Fellini Satyricon (1969) : le test complet du Blu-ray

Satyricon

Blu-ray + DVD - Version Restaurée

Réalisé par Federico Fellini
Avec Martin Potter, Hiram Keller et Max Born

Édité par Potemkine Films

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Le 14/05/2019
Critique

Un casting d’une grande diversité favorisant l’érotisme, l’insolite et le fantastique dans des vignettes s’emboîtant telles des poupées russes.

Fellini Satyricon

Empire romain, entre Naples et Tarente, au 1er siècle après J.C. : Encolpe, Ascylte et Giton fuient le tremblement de terre qui a détruit leur immeuble souterrain. Ils assistent, en compagnie du poète Eumolpe, au festin de Trimalcion, parvenu enrichi et débauché qui se pique de poésie : on lui raconte l’histoire de la matrone d’Éphèse. Enrôlés de force sur une galère, ils sont libérés par un changement brutal d’empereur, provoquant suicides, exécutions mais aussi affranchissements d’esclaves. Ils dérobent un hermaphrodite vénéré dont le culte semble d’un bon rapport mais son exposition à la lumière le tue. Encolpe devient impuissant : une sorcière lui restitue sa virilité. Ils croisent aussi un Minotaure et même des légataires anthropophages. Encolpe, lassé, embarque pour l’Afrique. De nos jours, une mosaïque fragmentaire restitue des portraits des protagonistes.

Fellini-Satyricon (Ital. 1968) de Federico Fellini est adapté du roman de C. Petronius Arbiter, Satiricon dont la structure picaresque et le réalisme sont avérés mais dont la longueur demeure sujette à discussion : entre 15 et 35 livres selon les historiens des lettres latines. On a souvent écrit ou dit que Fellini s’en était inspiré d’assez loin alors que plusieurs épisodes en sont directement transcrits, à commencer par celui qui occupe environ son tiers dans le texte latin conservé, à savoir le démentiel festin de Trimalcion (*). En outre, y sont bien illustrés certains éléments de la mentalité archaïque romaine dans la religion au temps de Néron (période où vécut Pétrone, mort en 65 après J.C.). La vénération puis le rapt de l’hermaphrodite en sont de beaux exemples (**). Ce point de vue archéologique est confirmé par la révélation finale de la mosaïque : l’histoire ancienne et l’histoire des mentalités sont brièvement redevenues vivantes, ressuscitées le temps du film, avant que le temps historique objectif ne les emporte à jamais, les transformant en données désormais muettes et fragmentaires.

Fellini Satyricon

C’est avec Fellini Roma (Ital. 1972), co-écrit avec le même scénariste Zapponi, qu’il faut mettre en parallèle Fellini-Satyricon : la démarche est la même; simplement on y dépeint l’histoire moderne et contemporaine de Rome au lieu de son antiquité. Structurellement, les deux titres accumulent des séquences en forme de vignettes, s’emboîtant telles des poupées russes dans un récit sans fin rationnellement assignable, vaguement unifié par un héros impersonnel. Fellini déclarait en 1968 que la création artistique consiste à unifier des fragments apparus dans son esprit. Il y a là l’idée d’une mise en lumière de choses qui, à peine éclairées, sont vouées à disparaître à jamais faute d’êtres rassemblées et représentées en récit. Qu’on se souvienne, dans Fellini Roma, de cette séquence où les mosaïques romaines antiques, brièvement déterrées par les travaux d’excavation du métro romain, s’effacent rapidement et inexorablement en quelques minutes sous l’effet du vent et de la lumière. Le lien entre les deux titres de 1968 et 1972 est ainsi clairement matérialisé, assimilant la psychologie des profondeurs à l’archéologie et à la mythologie.

Autre aspect fascinant du Fellini-Satyricon, son casting international d’une grande diversité favorisant l’érotisme, l’insolite et le fantastique : Capucine, Magali Noël, Lucia Bosé, Alain Cuny, Salvo Randone, Gordon Mitchell, Luigi Montefiori (alias Georges Eastman pour les connaisseurs du cinéma-bis des années 1970-1985) sont des figures connues que Fellini prend plaisir à opposer à des inconnus et à des non-professionnels néanmoins stupéfiants de réalisme psychologique et esthétique. Il aurait, dit-on, proposé le rôle de Trimalcion à Boris Karloff qui, alors malade, refusa. L’alliage produit un curieux effet de dépaysement et d’étrangeté, y compris pour les cinéphiles et les historiens du cinéma : il remet, au fond, le spectateur dans la situation où se trouvait le lecteur de Pétrone, immergé dans un univers marginal et inconnu aux règles obscures et au comportement imprévisible.

