régle). Terence Fisher meurt en 1980 dans l’indifférence critique et médiatique la plus complète et la Hammer. Il faudra attendre presque trente ans pour que la Cinémathèque française lui rende hommage (2007).

Excellent chapitre sur les doubles-programmes mythologiques des cinémas parisiens Brady et Colorado et sur ma génération mais un bémol historique : au tournant des années 1980, la mort des cinémas de quartier est inexorablement enclenchée et de tels doubles-programmes disparaissent progressivement. Après 1985, le phénomène s’accentue.

Bonus - 4,0 / 5

4 suppléments vidéo complètent le livret : « la petite boutique des horreurs » (10 min.) est une brève introduction à l’histoire de la Hammer Films par Nicolas Stanzick, illustrée de documents de première main et la « présentation de Les Maîtresses de Dracula » (25 min environ) couvre bien sa genèse, sa production, sa réception française. Elle est bien informée et, en outre, très bien illustrée. Sur certains points de cette présentation, je renvoie à ce que j’ai écrit plus haut concernant le livret car certains éléments du livret se retrouvent dans cette présentation. S’y ajoutent 2 suppléments « spécial Yvonne Monlaur » filmés chez elle assez peu de temps avant sa mort en avril 2017 : elle lit un texte de Michel Caen sur érotisme et sadisme dans l’oeuvre de Fisher paru dans la revue Midi-Minuit Fantastique puis, surtout, raconte ses souvenirs de tournage de Les Maîtresses de Dracula durant environ 12 minutes.

La galerie images : plusieurs belles affiches et quelques photos de plateau. Mais malheureusement aucun jeu complet de photos d’exploitation. On aurait pu aussi songer au jeu splendide des 8 « lobby cards » couleurs anglaises et surtout américaines auxquelles Universal a évidemment accès puisqu’elle fut son distributeur américain. Sans parler des jeux français et allemands qui sont tout aussi magnifiques.

La section bandes-annonces (une dizaine proposées en VOSTF) est intéressante car on y trouve une BA de 1961 proposant le double-programme (en très mauvais état chimique et recadrée : des avertissements signalent que le master Elephant est évidemment d’une qualité bien supérieure) de La Nuit du loup-garou et de Le Spectre du chat. Notons que cette BA est intégralement N&B alors que le premier film est en couleurs. On y trouve également une belle bande-annonce au format HammerScope 2.35 N&B de Paranoïaque L’état chimique comme vidéo de l’ensemble varie du bon au médiocre, y compris concernant les cadrages des formats. Elle contient également une publicité filmée pour l’édition revue et augmentée de la mythique revue Midi-Minuit Fantastique.

L’ensemble est sympathique et très honorable mais on aurait pu lui ajouter le « making-of » (durée 30 min. environ) avec l’actrice Yvonne Monlaur, le scénariste Jimmy Sangster, le producteur Anthony Hinds, le directeur artistique Don Mingaye, etc. visible (en VO sans STF) sur le bluray anglais édité par Final Cut Entertainment.

Image - 5,0 / 5

Format 2.0 sur le bluray, correspondant au format de la version cinéma distribuée aux USA lors de sa première exploitation en 1960 alors qu’on l’avait vu en Europe au format 1.66. Est-ce que le DVD qu’on lui a joint dans cette édition combo maintient aussi ce format américain 2.0 ou bien est-ce qu’il reprend le format 1.66 des anciennes éditions DVD européennes et même américaines ? Impossible à dire car on ne me l’a pas adressé : j’ai juste reçu le bluray. Toujours est-il que l’écran large est, sur ce bluray, admirablement restitué, légèrement amplifié en largeur. Copie chimique magnifique, impeccablement restaurée et en très bon état, couleurs baroques, vives, admirablement soutenues. Contraste et luminosité supérieurs à toutes les vidéos numériques examinées auparavant. Ce bluray est dorénavant l’édition de référence en Full HD. La mention du format 1.78 au verso de la jaquette, est une erreur.

Son - 5,0 / 5

Offre complète pour le cinéphile francophone : DTS HD Dual Mono 2.0 pour la VO, la VOSTF ou la VF d’époque. Cette dernière n’était plus audible que sur une vieille édition VHS Secam ignoblement recadrée mais elle est bien supérieure à la médiocre VF refaite plus tard pour Canal + à l’occasion d’une télédiffusion des Maîtresses de Dracula au « cinéma de quartier » de Jean-Pierre Dionnet, sous prétexte qu’ils n’avaient pas retrouvé la VF d’époque. La preuve qu’on pouvait la retrouver puisque Elephant films nous la restitue ! On peut enfin ré-entendre à nouveau la voix (dorénavant d’outre-tombe puisqu’elle est morte le 18 avril 2017) française si érotique d’Yvonne Monlaur (sa voix ressemblait un peu à celle de Brigitte Bardot et à celle de Mylène Demongeot, si on veut des points de comparaison à la même époque) qui se doublait elle-même et le montage original de la musique y est bien respecté, ce qui n’était pas toujours le cas sur la VF refaite pour Dionnet. Magnifique musique paroxystique composée par Malcolm Williamson, supervisée par John Hollingsworth : elle vaut celle de James Bernard.

Crédits images : © Éléphant Films

Configuration de test
  • Téléviseur 16/9 Panasonic FullHD
  • Sony BDP-5350
  • Ampli Sony
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p
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francis moury
Le 5 mars 2019
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