Circle of Danger (1951) : le test complet du Blu-ray

Film rare de Jacques Tourneur, au réalisme méticuleux débouchant sournoisement sur la peur.

Floride, USA puis Royaume-Uni, 1950. Le vétéran américain Clay Douglas se rend en Angleterre afin d’enquêter sur la mort de son frère, survenue durant une opération commando anglaise en France mais dans des conditions qui demeurent troubles. De Londres au Pays de Galles puis à l’Ecosse, il recherche et interroge les témoins survivants, peu bavards et réticents. Il soupçonne que son frère fut non pas tué au combat mais assassiné par l’un d’entre eux : mais lequel et pour quelle raison ?

L’enquête est close (Circle of Danger, USA 1950) de Jacques Tourneur, tourné intégralement en Angleterre avec l’acteur américain Ray Milland en vedette, repose sur un scénario écrit par l’écrivain anglais Philip McDonald (1900-1980) dont la structure annonce assez celle du film fantastique Rendez-vous avec la peur (Night of the Demon, USA-GB 1957) de Jacques Tourneur. Dans les deux titres, un héros américain se rend en Angleterre pour éclaircir un mystère, découvrir un secret qui l’obsède ; l’Angleterre s’y révèle une terre d’abord amicale puis insolite puis dangereuse où sa vie est menacée à mesure qu’il se rapproche de la vérité ; le héros y rencontre l’amour, amour qui ressort augmenté par l’épreuve vécue en commun. Notez enfin, en guise d’ultime lien entre ces deux titres, la présence du savoureux acteur anglais Reginald Beckwith au casting des deux titres.

L’enquête est close fut exclu des filmographies sélectives fantastiques de Tourneur par les historiens français du cinéma fantastique des années 1970 : de fait, il ressort génériquement davantage du film noir policier, en raison du thème de l’enquête ici hantée par le souvenir d’une Seconde guerre mondiale sans pitié et sans merci. Pourtant, il ressort aussi du genre fantastique, tout comme en ressortent ces autres admirables films noirs policiers de Jacques Tourneur que sont Angoisse (Experiment Perilous, USA 1944), Berlin Express (USA 1948) et Nightfall (Poursuites dans la nuit) (USA 1956). On se souvient de ce plan de la boule maintenue en équilibre précaire par un jet d’eau surgi d’un bassin, tournant sur elle-même et montrée à plusieurs reprises dans L’Homme léopard (USA 1943) de Jacques Tourneur : elle symbolisait déjà la vision du monde de Tourneur. Vision antique éminemment grecque et romaine : à la circularité du destin, nul ne peut échapper. Le destin débouche sur la peur dans les films ouvertement fantastiques de Tourneur ; il débouche sur une insigne inquiétude dans ses meilleurs films noirs policiers : ce sont bien les deux genres où Tourneur excella.

Dans un entretien publié en mai 1965 dans Midi-Minuit Fantastique n°12, Tourneur assurait que son film fantastique préféré était The Uninvited (La falaise mystérieuse) (USA 1944) de Lewis Allen avec Ray Milland. Peut-être a-t-il voulu lui rendre un hommage cinéphile en confiant à ce même Milland la vedette de L’enquête est close ? Milland est utilisé en 1950 par Tourneur comme il l’avait été par Fritz Lang dans Espions sur la Tamise (The Ministry of Fear, USA 1944). Son personnage devient, contre son gré mais inexorablement, l’enjeu d’une épreuve de force qu’il a initiée sans le savoir : contre une organisation criminelle secrète chez Lang en 1944, contre le destin lui-même chez Tourneur en 1950. Le titre original Circle of Danger de L’enquête est close le confirme : croyant enquêter objectivement, Douglas devient lui-même la proie d’un implacable engrenage qui pourrait le broyer. Il n’en aura confirmation que lors de la séquence, si plastiquement impressionnante par son économie de moyens, où sa vie est directement menacée : la peur qu’elle génère alors franchement sera l’ultime confirmation d’une vérité enfin dévoilée. Alors les masques tombent, la banale tranquillité apparente des hommes et des choses est brusquement annulée, la peur modifie la réalité une fois pour toutes.

