La Guerre des gangs (1973) : le test complet du Blu-ray

Le premier film noir policier violent signé par Lenzi, en version intégrale restaurée.

La Guerre des gangs (Milano rovente,Ital. 1973) de Umberto Lenzi est son premier film noir policier violent (« poliziottesco ») mais il fut distribué durant la saison cinématographique 1980 avec sept ans de retard en France. Peut-être le centrage du scénario sur la prostitution et le proxénétisme y fut-il pour quelque chose ? Qu’un générique débutât par des plans de prostituées transsexuelles sexy officiant sur les trottoirs de Milan n’était sans doute pas anodin aux yeux de la censure française de 1973 mais l’était assurément davantage aux yeux de celle de 1979-1980. Notez d’ailleurs que le distributeur français de 1980, soucieux de ramener sa durée originale de 100 minutes à 90 minutes (afin de ne pas diminuer le nombre quotidien de séances), ne supprima pas le moindre plan lié à cet aspect mais orienta ses ciseaux sur ceux d’une enquête policière assez banale chez la première victime. Ironie de l’histoire du cinéma : le scénario de son homonyme La Guerre des gangs ( Luca il contrabandiere , Ital. 1980) de Lucio Fulci reprend l’autre grand aspect de ce Lenzi de 1973, à savoir l’idée qu’un gangster français (ici interprété d’une manière sobre par Philippe Leroy) veuille forcer l’écoulement de la drogue en Italie au prix d’une violence démesurée.

De 1973 à 1979, Lenzi donne au genre une dizaine de titres : ce premier essai de 1973 n’est pas le meilleur mais il est déjà assez ample, assez équilibré, assez traditionnel et riche de certaines virtualités sulfureuses que Lenzi développera par la suite d’une manière plus baroque et plus outrée encore. Les deux courants qui dynamisent son scénario (proxénétisme et trafic de drogue) sont traités d’une manière strictement fonctionnelle, sans ajout d’aucun discours parallèle manifeste ou latent. Cette pure objectivité est déjà une forme de subversion à une époque où le seul cinéma respecté par les critiques, était celui qui se vantait d’avoir un message latent suppléant le donné filmique manifeste. Les personnages semblent parfois caricaturaux mais qui sait ? Peut-être ne font-ils rien d’autre que révéler franchement un milieu au moyen d’une brutalité hyperréaliste : l’ironie tendre ou glacée et la violence (parfois surréaliste elle aussi tant elle est brutale) mises en scène pourraient faire croire à une stylisation forcée alors qu’elles lui sont simplement consubstantielles. Lenzi avait tourné entre 1960 et 1973 des films de tous les genres (guerre, péplum, aventures, western, espionnage, giallo oscillant entre érotisme et film noir) : La Guerre des gangs ouvre néanmoins une nouvelle période qui demeure aujourd’hui, avec le recul, sans doute la plus virulente et la plus remarquable de sa filmographie. C’est l’oscillation entre des scénarios presques néo-réalistes tant leur aspect dénonciateur est exacerbé (ici par exemple les souvenirs du proxénète sicilien joué par Antonio Sabato) et une mise en scène baroque stylisée qui la caractérise, sans oublier un légendaire sadisme, marque de fabrique de plus en plus constante de Lenzi. Ll’adjectif « rovere » qualifiant Milan dans le titre italien original annonçait clairement et franchement la couleur. Elle qualifie l’ensemble des films noirs policiers italiens tournés par Lenzi de 1973 à 1979. Ils mériteraient une réédition globale restaurée à la norme Full HD et un coffret : avis aux éditeurs.

Combo 1 Blu-ray BD50 multirégions ABC + 1 DVD9 + 1 livret d’Alain Petit édités par Eléphant films le 31 octobre 2023. Image format large TechniScope 2.35 et Technicolor compatible 16/9, 1920 x 1080p AVC (sur Blu-ray). Son VOSTF + VF en DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Durée cinéma du film 100 min. environ (sur Blu-ray). Belle illustration de jaquette et belle sérigraphie reprenant les codes graphiques du coffret Trilogie du milieu de Fernando Di Leo, chez le même éditeur. Deux affiches italiennes originales sont reproduites : une au verso de la jaquette réversible, une autre à l’intérieur du livret. Bonus : présentation par Yal Sadat + bande annonce originale + bandes annonces de la collection Les Années de plomb.

