Le Syndrome de Stendhal (1996) : le test complet du Blu-ray

Un thriller insolite, un des films les plus inventifs de Dario Argento, proposé pour la première fois en HD, dans une édition de référence.

Anna Manni, inspectrice de police est dépêchée de Rome à Florence pour récupérer des informations sur un individu suspecté d’avoir sauvagement assassiné plusieurs femmes. Lors d’une visite de la Galerie des Offices, incapable de contrôler les émotions déclenchées par la vue des tableaux, elle s’évanouit. Quand elle reprend conscience, elle ne sait plus qui elle est. Elle repousse l’aide d’un témoin de son malaise. Mais l’homme, Alfredo, sonne plus tard à sa porte…

Le Syndrome de Stendhal (La Sindrome di Stendhal) sort un peu partout en 1996, mais pas en France, où il ne sera distribué qu’en VHS. Un oubli curieux alors que la popularité de Dario Argento était bien établie, particulièrement depuis Suspiria, distribué presque vingt ans plus tôt.

Le Syndrome de Stendhal fut inspiré à Dario Argento par la lecture d’un ouvrage publié en 1989 par la psychanalyste Graziella Magherini sur le trouble émotionnel qu’avait ressenti Stendhal à Florence dans la basilique Santa Croce en 1817 et qu’il décrivit en 1826 dans Rome, Naples et Florence, le récit de son voyage en Italie. Cette lecture raviva chez le réalisateur le souvenir du malaise qu’il éprouva à 14 ans en visitant le Parthénon et l’incita à imaginer l’histoire d’Anna dont il coécrivit le scénario avec Franco Ferreri qui avait déjà contribué à l’écriture de Phenomena, Opera et Trauma, trois films qui ont plusieurs points en commun avec Le Syndrome de Stendhal.

- Ho paura. - Di che? - Qualcosa dentro di me…

Le Syndrome de Stendhal est exclusivement centré sur Anna, dont il suit la métamorphose déclenchée par son malaise dans la Galerie des Offices. Asia Argento, grâce à sa sensibilité, à son talent et à l’expérience acquise par une quinzaine de rôles tenus depuis l’âge de 9 ans, aidée par la complicité avec son père, sous la direction duquel elle jouait pour la deuxième fois après Trauma, réalisé trois ans plus tôt, réussit à communiquer, avec subtilité (et une crédibilité garantie par la contribution de Graziella Magherini), l’évolution de la personnalité d’Anna, la confusion des genres et la perversion qui s’opèrent insidieusement en elle.

Le Syndrome de Stendhal fascine par sa beauté graphique et le surréalisme de certains plans, notamment quand Anna quitte le réel pour entrer dans un tableau ou quand La Ronde de nuit de Rembrandt se liquéfie pour ouvrir une porte sur l’inconnu. Un premier essai réussi des effets spéciaux numériques par Dario Argento. Une beauté à laquelle a contribué Giuseppe Rotunno, directeur de la photographie de plusieurs films de Luchino Visconti et Federico Fellini. Le film bénéficie également de l’apport d’Ennio Morricone, particulièrement inspiré pour la composition du leitmotiv en forme de basse obstinée.

Le Syndrome de Stendhal nous est proposé par Extralucid Films après une belle restauration de l’image et du son, opérée en 2021 par l’Istituto Luce-Cinecittà, à partir d’un scan 4K du négatif original. La qualité de la restauration et l’intérêt des bonus vidéo et du livret font de cette nouvelle parution l’édition de référence du film.

Le même éditeur, après Trauma (1993), sorti en décembre 2022 et déjà épuisé, propose, en même temps que Le Syndrome de Stendhal, trois autres films de Dario Argento, tous entourés des mêmes soins, Le Sang des innocents (Non ho sonno, 2001), The Card Player (Il Cartaio, 2003) et Lunettes noires (Occhiali neri, 2022).

