La Malédiction d'Arkham (1963) : le test complet du Blu-ray

The Haunted Palace

Master haute définition

Réalisé par Roger Corman
Avec Vincent Price, Debra Paget et Lon Chaney Jr.

Édité par Sidonis Calysta

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Le 18/03/2024
Critique

Alliage impressionnant d’un poème de Poe et d’une histoire de Lovecraft, unifié par une mise en scène au sommet de son art.

La Malédiction d'Arkham

USA, village d’Arkham au XVIIe puis au XIXe siècle : le sorcier Joseph Curwen organise l’accouplement rituel de jeunes filles envoûtées avec une divinité monstrueuse. Pris sur le fait, il est brûlé vif par les habitants qu’il a maudits avant d’être supplicié. Cent ans plus tard, Charles Dexter Ward hérite du château de son ancêtre. Il s’y installe en compagnie de son épouse Ann Ward mais tous deux ne tardent pas à constater les terribles effets de la malédiction de Curwen.

La Malédiction d’Arkham (The Haunted Palace, USA 1963) de Roger Corman est le film le plus original de la série Edgar Allan Poe (son nom est crédité inexactement « Edgar Allen Poe » au générique d’ouverture) bien qu’il soit presque complètement inspiré par une nouvelle d’Howard Philips Lovecraft (1890-1937). C’est aussi le meilleur film de Corman comme cinéaste et le meilleur rôle de Vincent Price comme acteur. Cela fait déjà trois bonnes raisons de le voir. Et il y en a d’autres ! Prestige culturel de l’Europe : Lovecraft étant plus connu en France qu’aux U.S.A. en 1963 (*) c’est l’affiche française d’exploitation de la sortie parisienne (qui fut particulièrement tardive : le 03 juin 1970) qui mentionna à la fois les noms de Poe et de Lovecraft alors que l’affiche américaine originale ne mentionnait que Poe, négligeant Lovecraft ! Le générique d’ouverture, quant à lui, les mentionne tous les deux.

On sait que les producteurs-distributeurs qui dirigeaient la firme A.I.P. (American International Pictures) demandèrent à Corman d’inclure absolument un élément relié à Poe dans le film afin qu’il bénéficiât de l’effet de série, si profitable depuis La Chute de la Maison Usher (1960). Corman et son scénariste Charles Beaumont choisirent donc le poème The Haunted Palace, d’abord publié séparément puis repris la même année 1839 par Poe dans La Chute de la Maison Usher, où il était présenté comme une composition poétique de Roderick Usher lui-même. Ce choix est beau et porteur de sens par lui-même. Car de la série Edgar Poe antérieure, le film La Malédiction d’Arkham conserve la beauté plastique et la porte même à son degré d’achèvement non pas le plus spectaculaire mais le plus équilibré relativement au scénario illustré. De Lovecraft, le scénariste Charles Beaumont adapte très intelligemment, mais en la réduisant à un canevas très épuré et parfois modifié, une longue nouvelle ou un court roman : L’affaire Charles Dexter Ward (1928) (**). Deux extraits du poème fantastique de Poe donnent son titre au film. Poème intégré directement à l’action puisque Ward hérite en effet d’un « château hanté » et extraits qui l’enchâssent presque entre leurs deux citations, renforçant l’effet cauchemardesque de la narration.

La Malédiction d'Arkham

La réception critique du film en France fut assez bonne. Lise Frenkel étudia très sérieusement La Malédiction d’Arkham dans la section consacrée à Roger Corman de son article Cinéma et psychanalyse (paru en deux parties in revue Cinéma 71). Qu’il s’agisse du scénario de Charles Beaumont ou de la mise en scène de Corman, elle y retrouvait les éléments majeurs de la série Edgar Poe : retour aux origines pour dénouer l’énigme de la naissance, régression symbolique au sein de la mère, projection agressive (ici de Curwen vers Ward, les fameuses scènes du portrait que Jean-Marie Sabatier considérait justement comme anthologiques de l’art de Vincent Price), confusion du passé et du présent, échanges vitaux entre les morts et les vivants, angoisse liée à la virilité et à la puissance (Ann - jouée par Debra Paget - craignant d’être violée par Charles lorsqu’il est sous l’emprise de Curwen), relations à l’image de la soeur-amante (la tentative de Curwen de ressusciter sa maîtresse Hester - jouée par Cathie Merchant) pouvant s’opposer à l’imago maternelle, et d’autres éléments encore. Le lien littéraire avec Poe était donc foncièrement réel même si formellement ténu et son lien esthétique était justement revendiqué par Corman (Midi-Minuit Fantastique n°10/11, page 648) : « J’ai pris l’histoire de Lovecraft et je l’ai transposée dans l’univers de Poe. » En réalité, Corman et Charles Beaumont n’avaient conservé qu’un argument lovecraftien (matérialisé par la première séquence, l’une des plus graphiquement impressionnantes du film) mais cet alliage plastique entre deux univers thématiques fut une réussite qui devait faire date dans l’histoire du cinéma fantastique.

