Les Guerriers de l'enfer (1978) : le test complet du Blu-ray

Who'll Stop the Rain

Réalisé par Karel Reisz
Avec Nick Nolte, Tuesday Weld et Michael Moriarty

Édité par BQHL Éditions

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Le 23/05/2024
Critique

La contribution inspirée du cinéaste anglais Karel Reisz au cinéma de la guerre du Viêt-Nam, adaptée d’un roman de l’écrivain américain Robert Stone.

Les Guerriers de l'enfer

Viêt-Nam puis USA, 1971 : le correspondant de guerre John Converse, lassé par les atrocités dont il est le témoin quotidien, achète 2 kilos d’héroïne qu’il confie à son ami Ray, un US Marine dont l’engagement s’achève. Ray assure le transfert de la drogue par voie maritime jusqu’à San Francisco où il doit rencontrer Marge Converse, l’épouse de John. Un groupe d’agents corrompus du FBI tente de s’approprier la drogue et d’arrêter Marge et Ray qui résistent puis s’enfuient, d’abord à Los Angeles. Converse est séquestré et torturé par les agents qui le contraignent à collaborer à la recherche du couple. Ainsi débute une traque infernale qui se poursuit jusqu’en Arizona puis au Nouveau Mexique. Qui en sortira vivant ?

Guerriers de l’enfer / Les Guerriers de l’enfer (Who’ll Stop the Rain / Dog SoldiersUSA 1978) de Karel Reisz fut distribué en France sans article défini au début de son titre d’exploitation (ainsi qu’en témoigne son affiche française d’époque aux trois couleurs noire, blanche et rouge, à l’esthétique plus rude que l’affiche américaine), article défini ajouté par la suite en exploitation vidéo. Son titre original américain reprend celui d’une célèbre chanson américaine de 1970. Le roman de Robert Stone, édité en 1974 - l’action est censée se dérouler en 1971 alors que dans le film, la seule indication est celle d’une chanson sortie en novembre 1971- pendant la dernière année de la guerre du Viêt-Nam et primé en 1975 par le National Book Award (assez prestigieux prix littéraire) s’intitulaitDog Soldiers : ce second titre fut conservé pour l’exploitation cinématographique dans certain pays, notamment l’Angleterre mais les spectateurs américains ne l’avaient pas aimé lors des projections-tests. L’adaptation finale (écrite par Stone lui-même et Judith Rascoe) modifia certains aspects du livre (notamment le personnage de Ray) mais en conserva de nombreux dialogues. Le romancier aurait été, au dire du cinéaste, agréablement surpris par la qualité du résultat filmique montré en projection privée. Stone avait toutes les raisons d’être satisfait : la mise en scène était inspirée, le casting remarquable, la direction photo et la musique souvent très belles ; l’esprit de son livre était d’autant mieux préservé qu’il avait participé à l’adaptation.

Les Guerriers de l'enfer

La mise en scène de Reisz joue sur plusieurs registres esthétiques en fonction de l’évolution de l’histoire : les souvenirs de guerre - tournés au Mexique avec quelques figurants asiatiques locaux - correspondent aux canons esthétiques classiques du genre mais on y ajoute des effets esthétisants qui annoncent nettement ceux bientôt adoptés par Coppola et Cimino pour leurs célèbres titres distribués quelques mois plus tard et / ou l’année suivante : ralentis, plans filmés à la très longue focale, effets colorimétriques, montage très sophistiqué. La partie urbaine américaine (San Francisco puis Los Angeles) correspond à l’esthétique du film noir policier : intérieurs et extérieurs nocturnes inquiétants, brusques accès de violence enregistrés par une caméra impassible ou alors brusquement mobille. A mesure qu’on traverse l’Arizona puis que l’action se pose au Nouveau Mexique, l’esthétique du film de guerre reprend la main sur la matière filmique : le combat nocturne au fusil d’assaut et la marche de Ray le long de la voie ferrée sont des séquences qui scellent l’alliage des deux genres sur le plan formel. Le plan final et son effet de très longue focale semblent même faire écho aux premiers effets esthétiques de la séquence d’ouverture : comme si une boucle mi-onirique, mi-cauchemardesque était enfin bouclée. A plusieurs moments, l’espace et le temps sont parfois étrangement distendus, flirtant alors avec le fantastique (les plans des conséquences de l’attaque de l’avion Phantom, la fusillade nocturne dans la vallée abandonnée et ses effets lumineux stroboscopiques) au sein d’une syntaxe par ailleurs dotée d’une puissance classique d’une grande beauté (le retour de Ray sur le navire de guerre, ses dialogues avec Marge en intérieurs ou en extérieurs).

