Outside Morris Engel & Ruth Orkin - L'intégrale (1953) : le test complet du Blu-ray

Little Fugitive + Weddings and Babies + Lovers and Lollipops + I Need a Ride to California

Réalisé par Morris Engel
Avec Richard Brewster, Winifred Cushing et Jay Williams

Édité par Carlotta Films

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Le 03/05/2021
Critique

Première sortie de l’essentiel de la filmographie de Morris Engel, un photographe new-yorkais considéré comme le premier cinéaste américain indépendant.

Outside Morris Engel & Ruth Orkin

Le coffret Outside Morris Engel & Ruth Orkin rassemble les quatre longs métrages de fiction (et quatre courts métrages documentaires) réalisés par Morris Engel que les historiens s’accordent aujourd’hui à reconnaître comme le premier cinéaste indépendant des USA avec Little Fugitive, sorti cinq ans avant Shadowsde John Cassavetes.

Le Petit fugitif (1953, 1.33:1, noir et blanc, 81 minutes). Brooklyn dans les années 50. Sa mère confie à Lennie la garde de son petit frère Joey car elle doit se rendre au chevet de la grand-mère, malade. Lennie avait prévu de passer le weekend avec ses amis. Irrité de devoir emmener son petit frère partout avec lui, il décide de lui jouer un tour en simulant un accident de carabine sur un terrain vague. Persuadé d’avoir causé la mort de son frère, Joey s’enfuit à Coney Island où il va passer une journée et une nuit d’errance au milieu de la foule et des attractions foraines…

Lovers and Lollipops (1956, 1.33:1, noir et blanc, 82 minutes). Peggy, sept ans, vit seule à New York avec sa mère Ann, une veuve. Lorsque cette dernière se met à fréquenter un ami de longue date, la petite fille le ressent comme une menace sur ses liens avec sa mère. Peggy s’emploie alors à empêcher que la relation entre les deux adultes se développe…

Weddings and Babies (1958, 1.66:1, noir et blanc, 78 minutes). Dans le quartier de Little Italy à New York, Bea, d’origine suédoise, aspire à fonder une famille avec Al, photographe spécialisé dans les mariages et naissances. Mais ce dernier ne semble pas prêt à franchir le pas. L’apparition soudaine de la mère âgée d’Al, expulsée de son logement, ne fait qu’aggraver la situation…

I Need a Ride to California (1968, 1.37:1, couleurs, 80 minutes). À la fin des années 60, Lilly, une jeune Californienne venue à Greenwich Village pour y vivre la révolution hippie. Elle explore les rues, appareil photo à la main, et va vite se rendre compte que la ville et les gens qu’elle rencontre ne sont pas aussi amicaux qu’elle le souhaiterait…

Morris Engel et son épouse, Ruth Orkin, deux photographes de New York et leur ami écrivain Ray Ashley entreprirent, en 1953, la réalisation d’un premier long métrage, Le Petit fugitif (Little Fugitive), avec les moyens du bord, assurant seuls l’écriture du scénario, la photographie et le montage. Rejeté par Hollywood, le film fut distribué par un petit producteur indépendant de New York et fut nommé aux Oscars et salué à Venise par un Lion d’argent.

Filmé avec une caméra 35 mm, légère, conçue par lui à partir d’une Cunningham de l’armée, Le Petit fugitif a une composante autobiographique : Morris Engel, dont le père est décédé alors qu’il avait 3 ans, a passé sa tendre enfance à Coney Island.

Outside Morris Engel & Ruth Orkin

Un poète de l’art urbain

Outside Morris Engel & Ruth Orkin, dans chacune des quatre oeuvres, dont Morris Engel est le principal artisan, est aussi un témoignage sur la vie des quartiers populaires du New York des années 50 et 60, de Coney Island pendant les weekends d’été, de Little Italy, filmé en septembre pendant le festival de San Gennaro, de Greenwich Village et Washington Square où défile, sous l’administration Nixon, une manifestation contre la guerre au Viêt Nam. L’aspect documentaire est soutenu par l’emploi d’acteurs non professionnels, à l’exception de Weddings and Babies où apparaît, en tête de distribution, l’actrice suédoise Viveca Lindfors, alors au faîte de sa célébrité après A l’ombre des potences (Run for Cover, Nicolas Ray, 1955) et Les Contrebandiers de Moonfleet (Moonfleet, Fritz Lang, 1955).

Outside Morris Engel & Ruth Orkin est, essentiellement la création d’un photographe. Les cadres rigoureusement construits, sous lumière naturelle, sont pris par une caméra portée, si discrète qu’elle paraît échapper à l’attention des sujets, des passants dans les rues, sur la plage et sur les planches de Coney Island. Le réalisateur s’intéresse, le plus souvent, à des enfants occupés à leurs jeux. Il démontre, dans les trois premiers films, sa maîtrise du noir et blanc.

