China Gate (1957) : le test complet du Blu-ray

Réalisé par Samuel Fuller
Avec Gene Barry, Angie Dickinson et Nat 'King' Cole

Édité par Carlotta Films

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Le 28/06/2019
Critique

Film de guerre rare, inédit en France au cinéma alors qu’il était dédié à la France par Fuller, enfin édité en version restaurée.

China Gate

China Gate (Porte de Chine, USA 1957) de Samuel Fuller est son troisième film de guerre (ou quatrième selon qu’on considère Le Démon des eaux troubles (Hell and High Water, USA 1954) davantage comme un film de guerre ou comme un film d’espionnage) après J’ai vécu l’enfer de Corée (The Steel Helmet, USA 1951) et Baïonnette au canon (USA 1951) qui étaient consacrés à la guerre de Corée tandis qu’ici c’est la guerre d’Indochine qui est le sujet de l’action située en 1954. Les critiques français des années 1960 qui ne pouvaient le voir qu’à la Cinémathèque française et en VOST, l’inscrivirent parfois dans sa filmographie sous le titre occasionnel de Porte de Chine assurément plus poétique et évocateur que son titre belge d’exploitation Commando chez les Viets. C’est peut-être moins son érotisme fugitif (un panoramique langoureux en CinemaScope sur les jambes nues d’Angie Dickinson) et sa violence graphique occasionnelle (le pied d’un soldat est traversé par un piège à clous) que la crainte d’avoir un film un peu trop politique et anticommuniste sur les bras qui explique qu’aucun distributeur français de 1957 ne l’ait sorti chez nous au cinéma.

Film de guerre tourné en temps presque réel (on filme en 1957 une action censée avoir eu lieu en 1954). Fuller y montre, sans précaution oratoire excessive (c’est le moins qu’on puisse dire) le combat américain prenant la suite naturelle du combat français contre le communisme en Asie. Cet anticommunisme militant clair, net et lucide, ne pouvait que lui valoir, dans la France de 1957, l’antipathie d’une partie non négligeable de la critique et du public, celle influencée par la propagande rouge stalinienne et maoïste. Après tout, ce n’était pas la première fois que la censure française s’inquiétait de l’anticommunisme offensif de Fuller : elle avait déjà poussé son distributeur français de l’époque à scandaleusement modifier l’histoire du Le Port de la drogue (Pick-Up on South Street, USA 1952) pour le transformer, une fois doublé en VF, en un film noir purement policier où il s’agissait de trafic de drogue alors que c’était en VOSTF un film d’espionnage dénonçant un réseau communiste infiltré aux USA. China Gate est donc, de ce point de vue, un classique rare du cinéma de la guerre d’Indochine, un de ses titres situés au carrefour du cinéma du réel (portraits de Ho-Chi-Minn, de Mao et de Staline filmés, etc.) et du cinéma de la fiction.

China Gate

Ensuite, film de guerre thématiquement comme plastiquement traversé, comme de nombreux autres films de Fuller, par la folie. Les stocks-shots de l’invasion japonaise de l’Indochine française et de la guerre d’Indochine puis de la guerre de Corée instaurent d’emblée un climat apocalyptique proche du cauchemar auquel le récit s’assimile temporellement assez souvent. Le récit de l’ancien policier français de la place Pigalle devenu légionnaire est littéralement une histoire de fous. L’hallucination du légionnaire hongrois et sa conséquence presque meurtrière annoncent directement celles des aliénés (parmi lesquels un ancien combattant de la guerre de Corée) du Shock Corridor (USA 1963). Le casting lui-même a parfois quelque chose d’irréaliste voire de franchement surréaliste: Angie Dickinson en séductrice eurasienne, Lee Van Cleef en chinois communiste rouge, Marcel Dalio en prêtre catholique unijambiste.

Enfin, troisième thème non moins majeur dans sa filmographie, film de guerre anti-raciste. Il faut bien avoir conscience que cet anti-racisme est alors un sujet novateur et marginal. Dans le cinéma hollywoodien parlant de la seconde moitié du vingtième siècle, les couples mixtes ou inter-raciaux étaient assez souvent voués à la séparation ou à la mort par les scénaristes des films d’aventures et des films de guerre. Qu’on visionne, si on souhaite en avoir des exemples significatifs sur une longue durée, des titres aussi divers que L’Odyssée du Docteur Wassel (The Story of Dr. Wassell, USA 1944) de Cecil B. DeMille, La Canonnière du Yang-Tsé (The Sand Pebbles, USA 1966) de Robert Wise, Vietnam, un adroit mensonge (A Bright Shining Lie, USA 1998) de Terry George. On mesure alors d’autant mieux, rétrospectivement, l’audace des scénarios fullériens de La Maison de bambou (USA 1955), de China Gate ou de Le Jugement des flèches (Run of the Arrow, USA 1957) sans oublier celui de son plus tardif mais non moins remarquable Dressé pour tuer (White Dog, USA 1980) adapté d’une section du livre Chien blanc de Romain Gary.

China Gate

La syntaxe formelle de Fuller est assez souvent surprenante : par exemple le soldat agonisant contemplant une dernière fois en champ / contre-champs et plongée / contre-plongée, ses camarades tandis qu’ils dialoguent sur la mort et le paradis. Ou bien encore ces morts brutales filmées, montées d’une manière parfois si abrupte ou inattendue qu’elle confine, elle aussi, à la démence. L’expérience de la guerre lui inspire naturellement de telles scènes et de telles idées de plans mais il les pousse esthétiquement dans une direction irréaliste qu’il revendiquait, flirtant alors avec le surréalisme ou le fantastique. Le légionnaire américain joué par le chanteur noir Nat « King » Cole est ainsi, en dépit des notations réalistes qui lui confèrent une densité, parfois tiré du côté du phantasme : il chante deux fois une chanson douce, à peine intégrée à la continuité qu’elle commente poétiquement, un peu comme le choeur de la tragédie grecque dans l’antiquité. De telles audaces stylistiques (un film de guerre n’étant pas une comédie musicale mais le devenant ici presque à deux reprises) sont marquées du sceau de l’insolite dans le contexte des séries B produites par la Fox, pour laquelle Fuller produisit, écrivit et réalisa en toute liberté stylistique. Au total, China Gate est assurément un Fuller assez étonnant, invisible en France depuis environ 60 ans et qui mérite amplement d’être découvert.

