Les Chiens (1979) : le test complet du Blu-ray

Un des meilleurs films fantastiques d’Alain Jessua, renouvelant un thème classique du genre.

Banlieue parisienne, 1978 : le docteur Ferret récemment installé dans une « ville nouvelle », reçoit en consultation de plus en plus de patients mordus par des chiens dressés à l’attaque. Il découvre qu’ils sont vendus par Morel, un éleveur charismatique, à l’étrange personnalité, qui dirige un centre de dressage. Ferret est appelé un soir par la police pour constater le viol d’Elisabeth dont il tombe bientôt amoureux. Traumatisée, elle succombe à l’influence de Morel et adopte à son tour un chien d’attaque. L’emprise de Morel sur la ville s’étend, les morts suspectes se multiplient, le comportement des habitants de la ville se modifie.

Les Chiens (Fr. 1979) de Alain Jessua (1932-2017), sur un scénario de Jessua et André Ruellan, est un des films fantastiques français les plus inattendus et les plus originaux de la période 1970-1980.

Sur la dizaine de titres écrits, adaptés, réalisés et produits (ici en collaboration) par Alain Jessua entre 1964 et 1997, c’est probablement un des meilleurs en raison de l’habileté avec laquelle il actualise, en le déplaçant et en le transformant, un thème classique de la littérature et du cinéma fantastique (la lycanthropie) en l’adossant à un thème sociologique (la délinquance en banlieue parisienne) contemporain de sa réalisation.

Bien sûr, la comédie dramatique, la critique sociale, le cinéma policier sont occasionnellement convoqués mais c’est finalement bien de la perspective d’une modification sournoise de la nature humaine qu’il est question. Les chiens les plus importants dans le scénario sont des chiens-loups (ici, comme souvent le sont les animaux, excellents acteurs car ils ignorent le paradoxe de Diderot sur l’art dramatique) très bien dressés par André Noël, notamment la chienne nommée Lilith. Ce n’est pas la seule allusion biblique : le centre commercial se nomme l’Apocalypse. Quelque part, des deux côtés de l’Atlantique, les cinéastes George A. Romero et Alain Jessua avaient eu la même intuition en 1978 concernant l’importance symbolique prise par ces centres commerciaux gigantesques, intuition certes différemment illustrée mais à la signification similaire. Le personnage eugéniste (eugénisme animal mais par ricochet eugénisme in fine inhumain) de Morel, admirablement incarné par Gérard Depardieu, se veut le nouveau médiateur entre ces chiens-loups et les hommes, médiateur presque tragique en raison de la solitude acceptée à laquelle il se condamne mais aussi très inquiétant en raison du but dominateur inavouable qu’il poursuit.

Cette parabole de Jessua n’a certes pas l’évidente puissance philosophique de certains romans classiques de science-fiction tels que La Planète des singes de Pierre Boule ou que Demain les chiens de Clifford D. Simak qui traitaient déjà le thème de la régression de l’homme supplanté par des races animales autrefois domestiques. Elle n’a pas non plus leur ampleur spectaculaire (Boule) ou temporelle voire mythique (Simak). Ce qui intéresse ici Jessua, c’est bien plutôt, à partir d’une parabole ancrée dans la réalité sociologique la plus quotidienne, de suggérer, par l’accumulation de détails insolites, une terrible menace. Il y réussit.

1 Blu-ray-50 Full HD 1080p région B + 1 DVD-9 zone 2 PAL, édités par Studio Canal le 30 juin 2021, volume 36 de la collection « Make my day ! », dirigée par J.-B. Thoret. Durée du film : 99 min. 35 sec. sur Blu-ray, 96 min. sur DVD. Image au format original 1.66 respecté, couleurs, compatible 16/9. Son DTS HD Master Audio 2.0 en VF originale sur Blu-ray, en Dolby Audio sur DVD. Suppléments : présentation par J.-B. Thoret (2021), entretien avec Philippe Rouyer (2021), entretien avec Alain Jessua et Nicole Calfan (2006). Digipack sous étui illustré par l’affiche française d’époque 1978 et une illustration stylisée originale 2021. Sous-titrage pour sourds et malentendants, activable à la volée.

Préface et analyse de Jean-Baptiste Thoret (2021, durée 8 min. environ) : brève mais situant et jugeant suffisamment bien le titre dans la filmographie de Jessua, thématiquement comme esthétiquement ; Thoret assure que le film fut tourné à Marne-la-Vallée mais son bon texte de présentation (texte qui se suffisait amplement à lui-même sans qu’on ait besoin de lui rajouter une présentation orale, à mon sens) au verso de l’étui et du boîtier assurent qu’il le fut à Torcy. Qui dit vrai ? Les deux à la fois, en fait, car Torcy est une commune située dans Marne-la-Vallée.

Entretien avec Philippe Rouyer (2021, durée 55 min. env.) : débute par une comparaison du livre (ce qu’on appellerait une « novelization » aux USA) écrit par André Ruellan avec le film écrit par Jessua et Ruellan, se poursuit par une revue filmographique des titres de Jessua, puis s’achève par une longue, méticuleuse, pointilliste analyse du film. Très bonnes remarques sur le découpage du générique d’ouverture, sur la contamination de la comédie dramatique par le fantastique. Mais l’ensemble est beaucoup trop long, en raison de la présence de nombreux extraits du film.

Entretien avec le cinéaste Alain Jessua puis l’actrice Nicole Calfan (2006, durée 25 min. env.) : interrogés par Anne Andreu, le cinéaste puis l’actrice racontent leurs souvenirs de tournage (y compris sur le comportement des chiens durant le tournage) mais pas seulement : Jessua en profite pour décrire de son point de vue la genèse du film, la manière dont il l’avait conçu, revendique son intuition visionnaire. Une anecdote (l’attaque de Gérard Depardien par un chien dans un bar, peu de temps avant le tournage) est également racontée par Rouyer avec plus ou moins de détails et fait donc double-emploi mais elle est intéressante. Savoureuse anecdote de Jessua sur le procès (perdu) qui lui fut intenté par un dresseur (ou une association de dresseurs) qui estimait que son film portait atteinte à l’image de la profession. Sur le plan zoologique, anecdote intéressante de Nicole Calfan relative à une morsure car le chien hésitait entre l’ordre qu’elle lui donnait dans la fiction et l’ordre que son maître dresseur lui donnait quasi-simultanément : cette race si remarquable et intéressante des chiens-loups ne souffre pas la confusion, à la différence des hommes qu’elle seconde si efficacement en de nombreuses occasions.

Édition spéciale soignée à laquelle il ne manque, en somme, qu’une belle galerie affiche et photos d’exploitation pour atteindre le niveau collector.

Format original 1.66 respecté, en couleurs compatible 16/9 sur DVD9 PAL zone 2 + Blu-ray BD50 Full HD en 1080p AVC. Copie argentique en excellent état matériel. Numérisation soignée permettant de mesurer précisément les qualités de la photographie, en scènes diurnes comme nocturnes. Bon équilibre entre grain et lissage vidéo. Colorimétrie nuancée parfaitement restituée.

VF en DTS HD Master Audio 2.0, avec sous-titrage très soigné et intuitif pour sourds et malentendants en option : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Piste sonore parfaitement restaurée, en très bon état. Musique « toute en dissonnances » (J.-B. Thoret au verso de l’étui et du boîtier) mais au total assez discrète, signée René Koering et Michel Portal.

Crédits images : © A.J. Films, A.M.S. Productions, Les Films de la Drouette, Pacific Films