Fellini Satyricon

Fellini-Satyricon s’inscrit, dans l’histoire du cinéma italien, entre le Oedipe Roi (Ital. 1967) et la Médée (Ital. 1969) de Pier Paolo Pasolini. Ce n’est peut-être pas un hasard à moins qu’on ne préfère employer la formule de « hasard objectif » pour qualifier un tel hasard. Alors que le second âge d’or du péplum italien (1950 ou 1957 à 1965 : on peut discuter les bornes temporelles du terminus a quo alors que celles du terminus ad quem sont fixées) est achevé, ils constituent un curieux triptyque expérimental rendant un hommage réflexif au genre. Et ils le font en tenant compte de sa double postulation esthétique, historique et mythologique. On peut, certes, préférer la vision narrative classique d’un Riccardo Freda, d’un Mario Camerini, d’un Pietro Francisci, d’un Mario Bava, d’un Vittorio Cottafavi, d’un Carlo Campogaliani, d’un Giorgio Ferroni, d’un Antonio Margheriti, d’un Sergio Corbucci, d’un Sergio Leone, d’un Giacomo Gentilomo, d’un Victor Tourjanski, et de bien d’autres grands artisans qui donnèrent ses lettres de noblesse à ce second âge d’or. Pourtant, qu’on le veuille ou non rétrospectivement, ces expérimentations de Fellini et de Pasolini, si elles furent une évidente et réelle tentative de renouvellement du genre en raison de leur aspect réflexif et ouvertement intellectuel, lui appartiennent néanmoins bel et bien.

A tel point qu’elles ont influé son histoire par la suite de deux manières : sur le plan de l’érotisme d’une part, sur le plan plastique des décors d’autre part. Le directeur artistique du Fellini-Satyricon, Danilo Donati, travaillera en effet, dix ans plus tard, aux non moins prodigieux décors du Caligula (Ital.-USA 1977-1980) de Tinto Brass, co-produit par Franco Rosselllini et par Bob Guccione. Cette sulfureuse, monumentale et originale coproduction relança brièvement le genre sous la forme de séries B érotiques dans les années 1980-1985. Étrange trajectoire qui faisait revenir le péplum à une de ses sources muettes les plus authentiques, à savoir le Messalina (Ital. 1924) d’Enrico Guazzoni sans oublier un détour par les bandes-dessinées pour adultes (« fumetti », en l’occurrence la série des Vénus de Rome aux si belles couvertures couleurs) des années 1960. Ces dernières s’inspiraient non seulement de Tacite et de Guazzoni mais encore du Messaline (Ital. 1951) de Carmine Gallone et surtout, concernant le physique de leur héroïne, de l’actrice Belinda Lee dans Messaline (Messalina venere imperatrice) (Ital. 1960) de Vittorio Cottafavi. Il y a un fil rouge dionysiaque et orgiaque dans l’histoire du péplum des origines à nos jours et le Fellini-Satyricon y trouve naturellement sa place.

(*) Cf. Pétrone, « Satiricon », § XXVI, 7 à LXXVIII.

(**) Cf. Marie Delcourt, « Hermaphrodite - Mythes et rites de la bisexualité dans l’Antiquité classique », éditions Presses Universitaires de France, collection Mythes et religions, dirigée par P.-L. Couchoud, Paris 1958, §IV.

Fellini Satyricon

Présentation - 4,0 / 5

1 Blu-ray 50 édité par Potemkine le 07 mai 2019. Durée du film : 130 min. environ. Image Panavision et Technicolor en 2.35 Full HD. Son DTS HD MA 2.0. VF d’époque et VOSTF. Suppléments vidéo : 1 entretien avec le critique italien Italo Moscati, 1 entretien avec le cinéaste Dominique Delouche, 1 documentaire sur le tournage de 1968 par Dominique Delouche.