NOTES
(*) Dix ans après la production du film, Maurice Lévy constate la persistance de cette méconnaissance américaine de Lovecraft dans sa thèse de doctorat éditée sous une forme simplifiée (malheureusement amputée de son appareil critique) surLovecraft ou du fantastique, éd. U.G.E., coll. 10/18, Paris 1972. Il constatait qu’August Derleth (1909-1971), l’ami de Lovecratf - parfois son collaborateur littéraire puis son éditeur posthume : Lévy a eu la chance de le rencontrer - ne tirait là-bas qu’à « trois mille exemplaires » ses volumes lovecraftiens alors que les étudiants américains (une vingtaine de millions environ, en statistique annuelle contemporaine) possédaient presque tous dans leurs bibliothèques les oeuvres de Poe.
(**)The Case of Charles Dexter Ward (L’Affaire Charles Dexter Ward ) fit d’abord partie du recueil de nouvelles de Lovecratf, Par-delà les murs du sommeil éditions Denoël, collection « Présence du futur » n°16, Paris 1956. Il fut ensuite réédité isolément par J’ai Lu, Paris 1972. Il s’agissait, dans ces deux premières éditions françaises, de la même traduction française par Jacques Papy, traduction admirée par Jean Cocteau au point qu’il la jugeait parfois supérieure au texte américain original.

La Malédiction d'Arkham

Présentation - 2,5 / 5

1 Blu-ray BD-50 région B, édité par Sidonis Calysta le 05 mars 2024. Durée film 87’. Images couleurs Full HD 1080p AVC au format original 2.35 respecté et compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 mono VOSTF + VF d’époque. Suppléments : Présentation par Patrick Brion (2022, 7’35”) + Présentation par Christophe Gans (2022, 42’31”) + « Un autre Edgar Poe » de Greg Carson (« A Change of Poe », 2003, 11’19”, VOST) + Bande-annonce (2’13”, VO). Belle illustration de jaquette qui reprend le visuel des affiches originale. Elle a une valeur historique, ce qui n’était pas le cas de celle de l’ancienne édition DVD chez le même éditeur. Malheureusement, Sidonis défigure sa jaquette française de deux manières : une mention anglophone « Edgar Allan Poe’s » qui ne veut rien dire dans notre langue (et inutile puisque son nom est à nouveau mentionné plus bas), par un ridicule « Lovercraft » au lieu du correct « Lovecraft » (alors que son nom était correctement restitué sur l’ancienne affiche française).

Bonus - 4,0 / 5

Présentation par Christophe Gans (2022, 42’31”) : elle est bien meilleure et bien plus consistante que celle de Patrick Brion en 2010 (néanmoins reprise sur ce disque par l’éditeur). Il faut surmonter la manie un peu agaçante de Gans de prononcer « Aich Pi Lovecraft » avec l’accent mais, au bout de quelques minutes, on surmonte sans effort cette préciosité. Gans situe bien le titre dans l’histoire de la série, examine d’une manière assez dense et approfondie la relation entre Poe et Lovecraft, la manière dont Corman a innové par rapport aux titres antérieurs de la série (même directeur de la photographie mais une tonalité plus réaliste et plus sombre ; quelques nouveaux et spectaculaires décors du même directeur artistique), évoque les acteurs principaux (Vincent Price, Debra Paget, Lon Chaney Jr.), les contributions des techniciens importants et aussi quelques autres adaptations de Lovecraft au cinéma par le directeur artistique, passé à la mise en scène, Daniel Haller. Excellent remarque sur la personnalité profondément poétique (et poesque tout autant) de Lovecraft ; assertion plus discutable concernant la plus grande difficulté d’interpréter d’une manière freudienne Lovecraft que Poe (on le peut tout aussi bien car le réalisme de Lovecraft - que Gans a raison de mettre en relief - est un effet de son art). Non moins bonne remarque sur le fait que, davantage que la comédie fantastique antérieure de 1963, ce titre lovecraftien constitue dans la série un titre charnière, témoin d’un relatif basculement, d’un relatif renouveau à la fois sur les plans scénaristiques et matériels : relatif, cependant, car l’unité de la série est néanmoins préservée. On dit parfois que la série Poe, à partir de la comédie fantastique de 1963, a moins rapporté d’argent à ses producteurs que les titres de 1960-1962 : il faudrait examiner les chiffres pour le vérifier mais cela coïnciderait, si c’était vraiment le cas, avec cette volonté de liberté de Corman, son désir d’expérimenter et de ne plus être prisonnier de la forme initiale de 1960 qui l’avait lancée. Les admirateurs de 1960-1963 voulaient revoir la même chose mais, à partir de 1963 et jusqu’en 1964 inclus, Corman co-producteur leur offrit presque la même chose mais pas tout à fait ! Last but not least , je note une intéressante remarque de Gans concernant quelques aspects lovecraftiens dans L’Horrible cas du docteur X(X, the Man With the X-Ray Eyes, USA 1963) de Roger Corman : c’est un des titres les plus remarquables de Corman, concernant sa filmographie fantastique sélective.

