Réalisé par Lukas Dhont
Avec
Victor Polster, Arieh Worthalter et Oliver Bodart
Édité par Diaphana
Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais son corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.
Girl est le premier long métrage réalisé à 26 ans par le Belge Lukas Dhont, après quatre courts, dont Corps perdu, en 2012, son film de fin d’études cinématographiques, une autre histoire de jeune danseur, et L’Infini, en 2014, tous deux primés au Festival international du film de Gand.
Girl, un coup d’essai étonnamment réussi, récolta une quinzaine de prix tout autour de la planète, dont la Caméra d’or et le Prix FIPRESCI à Cannes et le Prix du meilleur premier film étranger décerné par le Syndicat Français de la Critique de Cinéma.
Le thème de la transsexualité a souvent été traité au cinéma, et parfois bien, notamment par Kimberly Peirce en 1999 avec Boys Don’t Cry (qui valut à Hilary Swank son premier Oscar), par Bertrand Bonello en 2003 avec Tiresia, par Lucía Puenzo en 2007 avec XXY, par Xavier Dolan en 2012 dans Laurence Anyways ou, encore, par Tom Hooper en 2015 avec Danish Girl.
Alors que les films cités montraient leur personnage principal confronté à un entourage hostile, Lara est protégée par un père soutenant sa différence et l’accompagnant dans son processus de métamorphose, et aidée dans sa démarche par un corps médical à son écoute, acceptée dans le corps de ballet d’Anvers, tant par la direction que par les ballerines.
T’aimes les filles ? Ben, je sais pas, peut-être…
Dans un environnement accueillant, Girl se rapproche plutôt de Coby, le touchant documentaire réalisé par Christian Sonderegger en 2017 sur la transformation de sa demi-soeur Suzanna en garçon. Dans l’histoire de Lara, ce qui l’entoure n’est pas le ressort dramatique. Seul compte le trouble secret, dont elle refuse parler, mais que trahit son comportement envers un corps qui ne lui correspond pas, avec une poitrine toujours aussi plate, des parties génitales qu’elle efface sous des bandes adhésives qui lui arrachent la peau. Un corps que, consciemment ou non, elle châtie, parfois avec une sorte de rage destructive, ce que le film nous montre sans le recours à des mots, par son impatience à opérer une transformation physique en brûlant les étapes, par la répétition des exercices de pointes qui lui mettent les pieds en sang ou par un surmenage jusqu’à l’épuisement dans la scène la plus révélatrice de sa souffrance.
L’adolescente sait les difficultés qui l’attendent : après le bouleversement du traitement hormonal, une intervention chirurgicale très invasive, un cheminement sans retour possible. Ce qu’elle ne sait pas encore, c’est son orientation sexuelle, si elle est plus attirée par les garçons ou par les filles. Encore une incertitude sur son identité, une épreuve supplémentaire dans la lutte douloureuse de Lara pour devenir ce qu’elle est déjà.
La délicatesse avec laquelle Lukas Dhont, également auteur du scénario, raconte l’histoire de Lara (inspirée de celle d’une jeune femme qu’il connaît), avec une grande économie de dialogues, est magnifiquement portée par l’interprète de Lara, Victor Polster, un jeune danseur formé à l’École royale de ballet d’Anvers dont la performance a été récompensée par le Prix d’interprétation (tout court, sans précision du genre masculin ou féminin) à Cannes dans la sélection Un Certain Regard. Il ajoute à sa maîtrise de la danse son élégante beauté et, surtout, la force naturelle de son interprétation du personnage. Il faut aussi rendre hommage à Arieh Worthalter qui incarne le père de Lara avec pudeur et sensibilité. Seuls face à la caméra, les deux acteurs sont bouleversants.
Girl, un film à voir absolument !
Girl (105 minutes) et ses suppléments (53 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé dans un boîtier de 11 mm, glissé dans un fourreau.
Le menu animé et musical propose le film dans sa version originale, en français et néerlandais, avec sous-titres imposés qui auraient pu être placés plus bas sur l’image, et avec le choix entre deux formats audio : DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0 stéréo.
Entretien avec Lukas Dhont (audio, 53’), interrogé par Laure Adler pendant l’émission L’Heure bleue de France Inter du 21 mai 2018. Il faut subir une chanson d’Arno, Dans mon lit, pendant 5 longues minutes avant d’entrer dans le vif du sujet. Lukas Dhont, 26 ans, comme il l’avait fait dans ses courts métrages, a choisi de mêler le flamand, sa langue maternelle, et le français. Il cherche, en écrivant un scénario, à créer son propre univers, plutôt que se référer à des modèles. Il reconnaît l’influence de Chantal Ackerman, de son regard sur les femmes et sur l’identité sexuelle. Girl, inspiré par l’histoire d’une personne qu’il avait rencontrée quand il avait 18 ans, est centré sur l’intériorité de Lara, le monde autour d’elle n’ayant que peu d’importance : Lara n’a jamais accepté le sexe qui lui a été assigné, elle s’est toujours perçue comme une fille et a choisi d’aller jusqu’au bout, jusqu’à une transformation physique. Il s’est efforcé de coller à la réalité médicale en se documentant auprès des services compétents de Gand, réputés dans ce domaine. L’absence de la mère est un choix dramaturgique pour soutenir la relation du père avec Lara, la seule femme de la famille.
On peut être agacé par les interludes musicaux tombant des nues pendant 13 minutes. D’autre part, les interventions de Laure Adler et les extraits de déclarations de Robert Bresson, Chantal Ackerman, Xavier Dolan, Pina Bausch et Jacques Lacan ne sont pas toujours pertinents avec le sujet traité. On aurait aimé en savoir plus sur le tournage du film.
Pour finir, la bande-annonce.
L’image (1.85:1, 1080p, AVC) ne brille pas par une résolution poussée. Cela tient-il aux limites des moyens mis en oeuvre ou résulte-t-il d’un choix délibéré ? Peu importe : c’est tant mieux ! La relative douceur de l’image est parfaitement en harmonie avec l’intimisme de l’oeuvre.
Le son DTS-HD Master Audio 5.1 aurait pu être plus immersif avec une utilisation moins discrète des voies latérales. Mais il assure parfaitement sa mission première : restituer les dialogues avec clarté et le délicat accompagnement musical avec finesse. L’ambiance des cours de danse est naturellement rendue.
Crédits images : © Menuet
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