Ozu - 6 films rares ou inedits (1933) : le test complet du Blu-ray

Hijosen no onna + Chichi ariki + Nagaya shinshiroku + Kaze no naka no mendori + Munekata kyodai + Kohayagawa-ke no aki

Réalisé par Yasujiro Ozu
Avec Kinuyo Tanaka, Joji Oka et Sumiko Mizukubo

Édité par Carlotta Films

Voir la fiche technique

Avatar Par
Le 23/04/2024
Critique

Outre quatre films encore inédits, ce coffret est enrichi par l’apport de deux spécialistes du cinéma d’Ozu. Une édition exceptionnelle !

Ozu - 6 films rares ou inédits

À l’occasion du 120ème anniversaire de sa naissance et du 60ème de sa mort, Carlotta Films propose un coffret regroupant, après une récente restauration 4K, six films rares de Yasujirō Ozu, allant du policier à la comédie nostalgique en passant par le drame conjugal. Quatre de ces six films n’avaient encore jamais été édités en vidéo en France.

Ozu - 6 films rares ou inédits contient :

Femmes et voyous (Hijôsen no onna, 1933, noir et blanc, 1.37:1, muet, 121 minutes). Tokiko, dactylographe le jour, est, la nuit, la maîtresse de Joji, chef d’un clan de yakuzas, qui accepte d’engager dans son club de boxe l’étudiant Hiroshi. Kazuko, la soeur de l’étudiant, demande à Joji qu’il le renvoie. Ses supplications provoquent la jalousie de Tokiko…

On décèle dans ce film (un des derniers films muets d’Ozu qui ne passera au parlant qu’en 1936 avec Le Fils unique / Hitori musuko) l’influence du cinéma américain, avec des gangsters et le personnage de Tokiko, vêtue à l’occidentale, interprétée par Kinuyo Tanaka. Cette grande star japonaise deviendra la première femme de l’archipel à réaliser des films, intégralement disponibles dans Kinuyo Tanaka, réalisatrice de l’âge d’or du cinéma japonais - Coffret 6 films, une édition Carlotta Films saluée en 2022 par le Prix du meilleur coffret décerné par le jury Blu-ray/DVD du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de Télévision. Une création originale au piano de Maud Nelissen accompagne cette édition du film.

 Il était un père (Chichi ariki, 1942, 1.37:1, noir et blanc, 93 minutes). Le professeur Horikawa vit seul avec son jeune fils Ryohei au pied des montagnes. L’un des élèves qu’il accompagne au lac Ashi se noie. Rongé par la culpabilité, il démissionne, se réfugie dans un endroit isolé et envoie son fils en pension. Pour payer les études de Ryohei, il accepte un travail à Tokyo…

Filmé pendant la guerre, le récit austère et dépouillé suit l’évolution de la relation entre un père et son fils sur une vingtaine d’années. Le rôle du père est tenu par Chishū Ryū qu’Ozu emploiera dans une quarantaine de ses films et qui collaborera aussi avec Akira Kurosawa pour Sanjuro (Tsubaki Sanjuro, 1962) et Barberousse (Akahige, 1965), avec Masaki Kobayashi pour La Condition de l’homme (Ningen no joken, 1959).

Ozu - 6 films rares ou inédits

Récit d’un propriétaire (Nagaya shinshiroku, 1947, 1.37:1, noir et blanc, 71 minutes). Dans le Tokyo de l’immédiat après-guerre, un petit garçon erre dans les rues. Hélas, dans ce quartier déshérité de la capitale, personne ne souhaite s’occuper du jeune sans-logis. Après tirage au sort, celui-ci est finalement confié à Tane, une veuve acariâtre qui n’a jamais aimé les enfants…

Ce premier film réalisé par Ozu après sa libération d’un camp de prisonniers de guerre met en images un scénario original coécrit avec Tadao Ikeda qui contribuera à l’écriture d’une quinzaine de ses films. Il met l’accent sur la vie difficile dans les quartiers pauvres de Tokyo au lendemain de la défaite. Tane, la femme qui recueille l’enfant perdu, est interprétée par Chōko Iida qui, de 1925 à son décès en 1972, tint plus de 300 rôles, dont une quinzaine sous la direction d’Ozu. On retrouvera Hōhi Aoki, l’interprète du garçonnet, dans Une femme dans le vent, puis dans Printemps tardif (1949), avant que sa carrière d’acteur ne prenne fin, deux films plus tard.