La Malédiction d'Arkham

Présentation par Patrick Brion (2010, 7’35”) : bonus repris de l’édition DVD Sidonis de 2010. Première moitié intéressante car Brion y cite un entretien avec Corman paru dans la revue Positif où ce dernier précisait la genèse du film, son rapport à Poe d’une part, à Lovecraft d’autre part. Faut-il, comme Brion le fait, accorder crédit aux propos de Corman ? Sur le plan des informations matérielles, concrètes, oui sans doute bien qu’il faille les recouper plus exactement avec celles des collaborateurs, souvenir contre souvenir, pour obtenir un minimum d’objectivité. Sur le plan de l’histoire littéraire, Corman n’a pas, en dépit des apparences et de son apparente sincérité, la culture nécessaire pour interpréter ou commenter Poe et Lovecraft : il a simplement transcrit d’une admirable manière certains éléments de leurs univers respectifs tout en tentant d’être fidèle à l’esprit davantage qu’à la lettre, ce qui était, dans le cadre où il opérait, impossible. Il ne faut jamais oublier que ses déclarations de l’époque étaient aussi (voire d’abord) destinées à complaire aux commentateurs et à leurs supposées attentes. Il ne faut pas les prendre pour argent comptant : elles ont une valeur documentaire davantage qu’une authentique valeur intellectuelle, en dépit, encore une fois, de leur très apparente sincérité. La seconde moitié de la présentation de Brion, purement historique, est moins intéressante, parfois même imprécise : il parle d’Elisha Cook Jr. alors qu’on lit « Elisha Cook » au générique du film mais, inversement, il ne relève pas que, encore en 1963, Lon Chaney Jr. est crédité « Lon Chaney » suivant une tradition hollywoodienne abusive qui remontait aux années 1940 et qui se maintenait encore en 1963.

Un autre Edgar Poe : entretien de G. Carson avec Roger Corman (« A Change of Poe », 2003, 11’19”, VOSTF) : bonus provenant de l’édition DVD MGM NTSC zone 1. Corman ne mentionne pas le subterfuge employé afin de permettre de classer ce film parmi les adaptations d’Edgar Poe, en lui conférant le titre d’un poème de Poe (poème cité deux ou trois fois dans le film) alors que l’histoire est une adaptation de H. P. Lovecraft. Cet entretien de Corman provient de l’édition Shout Factory américaine de 2013 mais il aurait fallu rependre aussi le commentaire audio de Tom Weaver qui apprenait bien plus d’informations que ces sympathiques mais assez maigres souvenirs de Corman.

Bande-annonce originale (durée 2’13”, VO sans STF, 2.35 compatible 16/9) : état argentique moyen mais très bien montée et donnant une excellente idée du film.

Bonne édition spéciale mais il aurait fallu reprendre le commentaire audio de Tom Weaver dans l’édition américaine Shout Factory de 2013 et y ajouter une galerie affiches et photos d’exploitation françaises et américaines. On serait alors passé du niveau « édition spéciale » au niveau « édition collector ».

La Malédiction d'Arkham

Image - 5,0 / 5

Belle restauration argentique et numérique en Full HD 1080p AVC au format original 2.35 Panavision et Pathécolor compatible 16/9. Copie argentique en très bon état. Admirable photographie de Floyd Crosby, aux couleurs rafraîchies : Crosby signe notamment l’un des plus beaux génériques de toute l’histoire du cinéma fantastique et réussit quelques travellings, mi-subjectifs, mi-objectifs, admirables d’ampleur et utilisant la profondeur de champ au maximum de ses possibilités. En attendant une future édition UHD 4K, cette édition Full HD Sidonis devient l’édition vidéo numérique de référence pour le marché francophone.

La Malédiction d'Arkham

Son - 4,0 / 5

DTS-HD Master Audio 2.0 Mono VOSTF + VF d’époque : offre complète, nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Les VOSTF sont techniquement plus satisfaisantes que les VF, comme souvent. Attention au doublage français d’époque qui ne traduit pas exactement le dialogue ni même les images : ainsi Debra Paget s’étonne en français du nom « Taverne de l’Enfer » alors qu’à l’image on voit un panneau sur lequel est mentionné « Burning man Tavern » [Taverne de l’homme brûlé] ce qui n’est pas la même chose. Attention aussi aux STF qui ne traduisent pas tout ni exactement : au lieu de « situation hors de contrôle » qu’on entend en américain, on lit « situation compliquée », ce qui n’est pas non plus la même chose ! Musique historiquement importante : c’est la plus belle jamais signée par Ronald Stein, de l’avis même de Corman.

Crédits images : © American International Pictures, La Honda Productions

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 19 mars 2024
Alliage impressionnant d’un poème de Poe et d’une histoire de Lovecraft, unifié par une mise en scène au sommet de son art.

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