Livret Les Années de plomb volume 2, par Alain Petit : 25 pages illustrées, nourries d’informations précises sur les biographies, filmographies des cinéastes et acteurs principaux ayant contribué à trois films de la collection, dont celui-ci. Une belle affiche italienne originale alternative du titre de 1973 de Lenzi reproduite pleine page 18 (sauf erreur de décompte unitaire car les pages ne sont pas numérotées) : les autres illustrations sont très variables en taille et en qualité. La dernière page fournit les photos des éditions combo de 9 titres. Les novices seront initiés correctement à l’histoire du genre. Les connaisseurs pourront faire leur miel d’informations plus pointues telles que la distinction nécessaire entre Francesco et Franco Prosperi. L’expression qui donne son titre à la collection et au livret est historiquement une expression politique qui résumait les attaques terroristes des Brigades rouges communistes contre l’Etat italien, elle ne caractérisait absolument pas le milieu des gangsters.

Présentation par Yal Sadat (durée 25 min. environ) : ce critique des Cahiers du cinéma (et auteur d’un livre sur le cinéma policier des « vigilante » / justiciers) examine davantage d’une manière critique qu’historique (aspect couvert par le livret joint à l’édition) le film de Lenzi bien qu’il prenne soin de le replacer dans l’histoire générique de la série B italienne, en distinguant bien les deux grands courants du film noir italien que sont le « Giallo » et le « Poliziottesco ». Un peu trop de « voilà… » entendu au détour des phrases mais quelques bonnes remarques sur l’ironie, le sadisme, le goût géométrique des plans bien composés par Lenzi. Sur le scénario, peut-être un malentendu : je ne pense pas, comme Sadat, qu’il s’agisse ici pour Lenzi d’un jeu esthétisant avec les conventions du genre. Je pense qu’il s’agit au contraire d’un nouveau réalisme subvertissant ces conventions. Lenzi est certes un des grands cinéastes esthètes du cinéma-bis italien des années 1960-1980 (nous sommes bien d’accord concernant cet aspect plastique pur de son talent) mais il est aussi un de ses grands cinéastes réalistes, au moins concernant le film noir policier. Un simple exemple : le personnage du bossu criminel joué par Thomas Milian pour Lenzi en 1974 et 1976 appartient à l’histoire criminelle italienne et avait déjà donné lieu en 1960 à un film noir policier de Carlo Lizzani.

Bande-annonce originale: en Vitalienne mais ses derniers plans sont munis de titres français. Image bien restaurée, montage dynamique (mais me semble un peu court compte tenu des durées moyennes de l’époque, d’environ 3 minutes en général).

Bandes-annonces de la collection Les Années de plomb : certaines sont des montages récents opérés par l’éditeur, d’autres sont des bandes-annonces d’époque. Etat argentique et vidéo variable.

Honorable édition spéciale (très honorable si on y ajoute le livret examinée dans la section « Présentation ») mais pourquoi avoir fait l’impasse sur la galerie affiches et photos ? Le matériel italien original est pourtant disponible.

Format large original TechniScope 2.35 respecté, en Technicolor. Bonne copie argentique bien nettoyée, à la colorimétrie vive et rafraîchie. Transfert vidéo soigné : scènes nocturnes en extérieurs bien définies. Bon équilibre entre grain restitué et lissage. L’édition de référence, dorénavant, en Full HD.

VOSTF et VF d’époque en DTS-HD Master Audio mono 2.0 : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Pistes son bien nettoyées dans les deux cas. Dialogues nets et bien détachés. Sous-titrage soigné et bien lisible de la VO. La VF d’époque est inégale sur le plan dramaturgique : la voix française d’Antonio Sabato ne lui convient pas tout à fait. La post-synchronisation italienne d’époque respecte mieux les nuances d’accents, notamment celui du proxénète sicilien joué par Antonio Sabato, acteur lui-même sicilien. Musique signée Carlo Rustichelli mais pas une de ses meilleures partitions : elle est fonctionnelle sans plus.

Crédits images : © C.M.R. Cinematografica, Primex Italiana