Des rééditions bienvenues après la sortie, en décembre 2022, par les Films du Camélia, du Dario Argento - Coffret : Phenomena + Profondo rosso + L’Oiseau au plumage de cristal + Ténèbres + Le Chat à neuf queues + Opera + Dario Argento, soupirs dans un corridor lointain avec, en supplément, le documentaire de Jean-Baptiste Thoret, Dario Argento : Soupirs dans un corridor lointain. Aujourd’hui épuisé, ce coffret est en cours de retirage au moment où nous écrivons ces lignes.

Le Syndrome de Stendhal (120 minutes, alors que l’étui mentionne 128 minutes) et un des suppléments (68 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50, le reste (144 minutes) sur un deuxième BD-50. Les deux disques sont logés dans un boîtier au format Blu-ray, glissé dans un épais cartonnage en compagnie d’un livret.

Le film est proposé en italien, avec sous-titres optionnels, au format DTS-HD Master Audio 5.1, ainsi qu’en anglais et en français, au format DTS-HD Master Audio 2.0.

Le livret de 48 pages, intitulé Le Syndrome de Stendhal, un film de Dario Argento, abondamment illustré, s’ouvre sur Freud au Parthénon, un extrait de l’autobiographie Paura publiée par le réalisateur en 2014 (édité en français par Profondo Rosso en 2018), dans lequel il évoque la genèse du film et son tournage. Suit L’Évolution de l’héroïne chez Dario Argento : quatre noms pour un seul visage par Olivier Rossignot, fondateur de Culturopoing. Ces quatre noms sont Jennifer, Betty, Aura et Anna, « les héroïnes candides et pures confrontées à l’horreur du monde » de Phenomena, Opera, Trauma et Le Syndrome de Stendhal. Une approche en quatre parties. 1. La toute-puissance du regard : observation et représentation : « l’oeil de l’héroïne, réceptacle qui s’emplit de la perception du monde, s’enrichit à mesure qu’il se pervertit ». 2. Le monde comme un conte de fées : métamorphoser pour s’évader : « Quand le réel devient insupportable, il faut le métamorphoser (…), mais l’art, illusoire échappatoire, (…) détruit Anna ». 3. S’initier à sa différence… : « Fuyant un monde égaré, les héroïnes se perdent dans l’imaginaire ; à vouloir sublimer l’existence en la tirant vers l’utopie du rêve, elles se métamorphosent en chimères ». 4. L’expérience de la douleur : de l’élévation à la chute : « Argento éprouve les héroïnes par la souffrance et la perversité : tantôt elles sombrent, tantôt elles sont sauvées ».

Une approche passionnante de l’univers imaginé par Dario Argento dans ces quatre films.

Sur le Blu-ray du film :

Dialogue entre Dario et Asia Argento (en français, 68’). Enregistré à la Cinémathèque Française pendant la Rétrospective Dario Argento du 6 au 31 juillet 2022, animé par Jean-François Rauger, à la suite de la projection du film. Le film devait initialement être tourné aux USA avec Bridget Fonda. Le scénario a dû être réécrit pour situer l’histoire à Florence, là où Stendhal avait éprouvé et décrit le malaise qu’il a éprouvé dans l’église Santa Croce. La scène de l’entrée dans le tableau, emblématique du film, a été imaginée au cours du tournage. Dario Argento avoue son admiration pour Luis Buñuel, « le maître du rêve au cinéma »… Un entretien trop long, pour un apport limité au film.

Sur le Blu-ray de bonus :

Nice to meet you. Please don’t love me (documentaire d’Yves Montmayeur, 2004, 70’). « Qu’est-ce qui pousse mon père à vouloir tuer toutes les femmes de la famille ? » se demande Asia Argento qui a commencé sa carrière d’actrice à 9 ans avant de réaliser en 2000 son premier film, Scarlet Diva. Yves Montmayeur la suit aux USA pendant le tournage de Le Livre de Jérémie (The Heart Is Deceitful Above All Things), sélectionné à Cannes par la CICAE (Confédération Internationale des Cinémas d’Art et d’Essai), un film dont elle a assuré l’écriture, le casting et la réalisation et dans lequel elle tient le rôle principal, sur le thème de la maltraitance des enfants. On la voit aussi avec sa mère, l’actrice Daria Nicolodi, puis mettre en scène un défilé pour Gianfranco Ferré… Interprète toutes sortes de personnages étranges, elle l’avoue : « I look like a freak! ».