Les Guerriers de l'enfer

Le thème central manifeste du film semble être celui, éminemment dostoïevskien, de l’autodestruction mais le thème central latent est celui du combat (quasiment gnostique en raison de sa virulence incandescente) entre corruption et intégrité spirituelle. Une corruption à la fois charnelle (les blessures des soldats durant la première partie, celles des protagonistes principaux durant les suivantes) et morale, engendrée par le conflit (cf. la remarque de Charmian sur le colonel vîêtnamien, celle de Antheil sur la pièce de théâtre écrite par Converse, les critiques de Ray sur Eddie et ses clients), et à laquelle seuls les individus d’élite peuvent espérer échapper, par la révolte (Converse), l’évasion narcotique (Marge) ou même, contrairement aux apparences, par la guerre (Ray) à condition que cette dernière soit considérée comme une épreuve salvatrice (pour l’âme) même si elle s’avère mortelle (pour le corps). Un thème historique annexe, ouvertement posé par la troisième partie, est celui de la faillite de l’aventure hippie : la vallée investie par les Hippies en 1965 est devenue dix ans plus tard (en 1974 dans le roman, une quinzaine d’années plus tard en 1978 dans le film) une vallée fantôme abandonnée par son fondateur et que seul Ray est désormais capable d’animer au sens spirituel (cet ultime refuge ressemble à un monastère orthodoxe grec, perché au milieu des montagnes) comme au sens matériel (il y a travaillé autrefois comme technicien du son et des lumières). De théâtre d’une vie parallèle échappant aux instances sociales, elle devient le champ clos d’une lutte à mort pour l’argent de la drogue, une arène aux antipodes dialectiques de sa destination initiale. De cette transmutation des valeurs par l’histoire contemporaine, une autre indication philosophique est fournie par le scénario : la lecture de Nietzsche par Ray, autrefois conseillé par l’intellectuel Converse. Lorsque la collectivité s’avère faillible, que l’État abandonne l’individu à l’absurde et au mal, ce dernier est tenu de se sauver par lui-même, au prix d’une métamorphose et d’un risque ontologique : la figure de Ray, surhomme capable de combattre mais aussi de se sacrifier par amitié (la pure vertu antique grecque et romaine exaltée par l’unité militaire qui l’a formé) devient finalement - au strict sens du terme chez un Mircea Eliade ou un Roger Caillois - mythique. Son enterrement par Converse est rituel ; or le rite est le complément nécessaire du mythe, son signe symbolique d’accomplissement. Du hippie au surhomme, le trajet est à la fois réactionnaire au premier degré, rénovateur et novateur tour court au second degré, surtout dans le contexte de l’époque. De ce point de vue, le recours au mythe par le scénario annonce celui de John Milius pour le scénario du Apocalypse Now (USA 1979) de Francis Ford Coppola.

Guerriers de l’enfer fut un échec commercial et sa sélection au Festival de Cannes 1978 ne lui apporta aucune récompense. Il importe de réparer cet aveuglement et cette injustice (*) car c’est l’un des grands films américains de Reisz (qui avait été un des espoirs du jeune cinéma anglais réaliste des années 1960) et l’un des grands titres du cinéma de la violence des années 1970-1980. On a souvent parlé, en France, de politique des auteurs Guerriers de l’enfer est un film d’auteur mais aussi un film de genre et d’exploitation à la fois, avec le même panache. Cet alliage constitue non pas sa faiblesse mais, tout au contraire, son insigne puissance y compris dans la filmographie très inégale de son réalisateur.

