La Tombe de Ligeia (1964) : le test complet du Blu-ray

The Tomb of Ligeia

Master haute définition

Réalisé par Roger Corman
Avec Vincent Price, Elizabeth Shepherd et John Westbrook

Édité par Sidonis Calysta

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Le 18/03/2024
Critique

Variation ample et concertée du conte fantastique original pour ce chant du cygne de la « série Edgar Poe » de Corman.

La Tombe de Ligeia

Angleterre, XIXe siècle : assurément accablé par le décès de son épouse Ligeia, l’aristocrate Verden Fell tombe néanmoins amoureux de Lady Rowena Trevanion de Tremaine, la soeur de l’un de ses amis. Amour partagé : Rowena l’épouse et accepte de vivre dans l’abbaye isolée dont il a hérité mais qu’il laissait à l’abandon. Elle la métamorphose en une vivante demeure fréquentée par la haute société. Mais l’âme morte de Ligeia rôde encore, possédant chaque nuit davantage Fell et menaçant toujours davantage Rowena.

Sorti à Londres en novembre 1964, à Paris avec quatre ans de retard le 18 décembre 1968, La Tombe de Ligeia (USA-GB 1964) de Roger Corman constitue, avec Le Masque de la Mort Rouge tourné la même année, le chant du cygne de la série de ses adaptations d’Edgar Poe. Les films précédents avaient tous été réalisés de 1960 à 1963 aux États-Unis. C’est leur succès financier et artistique international qui enclencha ces deux ultimes coproductions avec l’Angleterre. Leur budget fut logiquement plus important que celui des films précédents. La Tombe de Ligeia bénéficia d’un des meilleurs directeurs de la photographie anglais (Arthur Grant, collaborateur régulier de la Hammer Film qui signe ici d’admirables extérieurs) et du soin apporté aux décors et aux extérieurs (davantage filmés que dans les titres antérieurs de la série) par Colin Southcott (cependant supervisé par le directeur artistique américain Daniel Haller) reconstituant le lyrisme morbide de la surcharge si cher à Poe.

La Tombe de Ligeia

Le scénario de Robert Towne prend pour point de départ la nouvelle Ligeia (paru aux USA en 1838, traduite par Charles Baudelaire en 1855) de Poe mais la modifie assez considérablement : le résultat demeure assez remarquable pour qui s’intéresse aux relations du cinéma et de la littérature. Le récit de Poe était un récit subjectif dans lequel le narrateur nous faisait part de ses souvenirs alors que le récit de Towne est au présent et objectif. La différence de point de vue est d’emblée considérable. L’origine peut-être allemande de Ligeia est passée sous silence dans le film mais le choix de la ravissante actrice Elizabeth Shepherd (qu’on reverra dans le fantastique Damien, la malédiction II) correspond bien à la description de Poe. Elizabeth Shepherd incarne un double rôle féminin, l’une brune, l’autre blonde comme le fera presque simultanément Barbara Steele dans Les Amants d’outre-tombe (Ital. 1965) de Mario Caiano. Le narrateur de Poe détestait Lady Rowena alors qu’ici ce n’est plus du tout le cas : le sadisme partiellement sous-jacent du récit de Poe est aboli par Towne. L’idée du dédoublement et de la possession objective, absente de la nouvelle de Poe, est en revanche introduite par Towne qui joue avec les symboles, les projections, l’onirisme cauchemardesque des films antérieurs de la série de Corman tout en leur insufflant un certain romantisme. Poe créait un étrange et maladif parallélisme, dépassé in-extremis par une terreur fantastique qui abolissait à jamais le déroulement du temps narratif et objectif: dans le scénario de Towne, il s’agit d’autre chose, d’une sorte de vampirisme psychique objectif plus spectaculaire, peut-être plus complexe en apparence mais aboutissant à la même terreur originelle, provoquant aussi la fin du discours, la mort après l’ultime révélation. La fin heureuse du film est une invention du scénariste : c’est d’ailleurs la seule fausse note du script de Towne qui n’en fut d’ailleurs peut-être pas entièrement responsable.

La Tombe de Ligeia

D’une manière générale, cette adaptation de Poe par Corman rencontra un succès critique en France : elle fut distribuée tardivement chez nous par la petite société indépendante Etoile distribution, récemment fondée et animée par l’équipe de la revue Midi-Minuit Fantastique . Sur l’aspect psychanalytique de La Tombe de Ligeia - aspect que Corman revendiquait alors - les textes français les plus féconds et les plus perspicaces nous semblent, encore aujourd’hui, demeurer ceux de Paul-Hervé Mathis qui lui consacre les dernières pages de son articleEdgar Poe à l’écran ou l’anti-folie au cinéma, inÉcran 77 n°64, pp. 26-29 et le §IV de celui de Lise Frenkel, Cinéma et psychanalyse, paru en deux parties, dans deux numéros successifs de la revueCinéma 71.

Sur le plan de l’histoire du cinéma, on peut reconnaître un extrait de la fin de La Tombe de Ligeia pendant une séquence du film noir policier Mean Streets (U.S.A. 1973) de Martin Scorsese qui le montre (en champ et contre-champ) visionné par des gangsters fascinés ( et en outre peut-être drogués), interprétés par Harvey Keitel et Robert de Niro. Lorsqu’ils ressortent de la salle, on a le temps d’apercevoir l’affiche du double-programme AIP (Corman était producteur associé de cette société de production-distribution) auquel ils viennent d’assister : La Tombe de Ligeia et L’Horrible cas du Dr. X (X The Man With X-Ray Eyes, USA 1963) de Roger Corman.