1 Digipack combo Blu-ray BD50 région B + 1 DVD9 zone 2 PAL édités en combo par Studio Canal, le 27 septembre 2023. Image N&B au format 1.37 compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio VOSTF 2.0 mono. Durée cinéma film : .86 min. 30 sec. environ. Suppléments : présentation du film par J.B. Thoret + Charles Tesson. A présent que les disques Blu-ray UHD sont universels car nativement multi-régions, il conviendrait que les simples Blu-rays Full HD et les DVD le fussent aussi : il semble anachronique, en 2023, d’attribuer une région et / ou une zone limitant les possibilités de lecture d’un disque. Belle illustration 2023 aux normes graphiques de la collection sur l’étui, le boîtier et les sérigraphies ; très belle affiche française d’époque sur le rabat du digipack.

Présentation du film par Jean-Baptiste Thoret (7 min. environ) : bonne et comparant justement la structure du scénario de ce titre de 1950 et de celui, fantastique, de 1957. Un bémol historique cependant : ce n’est pas Jacques Tourneur qui a inventé, à la RKO, cette esthétique de l’inquiétude plutôt que de la peur ou de la terreur, c’est son producteur Val Lewton. Les titres tournés pour lui durant la période Val Lewton - RKO de 1942-1946 par Jacques Tourneur, Mark Robson et Robert Wise, en témoignent assez. Tourneur y adhéra bien évidemment en profondeur mais c’est tout de même Lewton qui fut la cause motrice (et matérielle) de leurs innovations esthétiques. Autre précision nécessaire : on peut certes tenir (et c’est mon cas) Rendez-vous avec la peur (Night of the Demon) pour le chef-d’oeuvre de Jacques Tourneur dans le genre fantastique mais il convient toujours de préciser que ce n’était pas son opinion. Il reprochait en effet aux producteurs d’y avoir inséré des séquences qu’il n’avait pas tournées. Je renvoie, concernant ce titre, le lecteur à ma critique archivée sur le blog Stalker-dissection du cadavre de la littérature. Quelques affiches (un peu trop petites et mouvantes alors qu’il aurait fallu les montrer immobiles et plus grandes) en illustration.

Présentation et analyse par Charles Tesson (52 min. environ) : trop pointilliste, beaucoup trop longue et finalement régulièrement lassante à écouter (en partie à cause de l’élocution) mais contenant, inévitablement sur la durée, de bonnes remarques et quelques comparaisons, parfois justes (celle avec le titre de Fritz Lang de 1944 ou avec celui de Tourneur tourné à Berlin en 1948) parfois un peu moins pertinentes. Une erreur gênante, en outre, dans sa présentation : Jacques Tourneur n’est pas mort en 1979, comme il l’assure tranquillement, mais en 1977. Quelques mignonnes affiches (trop petites) et de nombreux extraits (aux dialogues parfois maintenus, parfois recouverts par la voix du commentateur) en illustration.

Format original 1.37 compatible 16/9, N&B reporté en Full HD 1080p AVC (sur Blu-ray). Copie argentique bien restaurée, reprenant probablement le master de l’ancienne édition anglosaxonne Network de 2015. Une fin de plan (vers 18 min. 45 sec., juste avant que Ray Milland et Patricia Roc arrivent au sommet d’une colline) défile, durant une fraction de seconde, à une vitesse un peu accélérée (les nuages, en haut à droite du plan, défilent clairement trop vite) : le reste est impeccable. On pourrait aussi parfois améliorer un peu la précision du télécinéma sur quelques rares plans (seulement car le restant est parfait) mais, compte tenu du fait que ce titre a déjà plus de 70 ans, le résultat est déjà très honorable. Contraste, définition, gestion du niveau des noirs et des dégradés gris sont soignés, nuancés.

Son DTS-HD Master Audio VOSTF 2.0 mono : offre nécessaire pour le cinéphile francophone mais est-elle suffisante ? L’Enquête est close avait été distribué en France au cinéma par la RKO : en VOSTF sans doute mais peut-être en VF d’époque aussi ? J’ai un doute à ce sujet qui m’amène à n’attribuer que la note moyenne.

Crédits images : © Coronado Productions