Ce qui ne l’empêche pas de jouer brillamment avec les couleurs dans I Need a Ride to California, dans de nombreux plans : d’un rêve avec la projection d’images sur un couple, d’un atelier de couture, d’enfants devant des murs couverts de graffiti et, hors de la ville, de la forêt en automne, des bords d’un étang avec des effets de lens flare roses…

I dream that all my dreams will come true

Le regard positif porté sur les quartiers populaires de la ville, avec des piques d’un humour toujours bienveillant, ne masque pas la précarité des conditions de vie et, aussi, une forme de désenchantement, symbolisée par l’issue dramatique de I Need a Ride to California, la fin du rêve de Lilly dans sa quête d’un bonheur insouciant.

La sortie de Outside Morris Engel & Ruth Orkin, une louable initiative de Carlotta Films, permettra aux cinéphiles français de découvrir quatre films largement méconnus, des témoins de l’histoire du cinéma, maintenant disponibles en vidéo en France, en même temps que l’édition Kino Korber aux USA.

Outside Morris Engel & Ruth Orkin

Présentation - 3,0 / 5

Outside Morris Engel & Ruth Orkin, la collection de quatre longs métrages d’une durée de 320 minutes et de suppléments (132 minutes) tiennent sur trois Blu-ray BD-50 logés dans un digipack à trois volets, glissé dans un étui.

Un menu fixe et musical propose les films dans leur langue originale, en anglais avec sous-titres optionnels, au format audio DTS-HD Master audio 1.0. Seul Little Fugitive est accompagné d’un doublage en français.

Bonus - 3,0 / 5

Sur le Blu-ray 1 :

Le chaînon manquant, introduction d’Alain Bergala (11’, une exclusivité Carlotta Films). Sorti la même année que Monika d’Ingmar Bergman, Little Fugitive marque l’avènement aux USA du « cinéma moderne », né dans l’Italie de l’immédiat après-guerre avec Roberto Rossellini et Vittorio De Sica, apparu en France en 1959 avec la Nouvelle vague et dont John Cassavetes sera le porte-drapeau aux USA à partir de 1958 avec Shadows. Un film tourné dans la précarité, avec 30 000 dollars et une minuscule caméra 35 mm, spécialement conçue pour passer inaperçue. Le Lion d’argent a propulsé le film, sorti aux USA dans 5 000 salles. Remarqué par François Truffaut et les Cahiers du cinéma, il annonce À bout de souffle et Les 400 coups.

The Dog Lover, court métrage de Morris Engel (1962; 24’). Susie, 5 ans, tarabuste ses parents pour qu’ils acceptent de recueillir un chien perdu.

Morris Engel : l’indépendant (2008, 28’), une biographie racontée par sa fille, Mary Engel, avec Richie Andrusco, le Joey de Little Fugitive. Morris Engel, né en 1918, orphelin de père à 3 ans, élevé par sa mère et ses trois soeurs, fan de cinéma dès son jeune âge, surtout des westerns avec Tom Mix, devint photographe à 18 ans en rejoignant The Photo League (devenu The Feature Group) où il rencontra Paul Strand. Pendant la guerre, il est photographe de la US Navy, sous la direction d’Edward Steichen, et survit au débarquement en Normandie. Il se lia en 1940 avec Ruth Orkin, une autre photographe, avec laquelle il réalisa Little Fugitive et Lovers and Lollipops. Morris Engel a tourné de nombreux films de famille en 16 mm dans les années 60 et des films publicitaires puis, en 1968, son quatrième long métrage, I Need a Ride to California. À l’occasion d’une exposition de ses photos, prises pour la plupart dans les rues, Morris Engel explique son approche. Filmés sur les planches de Coney Island, Morris Engel et Richie Andrusco revivent, des décennies plus tard, le tournage de Little Fugitive. Morris Engel parle ensuite des films suivants, Lovers & Lollipops et Weddings and Babies. Des réalisateurs soulignent son influence sur le cinéma américain. Un hommage lui est rendu avec la remise du Pioneer of Independent Cinema Award en 2002, puis lors d’une cérémonie en son souvenir au MoMA (Museum of Modern Arts), le 19 avril 2005, six semaines après sa mort.

Films de famille (11’, 1.33:1, noir et blanc et couleurs, non sonorisés). Ses enfants, Andy devant un miroir en 1960, dans une supérette, Mary et Andy en 1958, au bassin et sur le lac de Central Park, envahis par la foule dans l’été 1968.

Outside Morris Engel & Ruth Orkin

Bande-annonce originale (45”) et bande-annonce 2009 (1’14”) de Little Fugitive.