(*) D’autant plus injuste que Reisz, au détour d’un plan nocturne durant l’une des séquences d’ouverture au Viêt-Nam, rendait peut-être explicitement (en filmant ce nom, signifiant « la paix », écrit sur un mur) hommage au Hoa-Binh (Fr. 1969) de Raoul Coutard qui avait reçu le Prix du meilleur premier film français au Festival de Cannes de 1970 et une nomination aux Oscars du meilleur film étranger.

Les Guerriers de l'enfer

Présentation - 3,5 / 5

Edition spéciale BQHL sous étui de 1 BRD 50 Full HD 1080p région B + 1 livret illustré 32 pages, le 28 septembre 2022. Image couleurs au format 1.85 original, compatible 16/9. Son Linear PCM 2.0 Stéréo VOSTF + VF d’époque. Durée du film : 125 min. Suppléments vidéo : présentation par Rafik Djoumi + bande-annonce. Le visuel du boîtier et de l’étui reproduit celui des affiches originales américaines : bon point.

Livret illustré de Marc Toullec (32 pages, N&B + couleurs) : il contient de précieuses et utiles citations de première main du réalisateur, de l’acteur principal, de la co-scénariste ; il couvre la genèse, la production, le tournage, les techniques dramaturgique (de Nick Nolte et de Tuesday Weld), la réception critique et commerciale. Hélène Merrick est remerciée à la dernière page. Les photos d’exploitation sont reproduites mais détourées et en assez petite taille (deux par pages, pages déjà petites en raison du format du boîtier) : on y trouve les deux plus belles, celle du haut de la page 4 et celle du bas de la page 12. Celle du bas de la page 20 montre une image d’une séquence supprimée au montage final mais conservée par la publicité du distributeur. Quelques rares coquilles d’orthographe et de syntaxe, style parfois relâché, voire occasionnellement argotique mais pour le restant correct. La bibliographie cite soigneusement ses sources (anglo-saxonne et française) à la dernière page mais sans mentionner leur date de parution contre la règle élémentaire de la bibliographie : une constante très agaçante des livrets signés par Toullec. Quelques erreurs factuelles : page 8, le policier au physique mexicain qui aide le FBI n’est pas Dieter (son physique n’est d’ailleurs absolument pas celui d’un Allemand et son nom n’est jamais prononcé par le dialogue) et page 25, on parle de 3 kg d’héroïne alors qu’il n’y en a que 2 kg mentionnés au dialogue. Un problème matériel gênant sur notre exemplaire : les textes contenus dans les pages 10 à 17 (textes alternés avec des pages d’illustrations photographiques) sont intervertis : la suite de la page 10 se trouve ainsi page 14 ; la suite de la page 13 se trouve page 17 ; la suite de la page 14 se trouve page 13.

Les Guerriers de l'enfer

Bonus - 4,0 / 5

présentation par Rafik Djoumi (2022, 36 min.) : on parle d’un entretien mais on ne voit et on n’entend qu’un seul locuteur : cela s’appelle donc une présentation, pas un entretien. Peu importe, au demeurant, car elle comporte d’excellentes remarques sur l’esthétique de la mise en scène (la dynamique emmenant les personnages de l’étouffement à la libération à mesure que les décors s’épurent ou s’amenuisent autour d’eux), sur l’aspect hybride du film (son indécision générique entre film d’auteur et film d’exploitation). Elle comporte aussi certaines informations complémentaires de celles du livret concernant certains aspects de la production, du tournage, du casting, de l’exploitation. Quelques informations aussi sur le réalisateur et certains acteurs qui ne font pas double-emploi. La loi de ce genre de critique exigeant une sévérité incorruptible, il convient de noter quelques points négatifs : ni le livret ni la présentation n’accordent la place qu’il mérite à l’acteur Anthony Zerbe, ici à nouveau remarquable. La carrière et la personnalité de l’actrice Tuesday Weld sont bien trop rapidement traitées : l’actrice est pourtant aussi étonnante ici qu’elle l’avait été pour John Frankenheimer en 1970. Rafik Djoumi ne note pas, curieusement car il esti assez précis, l’absence de l’article défini au début du titre français. Enfin je peux l’assurer qu’à l’époque, aucun spectateur français n’a confondu le film de Reisz produit en 1978 avec celui de John Irvin produit en 1980 : les titres d’exploitation française étaient bien trop différents. Si confusion il y eut, elle fut éventuellement anglophone mais il y avait tout de même encore une sérieuse différence phonétique entre Dog Soldiers et The Dogs of War.

