Le Vampire de Dusseldorf (1965) : le test complet du Blu-ray

Combo Blu-ray + DVD

Réalisé par Robert Hossein
Avec Robert Hossein, Marie-France Pisier et Danick Pattison

Édité par Sidonis Calysta

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Le 03/02/2022
Critique

Film noir policier inspiré de faits réels dont l’inquiétante objectivité débouche sur le fantastique.

Le Vampire de Dusseldorf

Düsseldorf, Allemagne 1930 : alors que la crise économique et sociale atteint de terribles proportions et que les Nazis préparent leur prise de pouvoir avec brutalité, la police traque un tueur psychopathe surnommé par la population rhénane « Le vampire » en raison de son terrible sadisme. Personne n’a l’idée qu’il puisse s’agir de Peter Kurten, homme timide et poli (mais au regard parfois inquiétant). Cet ouvrier, devenu chômeur méprisé le jour, erre la nuit tombée vêtu en bourgeois fortuné dans les rues et les cabarets, notamment à l’Eldorado où chante la belle Anna dont il est amoureux.

Le Vampire de Düsseldorf (Fr.-Ital.-Esp. 1965) de Robert Hossein est non seulement le meilleur film de Robert Hossein comme cinéaste et acteur mais encore l’un des meilleurs films fantastiques de toute l’histoire du cinéma français. Ironie du sort, c’est d’abord à Jules Borkon, le producteur de Les Yeux sans visage (Fr. 1960) de Georges Franju, qu’Hossein avait proposé le projet mais Borkon le déclina et ce fut finalement Georges de Beauregard, le producteur fétiche de la « Nouvelle Vague » française des années 1955-1965, qui lui donna carte blanche.

On sait que Hossein cinéaste a flirté dès le départ avec le cinéma fantastique, genre qu’il connaissait et aimait, tant en littérature qu’au cinéma, comme il le confiait durant l’hiver 1964-1965 à la revue Midi-Minuit Fantastique n°10-11. Dès son premier film noir policier, Les Salauds vont en enfer (Fr. 1955), le fantastique subvertissait le scénario grâce au personnage de femme fatale incarné par Marina Vlady. L’actrice et le cinéaste tentèrent d’obtenir un effet similaire, cinq ans plus tard, dans Toi… le venin (Fr. 1959). J’ai tué Raspoutine (Fr. 1967) présentait évidemment aussi certains aspect l’y rattachant mais c’est bien Le Vampire de Düsseldorf qui synthétisa au mieux son inspiration dans le genre.

Le Vampire de Dusseldorf

Hossein admirait non moins le M le maudit (M, All. 1931) de Fritz Lang que son remake américain par Joseph Losey en 1951, déjà inspirés par les événements de Düsseldorf : il estimait que l’expressionnisme avait empêché Fritz Lang d’atteindre l’équilibre idéal et thématique auquel Losey était, pour sa part, parvenu (jugement erroné : le film de Lang demeurant supérieur au remake de Losey sur tous les plans). Il voulait exploiter la capacité du format FranScope 2.35 (dont le chef-opérateur Alain Levent tira le meilleur parti) à restituer la profondeur de champ afin d’allier réalisme social et fantastique, peinture de la solitude et peinture de la société. Et il réussit admirablement cet alliage. Bien sûr les références sont évidentes : il y a quelque chose aussi de sternbergien dans le personnage interprété par Marie-France Piser : L’Eldorado où elle se produit est un hommage direct à L’Ange bleu (All. 1930) de Josef von Sternberg (lui aussi objet d’un remake américain en 1959, signé Edward Dmytryk, cinéaste qu’appréciait Hossein), la boîte louche où se produisait la Lola-Lola jouée en 1930 par Marlène Dietrich. De toutes ces références, Hossein offre cependant une vision personnelle.

D’abord en raison de l’interprétation de Robert Hossein acteur, dirigé par Robert Hossein cinéaste : sa composition du personnage de Peter Kurten est inédite, très originale (il l’avait parfois définie comme « Charlot vampire » et il y a parfois, en effet, une possible influence scénographique de Charlie Chaplin à certains instants : ici Hossein retrouve le secret de Tod Browning, alliant fugitivement le grotesque à la terreur, d’une manière parfois tout aussi effroyablement comique).

Ensuite par sa mise en scène qui fait revivre une atmosphère oscillant entre film noir policier, drame psychologique, cauchemar, horreur et d’épouvante. Hossein refuse aujourd’hui qu’on réduise son film à ce dernier aspect : il revendique une démarche d’auteur. Mais ici encore, comme souvent, le film achevé dépasse les aspirations de son créateur : Le Vampire de Düsseldorf est bien un des rares grands films fantastiques français du vingtième siècle. Son thème du meurtrier psychopathe l’y rattache, de toute manière, directement.