Une femme dans le vent (Kaze no naka no mendori, 1948, 1.37:1, noir et blanc, 83 minutes). Tokiko vit seule avec son jeune fils Hiroshi en attendant que son mari, Shuichi, soit démobilisé. La jeune femme tente de survivre en vendant ses vêtements, mais lorsque son enfant tombe gravement malade, elle est contrainte de se prostituer pour payer les frais d’hospitalisation. Une fois son époux rentré, Tokiko ne peut lui cacher son secret…

Un an après Récit d’un propriétaire, Ozu, sur un scénario original coécrit avec Ryōsuke Saitō, met en avant les dures conditions de vie des familles modestes dans l’immédiat après-guerre, confrontées à la hausse des prix et au rationnement. Tokiko, le personnage principal, interprétée par Kinuyo Tanaka, partage avec son fils une chambre d’une petite maison d’amis, près de Tokyo, en bordure d’une zone industrielle dont la présence est signalée par deux imposants gazomètres et sans cesse rappelée par le bruit scandé d’une machine. Le mari est interprété par un autre familier du cinéma d’Ozu, Shūji Sano, vu dans Il était un père. En fond sonore, le jazz symbolise le changement culturel, également révélé par les vêtements.

Ozu - 6 films rares ou inédits

Les Soeurs Munakata (Munekata kyōdai, 1950, 1.37:1, noir et blanc, 112 minutes). Setsuko et Mariko Munakata ont beau être soeurs, tout les oppose. L’extravertie Mariko profite de sa jeunesse et de sa liberté, tandis que Setsuko travaille d’arrache-pied pour entretenir son mari Mimura, un homme taciturne et alcoolique. En visite chez leur père, Mariko sympathise avec Hiroshi, un ancien prétendant de sa soeur, de retour au Japon après des années passées à l’étranger. La jeune femme est convaincue que Setsuko et Hiroshi éprouvent encore des sentiments l’un envers l’autre et va tout faire pour les rapprocher…

Adapté d’un feuilleton de Jirō Osaragi (1897-1973), écrivain populaire dont l’oeuvre inspira plus d’une centaine de films et séries, le scénario est encore centré sur une femme, Setsuko, interprétée par Kinuyo Tanaka, subvenant seule aux besoins d’un homme oisif, alcoolique, méprisant et violent auquel elle se soumet sans résistance. Résignée, elle reste sourde aux appels à la révolte de sa jeune soeur Mariko, farouchement indépendante. L’opposition de tempérament des deux soeurs sert, une fois encore, à illustrer le basculement culturel provoqué par la guerre, tout en laissant espérer une cohabitation entre tradition et modernisme.

Dernier caprice (Kohayagawa-ke no aki, 1961, 1.37:1, couleurs, 103 minutes). Manbei Kohayagawa est le patron d’une petite brasserie de saké au bord de la faillite. Le vieil homme est entouré de ses trois filles : l’aînée, Akiko, veuve et mère d’un petit garçon, qu’il souhaite remarier ; la cadette, Fumiko, dont l’époux, gérant de la brasserie, se dévoue corps et âme pour la survie de l’entreprise ; et la benjamine, Noriko, qui refuse tous les prétendants choisis par sa famille. Ces derniers temps, Manbei trouve du réconfort auprès de Tsune Sasaki, son ancienne maîtresse chez qui il se rend clandestinement. Bientôt, la santé du patriarche commence à décliner…

Ozu voulait-il, avec cet avant-dernier film, sorti au Japon deux ans avant sa disparition, en s’identifiant au personnage de Manbei, dire qu’il sentait venir l’heure de sa mort ? Mais là, encore, son attention se porte avant tout sur des femmes, les trois filles du vieil homme.