La Tombe de Ligeia

Présentation - 2,5 / 5

1 Blu-ray BD-50 région B, édité par Sidonis Calysta le 05 mars 2024. Durée film 82’. Images couleurs Full HD 1080p AVC au format original 2.35 respecté et compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono VOSTF + VF d’époque. Suppléments : Présentation par Bertrand Tavernier (2022, 34’39”) + Présentation par Olivier Père (2022, 23’03”) + « Souvenirs de Roger Corman par Joe Dante » (2022, 14’20”, VOST) + Bande-annonce (2’29”, VO). Belle illustration de jaquette reprenant le motif visuel principal des affiches d’époque.

Bonus - 2,5 / 5

Présentation par Olivier Père (2022, 23’03”) : elle reprend évidemment certains éléments déjà racontés par Corman mais elle replace très bien le titre dans l’histoire de la série et examine en détails ses aspects stylistiques les plus novateurs ; bien sûr, tout n’est pas novateur : une partie des décors, des idées, et même certains plans proviennent de la série antérieure. Intéressantes informations sur le directeur photo Arthur Grant et sur le scénariste Robert Town sans oublier Paul Mayersberg qui travailla aussi sur le titre. J’ajoute qu’il ne faut pas confondre le John Holmes dresseur du chat noir crédité au générique de fin avec le célèbre acteur des courts-métrages de la firme Color Climax Corporation.

Présentation par Bertrand Tavernier (2010, 35’ environ) : bonus repris de l’ancienne édition DVD Sidonis de 2010. Tavernier y parle assez bien du film vers le dernier quart d’heure mais tout le reste est consacré à la découverte de Corman en France (selon Tavernier, ce serait Robert Benayoun qui aurait découvert la série Poe à l’occasion d’un voyage aux États-Unis), à l’ensemble de la carrière de Corman comme producteur, réalisateur et distributeur. Le spécialiste n’apprendra rien mais le novice apprendra beaucoup de choses. Illustré du début à la fin par des affiches, des affichettes, des photos d’exploitation, des photos de plateau. On peut faire des pauses pour les contempler : le son disparaît mais ce n’est pas vraiment grave.

Souvenirs sur Roger Corman par Joe Dante (2010, 14’20”, VOSTF) : bonus repris de l’ancienne édition DVD Sidonis de 2010. Sympathique car, même si le jugement de Dante concernant le film tient en une phrase sans intérêt, c’est un témoin de première main : il a travaillé pour Corman et il raconte la manière dont il s’intégra à son organisation : bande-annonces puis réalisation. Détails que seul un ancien de « l’écurie Corman » pouvait nous révéler. Sympathique ensuite parce qu’on apprend certaines informations sur son film fantastique de 1979. Sympathique enfin parce que Dante est francophile : il se fait filmer devant une affiche française d’un classique fantastique (USA 1954) de Jack Arnold en arrière-plan. Plus sympathique, en somme, tu meurs !

Bande-annonce originale (2’29”, VO) : les couleurs et la définition sont bonnes même si la pellicule est un peu abîmée. Les slogans imprimés sur les images et le montage de ces dernières sont assez médiocres.

Sur ce dernier titre 1964 de la série, j’aurais volontiers échangé tous ces bonus contre les trois commentaires audio (un premier par le producteur-réalisateur Roger Corman, un second par l’actrice vedette Elizabeth Shepherd, un troisième par l’historien du cinéma Tim Lucas) que le cinéphile anglophone peut écouter (en VO sans STF) sur l’édition Blu-ray américaine Shout Factory de 2014. Les deux premiers commentaires audio constituent en effet des documents d’histoire du cinéma de première main. Leur valeur est donc bien supérieure à celle d’une présentation par un tiers, si informé soit-il. Sans parler de la galerie affiches et photos qu’il aurait fallu également reprendre.

La Tombe de Ligeia

Image - 5,0 / 5

Belle restauration argentique et numérique en Full HD 1080p AVC au format original 2.35 Panavision et Pathécolor compatible 16/9. Copie argentique en très bon état. C’est ici Arthur Grant - collaborateur régulier de la Hammer Film - qui signe la photographie (certains plans, filmés en contre-plongée, du plafond en feu qui s’écroule proviennent cependant très probablement du premier titre de la série, photographié en 1960 par Floyd Crosby). On l’a souvent noté mais il faut réécrire ici que c’est une des plus belles directions de la photographie que Grant ait signées, qu’il s’agisse des extérieurs (la chasse au renard poursuivi par de magnifiques chevaux pur-sangs) ou des intérieurs surchargés reconstitués en studio. Son raffinement est récurrent.

La Tombe de Ligeia

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 Mono VOSTF + VF d’époque : offre complète, nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Il faut préférer la VOSTF parce que sa dynamique est supérieure, à cause de la voix originale inimitable de Price et aussi pour la belle voix originale d’Elizabeth Shepherd, un peu plus grave que sa voix française (qui lui va cependant assez bien). Belle musique symphonique signée par le compositeur britannique Kenneth V. Jones qui signera également celle de films fantastiques anglais de Michael Reeves (1968) et James O’Connolly (1972).

Crédits images : © Alta Vista Film Production

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 19 mars 2024
Variation ample et concertée, écrite par Robert Towne, du conte fantastique original "Ligeia" pour ce chant du cygne de la « série Edgar Poe » produite et réalisée par Roger Corman.

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