Sur le Blu-ray 2 :

One Chase Manhattan Plaza, court métrage de Morris Engel (10’, 1.33:1, noir et blanc, 1961), documentaire sur la tour de la Chase Manhattan Bank, construite en 1961, et les gens qui y travaillent, au tri d’un impressionnant volume de courrier, à la frappe des documents dans un immense pool de dactylos, à la perforation de cartes par des mécanographes, au comptage des billets à la main, des pièces par des machines, à la transmission des documents d’un service à un autre par pneumatiques…

Ruth Orkin : images de la vie (18’, 1.33:1, noir et blanc et couleurs, 1995), un documentaire de Mary Engel. Née à Hollywood d’une actrice du cinéma muet et d’un constructeur de modèles réduits, Ruth Orkin s’intéresse à la photographie documentaire, « à capturer le vie » et s’est lancée dans le métier comme photographe dans un night-club, puis comme photojournaliste avant de publier ses premiers clichés dans les nouveaux magazines de photo. Elle rejoint la Photo League où elle rencontre Morris Engel, crée un album sur le Boston Symphony Orchestra, puis assure le montage de Little Fugitive. Une rétrospective de son oeuvre organisée en 1974 à Nikon House assoie sa réputation.

Still Life (4’). Ruth Orkin, interviewée dans le magazine Still Life de la chaîne WNBT après une exposition de ses oeuvres au MoMA. Le présentateur lui demande comment une femme peut accéder au métier de photographe exigeant des connaissances techniques ; elle le rassure : les femmes ont, elles aussi, la capacité d’acquérir ces connaissances !

Sur le Blu-ray 3 :

Peace Is (11’, 1.33:1, couleurs, 1968), un documentaire de Morris Engel. Dans les rues de Manhattan, à Noël, le rendez-vous d’une jeune femme faisant du lèche-vitrines avec une fillette et d’un homme qui doit livrer un sapin. Avec chansons, bulles de savon et… couleurs délavées.

The Farm They Won (10’, 1.33:1, noir et blanc, 1951), un documentaire sur la vie assez rude de « pionniers de la dernière heure », un couple avec trois jeunes enfants, récemment installés sur des terres agricoles cédées par l’Oncle Sam dans le Far West, en application du Homestead Act, toujours en vigueur depuis un siècle. Réalisé par Morris Engel, un an avant Little Fugitive.

Films publicitaires (3’, 1.33:1, noir et blanc) pour trois produits, Fab, la fabuleuse lessive en poudre, Ivory, le savon qui adoucit tant la peau qu’on pourrait prendre une grand-mère pour une adolescente, et Oreo, le meilleur biscuit au chocolat au monde.

Outside Morris Engel & Ruth Orkin

Image - 4,0 / 5

L’image (1080p, AVC), en noir et blanc de Little Fugitive (1.33:1), assez stable, après une restauration qui a laissé subsister quelques rayures mais contrôlé le bruit dans le respect de la texture argentique, affiche un dégradé de gris agréablement contrasté. Celle de Lovers and Lollipops (1.33:1) et de Weddings and Babies (1.66:1), affectée par une instabilité occasionnelle et par quelques taches qui ont échappé à une restauration sommaire, certaines très visibles, souffre aussi d’une faiblesse des contrastes, particulièrement dans les séquences en intérieur.

L’image en couleurs richement saturées de I Need a Ride to California (1.37:1, 1080p, AVC), restaurée par le MoMA, souligne le plaisir éprouvé par Morris Engel à jouer, pour la première fois, avec les couleurs, dans des plans de projection d’images sur un couple, d’un atelier de couture d’enfants devant des murs couverts de graffiti, de forêts en automne avec des effets de lens flare roses. Dommage que les restaurateurs n’aient pas éliminé toutes les taches et rayures occasionnelles (certaines en plein milieu du cadre), un assez fort bruit sur les fonds de ciel et une certaine instabilité.

En dépit de ces remarques, l’impression d’ensemble est satisfaisante. La note est une moyenne entre celles attribuées à Little Fugitive (4,5/5), à I Need a Ride to California (4/5) et les deux autres films (3,5/5).

Son - 4,0 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 1.0 a été débarrassé des bruits dus à une dégradation de la source, mais pas toujours du souffle dans quelques séquences, en particulier de Weddings and Babies. Quelques saturations, mais une remarquable dynamique pour I Need a Ride to California.

Ces remarques valent pour le doublage en français, peu naturel, de Little Fugitive.

Crédits images : © Little Fugitive Production Company - Morris Engel Associates - Spire Production Company

Configuration de test
  • Vidéo projecteur JVC DLA-X70BRE
  • OPPO BDP-93EU
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • TEST EN RÉSOLUTION 1080p - Diagonale image 275 cm
Note du disque
Avis

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Philippe Gautreau
Le 4 mai 2021
Quatre films inédits de Morris Engel, tournés à New York avec une incroyable économie de moyens. Aujourd’hui reconnu comme le premier cinéaste américain indépendant, bien avant John Cassavetes, il influencera la Nouvelle Vague en France. À découvrir, avec des courts métrages et d’utiles suppléments.

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