Une grande moitié des films de Yasujirō Ozu est désormais disponible en France, essentiellement grâce à Carlotta Films qui a, en 2019, regroupé ses oeuvres majeures dans le coffret Ozu en 20 films (11 Blu-ray ou 15 DVD), toujours disponible. La sortie du coffret Ozu - 6 films rares ou inédits vient ajouter au catalogue quatre films inédits, Femmes et voyous, Récit d’un propriétaire, Une femme dans le vent et Les Soeurs Munakata.

Un autre mérite de cette édition est l’apport de Pascal-Alex Vincent, enseignant à la Sorbonne Nouvelle Paris 3, auteur de Yasujirō Ozu : une affaire de famille (Éditions de la Martinière et Carlotta Films, 2023), coauteur du Dictionnaire du Cinéma japonais en 101 cinéastes (Carlotta Films, 2018), et de Jean-Michel Frodon, historien du cinéma, auteur de nombreux ouvrages sur le cinéma, notamment de Treize Ozu (Cahiers du Cinéma, octobre 2023). Deux spécialistes de Yasujirō Ozu, qui, pour Gilles Deleuze « réussit à rendre visibles et sonores le temps et la pensée » (Cinéma - tome 2 : L’image-temps, Les Éditions de Minuit, 1998).

Ozu - 6 films rares ou inédits

Présentation - 5,0 / 5

Ozu - 6 films rares ou inédits (durée cumulée de 583 minutes) et leurs suppléments (174 minutes) tiennent sur quatre Blu-ray BD-50 logés dans un Digipack à quatre volets, glissé avec un livret dans un étui en épais carton.

Les films sont proposés dans leur langue originale, le japonais, au format audio DTS-HD Master Audio 1.0, avec sous-titres optionnels.

Le livret de 80 pages, rédigé par Pascal-Alex Vincent est découpé en autant de chapitres qu’il y a de films dans le coffret : 1. Femmes et voyous - Yasujirō Ozu à l’américaine ; 2. Il était un père - Un drame sur la filiation ; 3. Récit d’un propriétaire - Les adieux d’Ozu à ses jeunes années de cinéaste ; 4. Une femme dans le vent - Ozu et les lendemains maussades ; 5. Les Soeurs Munakata - Ozu fait l’école buissonnière ; 6. Dernier caprice - La saveur mélancolique de Kyoto. Un complément essentiel aux six films et à l’approfondissement de la connaissance du cinéaste.

Ozu - 6 films rares ou inédits

Bonus - 5,0 / 5

Avec Femmes et voyous :

Femmes et voyous : un entretien avec Pascal-Alex Vincent (22’). Ozu, qui a dirigé Kinuyo Tanaka dans huit films muets, lui donne ici un rôle à contre-emploi, celui d’une femme moderne, très occidentale. Il la retrouvera en 1948 dans Une femme dans le vent, avant qu’elle ne devienne « ambassadrice de bonne volonté » aux USA en 1949…

Avec Il était un père, repris de l’édition Carlotta Films de 2006 :

Entretien avec Jean-Michel Frodon au Pavillon de Thé (14’). Il souligne l’influence du cinéma américain sur Ozu, « le moins japonais des cinéastes du Japon », laissant hors champ les événements pour renforcer l’émotion qu’ils suscitent sur le spectateur…

Analyse de Jean Douchet (17’). Ozu filme « l’invisible (…) la vie quotidienne, répétitive » dans de longs plans fixes séparés par des « plans vides, comme des silences dans la musique ». Avec plusieurs exemples de la symbolique du placement des acteurs dans le cadre, des champs/contre-champs… Brillant !

Avec Récit d’un propriétaire :

Figures : Affiches et panneaux (9’), Linges, fumées et poteaux électriques (7’), Mers et rivières (6’), Trains et voitures (10’), quatre montages de plans extraits de plusieurs films d’Ozu.