China Gate

Présentation - 4,0 / 5

1 Blu-ray 50 Full HD (durée du film : 95 min. environ) + 1 DVD édités le 12 juin 2019 par Carlotta films. Image 2.35 N&B compatible 16/9, son mono DTS-HD Master Audio 1.0 en VOSTF, bonus : entretien avec Christa Lang Fuller et Samantha Fuller (41 min), film-annonce. Seul le Blu-ray a été testé.

Bonus - 4,0 / 5

Peace of mind : entretien avec Christa Lang Fuller et Samantha Fuller (41 min. environ) : l’actrice Christa Lang, la veuve de Fuller et leur fille Samantha. Ensemble riche de souvenirs et d’anecdotes de première main, bien illustré de photos de plateau et de tournage, de quelques affiches aussi et même d’un extrait de film privé tourné à Paris où la famille Fuller vivait dans les années 1980. On y apprend comment le plan du Bouddha décapité par les communistes fut filmé, quelles images furent problématiques concernant le niveau de censure de 1957, pourquoi Angie Dickinson fut la vedette, pourquoi Marcel Dalio fut si heureux de jouer un prêtre catholique unijambiste. Une réserve sur le titre donné par le réalisateur Robert Fisher à son documentaire car Fuller fut tout sauf un cinéaste de la « tranquillité de l’esprit » ! Concernant ce sujet, il vaut mieux relire le traité du philosophe romain stoïcien Sénèque, De tranquillitate animi. Une autre réserve concernant le féminisme de Fuller, revendiqué par sa veuve et sa fille. Il n’est pas original ni novateur : à Hollywood les femmes sont l’élément moteur ou les héroïnes principales de très nombreux films de genres très variés bien avant que Fuller ne devienne producteur. Son féminisme est, en revanche, réel, assurément sincère et traverse effectivement toute sa filmographie.

Film-annonce original de 1957: état argentique médiocre et format vidéo recadré. Angie Dickinson y est qualifiée de « new and exciting » : le second terme est assurément exact; le premier pas tout à fait car elle avait déjà tenu des rôles en vedette dans des séries B antérieures mais c’est bien ce Fuller qui constitue son premier titre filmographiquement significatif, avant que les cinéastes Andrew L. Stone, Howard Hawks, Daniel Petrie et Don Siegel ne la fasse accéder au statut de star au tournant des années 1960.

Au total, une bonne édition spéciale mais il manque tout de même une galerie affiches internationales et photos US (le jeu complet des 8 lobby cards colorisées est vendu environ 80 US$ sur internet en ce moment : l’investissement n’était pas pas irréalisable) sans oublier les « production stills » en N&B si jolies.

Cette édition Carlotta est cependant supérieure, concernant les bonus, à l’ancienne édition Blu-ray américaine Olive Films de 2013 qui en était, pour sa part, totalement dépourvue ! Encore une fois, le patrimoine américain est mieux traité en France qu’il ne l’est par les Américains eux-mêmes.

China Gate

Image - 4,0 / 5

2.35 compatible 16/9 N&B, en haute définition Full HD 1080/23,98p. C’est le master édité aux USA par Olive Films (c’est un film Fox d’origine en CinemaScope, au logo original bien conservé au générique d’ouverture) en 2013 qui arrive enfin, avec six ans de retard, chez nous grâce à Carlotta films. Copie argentique bien restaurée sauf quelques stock-shots à l’étalonnage erratique d’origine (montage d’actualités de guerre, un temple thaïlandais, des ruines cambodgiennes insérées au montage) par rapport au restant de la continuité. Une saccade d’une fraction de seconde probablement due à un plan manquant, durant un dialogue entre Gene Evans et Angie Dickinson. Excellent transfert vidéo, notamment durant les scènes nocturnes qui sont toutes admirablement gradées et nuancées, respectant la belle photo argentique signée Joseph Biroc qui travailla pour Fuller à plusieurs reprises à cette époque.

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio Mono 1.0 VOSTF uniquement, piste son très bien restaurée mais aucune VF d’époque à regretter puisqu’elle n’a jamais existé : le film demeura inédit au cinéma en France. Il n’était visible qu’à la Cinémathèque française en VOSTX. Il arrivait, durant la grande époque d’Henri Langlois, que la CF projette des films américains, inédits commercialement dans le circuit normal, en VOSTF mais aussi ST en hollandais ou en flamand ou pas ST du tout. Effets sonores (détonations du combat nocturne au pistolet-mitrailleur USM3 dans la jungle) très dynamiques. Musique classique nourrie d’effets « exotiques » asiatiques traditionnels mais efficace signée Victor Young, « achevée par son ami Max Steiner » (ainsi crédité au générique, suite à la mort de Young). Et une chanson douce chantée par Nat « King » Cole qui porte le titre du film et commente le sens de son scénario.

Crédits images : © 1957 MELANGE PICTURES LLC. TOUS DROITS RÉSERVÉS.

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 29 juin 2019
Film de guerre rare, signé Samuel Fuller, inédit en France alors qu'il était dédié à la France, enfin édité en version restaurée.

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