Bonus - 3,0 / 5

Entretien avec Italo Moscati (VOSTF, environ 20 min.) plus inspiré et intéressant que celui qu’on avait pu entendre à propos du Cadavres exquis de Rosi. Ici Moscati cite une intéressante remarque de Pier Paolo Pasolini à propos de l’art de Fellini qu’il assimile à la danse. C’est d’autant plus vrai à partir du moment filmographique où Fellini renonce au néo-réalisme puis au réalisme pour se diriger à partir de 1960 vers un cinéma phantasmatique toujours davantage expérimental sur le plan syntaxique comme formel. Intéressantes remarques historiques additionnelles de Moscati sur la manière dont Fellini voulut se démarquer de « Hollywood-sur-Tibre » et du péplum classique. Je suis convaincu, pour ma part, que son ambition profonde fut de réaliser un péplum et qu’il l’a effectivement réalisé, malgré qu’on en ait.

Entretien avec Dominique Delouche (VF, durée environ 35 min, 16/9, couleurs + NB) : document d’histoire du cinéma de première main puisque Delouche raconte sa rencontre avec Fellini le soir de la première de La Strada à Venise, comment il devint assistant de Fellini, notamment sur Fellini-Satyricon. Savoureuses anecdotes sur les castings (comment Alain Cuny accepta de se rendre gracieusement à Rome en 1960 sur La Dolce vita), sur l’utilisation des plateaux (ici le plateau n°5) de Cinecitta, sur l’évolution esthétique de Fellini vers le baroque.

Teatro numero 5 (VOSTF, 1968, durée environ 15 min., N&B, 4/3) : documentaire intéressant (dont le titre signifie « Plateau (de tournage) n°5 ») filmé par Delouche à Cinecitta pendant la préparation et le tournage d’une des scènes du festin de Trimalcion. Les sous-titres sont curieusement incrustés en plein milieu de l’image mais, leurs lettres étant noires sur fond gris, sont paradoxalement moins bien lisibles que des STF blancs ! A noter cette remarque de Fellini sur le statut de la création artistique qui consisterait à unifier des fragments épars de représentations. Elle justifie à elle seule la vision de ce document par ailleurs savoureux.

Excellente édition spéciale à laquelle il ne manque qu’une galerie affiches et photos d’exploitation italiennes et françaises, pour obtenir la note maximale dans sa catégorie. Elle ne peut cependant pas rivaliser, sur le plan des bonus, avec les colossaux suppléments de l’édition collector Criterion sortie aux USA en 2015, parmi lesquels on retrouve non seulement le documentaire de Gideon Bachman sur le tournage (édité en son temps par Carlotta en DVD) mais encore bien d’autres choses, à commencer par des entretiens avec Fellini et Rotunno, une comparaison pointilliste et érudite entre le roman de Pétrone et le film de Fellini, etc.

Fellini Satyricon

Image - 5,0 / 5

Panavision et Technicolor reportés en Full HD au format 2.35 compatible 16/9. Ce master provient probablement de la restauration supervisée, à partir d’un transfert 4K effectué à l’occasion du Blu-ray américain Criterion, par le directeur photo Giuseppe Rotunno lui-même. Copie argentique en excellent état sur l’ensemble (une poussière négative relevée sur un plan, en tout et pour tout) et transfert vidéo équilibré entre grain et lissage. Sur 130 minutes environ, pratiquement la perfection ! Les effets colorimétriques (équidensités durant le cheminement crépusculaire collectif vers la demeure de Trimalcion, par exemple) sont restitués avec une précision inédite.

Son - 5,0 / 5

DTS HD MA 2.0 mono pour la VOSTF et pour la VF d’époque : offre complète pour le cinéphile francophone. Pistes en bon état, son dynamique et clair. Effets sonores intenses (tremblement de terre vers le début, mise en scène sonore environnant le labyrinthe du Minotaure vers la fin) énergiquement restitués. La VF est un cran moins dynamique que la VOSTF mais elle est aux normes dramaturgiques de qualité des doublages de série A de l’époque et ses voix sont assez bien adaptées aux personnages. Le casting étant international, certains acteurs furent postsynchronisés en auditorium pour la VO italienne, ce qui explique que certains mouvements de lèvres ne soient pas toujours parfaitement synchrones, pour un oeil exercé.

Crédits images : © Potemkine Films

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 4 juin 2019
Le seul péplum authentique réalisé par Fellini en 1968, d'après le roman de Pétrone écrit au 1er siècle après J.C.

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