Bande-annonce (1978, 1.85 compatible 16 / 9, durée 2 min. 10 sec., VO sans STF) : image argentique bien nettoyée, couleurs rafraîchies, montage efficace.

L’ensemble livret + présentation fournit une bonne information et cette édition spéciale est, au totel, très honorable, en dépit de quelques problèmes matériels concernant le livret. Le cinéphile qui recherche des bonus vidéo de première main devra se tourner - si et seulement si il est anglophone - vers les suppléments de l’édition collector américaine Scorpio Releasing (2021) qui comporte des entretien avec le co-producteur Roger Spottiswoode, l’acteur Richard Masur, la co-scénariste Judith Rascoe, ainsi qu’un commentaire audio animé par deux historiens du cinéma.

Les Guerriers de l'enfer

Image - 4,0 / 5

Format 1.85 original respecté, en couleurs et compatible 16/9, Full HD 1080p AVC sur Blu-ray. Image argentique très bien restaurée (seul le dernier plan, filmé au téléobjectif à très longue distance, demeure légèrement instable mais cela a toujours été le cas, au cinéma argentique comme en vidéo magnétique puis numérique). Couleurs rafraîchies et bonne définition, noirs denses et bien définis : on peut enfin remiser les anciennes éditions DVD zone 1 NTSC (2001) et zone 2 PAL (2005) de MGM qui fourmillaient toutes les deux de griffure, de déchirures et de « brûlures de cigarettes ». Cette édition BQHL inscrit au début du film un logo des années 2020 de la MGM (qui rajoute une traduction anglaise à sa devise latine historique Ars Gratia Artis) mais présente juste ensuite le logo United Artists de 1978, bien préservé et restauré. On pourrait sans doute faire mieux au niveau de la densité de la texture numérique, de la saturation mais la direction photo de Richard H. Kline retrouve ici son niveau natif, le soin apporté au travail sur la lumière (scènes du navire militaire, de la plage avec Marge et Ray) et les dominantes (bleu, vert, ocre). Cette édition BQHL devient logiquement l’édition française de référence, en attendant une future édition UHD 4K. En attendant, ne lâchez pas la proie pour l’ombre et procurez-vous cette BQHL Full HD.

Les Guerriers de l'enfer

Son - 4,0 / 5

VF d’époque + VOSTF en Linear PCM 2.0 stéréo : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Il faut préférer la VOSTF pour deux raisons : ses sous-titres respectent mieux les dialogues américains originaux, cela dès le générique d’ouverture ; les voix originales des acteurs principaux sont très supérieures à leurs voix doublées. La VF est, en outre, moins dynamique que la VOSTF sur le plan des effets sonores. Le niveau sonore et le rapport musique-dialogues-effets sonores varient parfois assez sensiblement d’une séquence à l’autre, aussi bien en VOSTF qu’en VF mais l’ensemble a été nettoyé correctement. Partition musicale tantôt lointaine et impressionnante, tantôt mélancolique et angoissante, composée par Laurence Rosenthal.

Crédits images : © Katzka-Jaffe

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 24 mai 2024
La contribution inspirée du cinéaste anglais Karel Reisz au cinéma américain de la guerre du Viêt-Nam, adaptée par Robert Stone de son roman édité en 1974 et dont l'action se situait en 1971. Alliage de film d'auteur et de film de genre mais aussi alliage de plusieurs genres (film de guerre, film noir policier, film d'aventures, drame psychologique).

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