Analyse du film par Jean-Baptiste Thoret (22’), critique et historien du cinéma, réalisateur en 2019 de Dario Argento : Soupirs dans un corridor lointain, nous propose une brillante analyse du film. Il voit dans Le Syndrome de Stendhal une des oeuvres les plus inventives de Dario Argento, suscitée par un souvenir d’adolescence pour lequel il obtint l’autorisation exceptionnelle de tourner à l’intérieur de la Galleria degli Uffizi. Un film emblématique de son oeuvre : il « brouille les frontières » et montre que « le mal est plus fort que la figure qui l’incarne » et s’avère « une brillante relecture du Vertigo de Hitchcock ». Le nom d’Anna, un palindrome, souligne l’ambiguïté et la réversibilité de l’héroïne qui entretient « un rapport organique à l’art, à la fois fascinant et angoissant »…

Interview d’époque de Dario Argento (italien sous-titré, 4’). « Les oeuvres d’art ne sont pas un passe-temps frivole (…) elles sont porteuses de messages puissants, bouleversants et troublants », ce que démontre le syndrome de Stendhal qui frappe certains visiteurs de musées.

Interview d’époque d’Asia Argento (italien sous-titré, 3’). Elle souligne l’aspect « boîte de Pandore » de l’art, rappelle l’aide que lui a apportée Graziella Magherini pour entrer dans la personnalité ambiguë d’Anna.

Rencontre avec Luigi Cozzi (italien sous-titré, 9’), réalisateur et scénariste. Journaliste en 1970, il se souvient d’avoir sympathisé avec Dario Argento. Il fut le premier à l’interroger sur son film L’Oiseau au plumage de cristal, après quoi le réalisateur lui demanda de contribuer à l’écriture de 4 mouches de velours gris (4 mosche di velluto grigio, 1971), puis de l’assister pour la réalisation de Le Syndrome de Stendhal et d’autres films pour la télévision ou le grand écran, comme Phenomena (1985) ou Trauma (1993). Pour lui, Dario Argento a « repoussé les limites de la connaissance cinématographique »…

Une journée sur le plateau (8 août 1995, italien sous-titré, 35’). Pour Giuseppe Rotunno, directeur de la photographie de plusieurs films de Luchino Visconti, la mission du chef-opérateur est de matérialiser la vision du réalisateur, à l’aide de différentes palettes de couleurs qui doivent « s’adapter aux histoires qu’il raconte ». Asia Argento dit s’efforcer de rester elle-même de film en film, n’étant que « l’instrument, pas le musicien ». Dario Argento a perçu Asia comme l’interprète idéale d’Anna et a a sélectionné, hors de la Galerie des Offices, quelques tableaux qui l’avaient particulièrement impressionné, comme La Ronde de nuit de Rembrandt ou La Chute d’Icare de Brueghel…

Bande-annonce (1’).

L’image, au ratio d’origine de 1.85:1, fraîchement restaurée, réencodée au format 1080p, AVC, d’une impeccable propreté, lumineuse et bien contrastée, avec des couleurs agréablement saturées et des noirs denses, affiche une bonne résolution. Fin et homogène, le grain du 35 mm a été préservé.

Le son, parfaitement nettoyé, sans souffle, a subi un remixage au format DTS-HD Master Audio 5.1 qui ne crée pas une réelle impression d’immersion dans l’action, mais aère l’accompagnement musical, sans effets artificiels indésirables. Une assez bonne dynamique assure le réalisme de l’ambiance.

Le doublage en français, affecté par un fort bruit de fond et des dialogues trop en avant, peu naturels, n’a pas été pris en compte pour l’attribution de la note.

Crédits images : © Cine 2000, Medusa Film