Avec Les Soeurs Munakata :

Dissemblable, par Jean-Michel Frodon (Allerton Films, 2024, 25’). Ozu, après la guerre, retourne à la Shōchiku et entame « la dernière phase de son oeuvre », avec Printemps tardif (1949), écrit avec Oda qui sera la scénariste de tous les films suivants, centrés sur des personnages féminins. Les Soeurs Munakata est l’adaptation d’un roman d’abord publié en feuilleton, au budget élevé, avec un long temps de tournage. C’est un des films d’Ozu avec des personnages d’une même génération, « dans un monde qui change (…) transgressif en douceur », faisant ressortir l’individualité de chaque personnage, soulignant que « les Japonais ont plusieurs visages (…) dans un Japon en train de se reconstruire (…) après le traumatisme de la défaite ».

Avec Denier caprice :

Quand la cloche de la jeunesse a sonné (Seishun hōkago, 1963, noir et blanc, 1.33:1, 89’, 1080i, AVC, Dolby Digital 1.0) avec une présentation de Pascal-Alex Vincent (3’). Ozu coécrit en 1963 le scénario de ce film pour la télévision, alors devenue très populaire au Japon, réalisé par Tsuneo Hatanaka et des membres du « clan Ozu ». Sei Sasaki, tenancière d’un bar de Kyoto, presse sa fille Chizuru de se marier. Mais la jeune femme, après avoir constaté la désillusion de plusieurs épouses, souhaite faire un mariage d’amour. Et, en attendant, profiter de son indépendance et découvrir les plaisirs qu’offre Tokyo, « la ville qui ne dort jamais »…

Ozu - 6 films rares ou inédits

Image - 4,0 / 5

La qualité de l’image, au ratio 1.37:1, restaurée après scan 4K en 2022 et encodée au standard 1080p, AVC, varie d’un film à l’autre. Mais, débarrassée des marques de dégradation de la pellicule, elle est stable avec un étalonnage correct des niveaux de gris. L’image des deux premiers films, probablement récupérée à partir de copies, manque toutefois de piqué, en dépit d’un lissage du grain, préservé dans les quatre autres films. La meilleure qualité d’image, avec préservation du grain, est offerte par Les Soeurs Munakata et Une femme dans le vent, sélectionné en 2022 à Venise pour le Prix de la meilleure restauration. Dernier caprice, le cinquième film en couleurs d’Ozu, depuis Fleur d’équinoxe (Higanbana, 1958), un modèle de restauration, restitue la délicate palette de l’Eastmancolor.

Ozu - 6 films rares ou inédits

Son - 4,0 / 5

La note moyenne cache des disparités. Si la restauration a éliminé les bruits parasites engendrés par les détériorations de la pellicule, elle a laissé subsister un souffle, fort pour les deux premiers films parlants (une gêne atténuée par un niveau régulier), modéré pour Une femme dans le vent, plus discret pour Les Soeurs Munakata, pratiquement inaudible pour Dernier caprice.

Crédits images : FEMMES ET VOYOUS © 1933 / 2022 SHOCHIKU CO., LTD. Tous droits réservés.
IL ÉTAIT UN PÈRE © 1942 / 2023 SHOCHIKU CO., LTD. Tous droits réservés.
RÉCIT D’UN PROPRIÉTAIRE © 1947 / 2023 SHOCHIKU CO., LTD. Tous droits réservés.
UNE FEMME DANS LE VENT © 1948 / 2022 SHOCHIKU CO., LTD. Tous droits réservés.
LES SOEURS MUNAKATA © 1950 TOHO CO., LTD. Tous droits réservés.
DERNIER CAPRICE © 1961 TOHO CO., LTD. Tous droits réservés.

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
Avis

Moyenne

5,0
5
1
4
0
3
0
2
0
1
0

Je donne mon avis !

Avatar
Philippe Gautreau
Le 23 avril 2024
Une grande moitié des films de Yasujirō Ozu est désormais disponible en France, essentiellement grâce à Carlotta Films qui a, en 2019, regroupé ses oeuvres majeures dans le coffret Ozu en 20 films (11 Blu-ray ou 15 DVD), toujours disponible. La sortie du coffret Ozu - 6 films rares ou inédits vient ajouter au catalogue quatre films inédits.

Lire les avis »

Multimédia

Proposer une bande-annonce

Du même auteur
(publicité)

(publicité)