Le Vampire de Dusseldorf

Enfin par son aspect « Nouvelle vague », certes sensible à l’occasion (la scène du maquillage préfigure un peu ce que fera Visconti en 1969 dans Les Damnés et en 1971 dans Mort à Venise : lier d’une certaine manière le travestissement du visage non pas à un érotisme quelconque de l’androgynie mais bien plutôt à l’annonce symbolique de la mort) et dans certains tics de direction d’acteur, voire de non-direction (la voix atonale, la liberté de jeu de Marie-France Pisier en sont les signes les plus tangibles) qui semble aujourd’hui comme presque avalé et digéré par la tonalité générique qui l’englobe. L’ensemble s’est cristallisé, unifiant synthétiquement cette dualité initiale.

Film d’horreur et d’épouvante à la violence graphique, en général suggérée plutôt que montrée (mais très brutale lorsqu’elle l’est), film d’auteur influencé autant par Fritz Lang que par la Nouvelle vague française, Le Vampire de Düsseldorf maintient un niveau constant de suspense et d’angoisse, parsemé de touches de folies : les meurtres sont brefs ou bien alors traités elliptiquement et on ne voit, bien entendu, aucun des actes nécrosadiques par lesquels le véritable Kurten défraya la chronique. Si on en croit l’écrivain et historien Marcel Schneider, le film est, mis à part son contexte historique et social scrupuleusement reconstitué (certains faits sont inspirés des archives du procès), assez éloigné de la vérité biographique. Hossein a fait de Kurten un solitaire intégral au romantisme slave, lucide et désespéré alors que le véritable Kurten était marié (Schneider nous explique que sa femme travaillait comme serveuse la nuit et ne rentrait qu’à deux heures du matin). Il en a fait un ouvrier exploité et méprisé, puis un chômeur alors que le véritable Kurten était un camionneur en activité. Ces modifications accentuent l’étrange ambivalence sociale du personnage, résumée d’une manière saisissante par ce plan dans lequel Kurten aide une vieille dame à remonter un escalier.

Le Vampire de Dusseldorf

L’amour fou de Kurten pour la chanteuse est une belle invention du scénario : il est le symbole du grand thème surréaliste du monstre amoureux, thème central du cinéma fantastique depuis son âge d’or américain de 1931-1945. Mais Hossein fait aussi périr la femme aimée, pas seulement le monstre : c’est une notable touche de modernité qu’il partage avec certains cinéastes contemporains (Giorgio Ferroni, par exemple, quelques années plus tôt) du fantastique européen. En revanche, certains aspects biographiques conservés sont utilisés d’une manière remarquable : la conversion mystique du véritable meurtrier au catholicisme de son enfance est déjà très bien annoncée par son dialogue muet avec le Christ dans une église.

Très curieux mélange de premier et de second degré, de cinéma sincère et référentiel, de tradition et d’innovation, Le Vampire de Düsseldorf est un film qui ne laisse pas d’être fascinant pour bien des raisons : intemporel bien qu’il soit ancré dans la réalité historique la plus brûlante, procédant d’une vision romantique et analytique à la fois. L’actrice principale Marie-France a raison de le noter dans son bref entretien : c’est un film de détails tous plus surprenants les uns que les autres par la justesse de leur imbrication aboutissant au même effet d’étrangeté globale, de malaise insigne. Suprême alliage du film d’auteur (Hossein eut l’impression de faire partie un instant, grâce à lui, de la Nouvelle vague) et du cinéma de genre à l’époque le plus méprisé, Le Vampire de Düsseldorf demeure un film fantastique unique dans l’histoire du cinéma français.

Le Vampire de Dusseldorf

Présentation - 2,5 / 5

1 combo Blu-ray + 1 DVD édités par Sidonis Calysta le 1er février 2022. Durée du film : 90 min. 35 sec. env. (sur Blu-ray) et 87 min (sur DVD). Image 2.35 N&B Full HD 1080p (sur Blu-ray), son DTS-HD Master Audio 2.0 mono (sur Blu-ray), suppléments : présentation de Patrick Brion (2021), de François Guérif (2021), entretiens avec Robert Hossein (2004), avec Marie-France Pisier (2004), avec Marcel Schneider (2004), bande-annonce originale (1965). Sous-titrage pour sourds et malentendants disponible. Menu et illustration de boîtier assez élégants, reprenant des fragments de certaines affiches de 1965.

Bonus - 4,0 / 5

Les présentations de Patrick Brion et de François Guérif datent de 2021 ; les autres bonus proviennent de l’ancienne édition DVD française Opening de 2004 sauf les filmographies de Hossein et Pisier qui étaient proposées sur le DVD de 2004 mais qui ne sont pas reprises ici.

Présentation de Patrick Brion (2021, durée 9 min. environ) : très sommaire et à peine suffisante pour celui qui veut replacer ce titre en situation filmographique et historique. Je note avec plaisir que Brion partage mon admiration pour le film. Présentation illustrée parcimonieusement par quelques affiches (moins d’une dizaine).

Le Vampire de Dusseldorf

Présentation de François Guérif (2021, durée 13 min. 30) : plus précise car on y apprend que le film ne fut évidemment pas tourné à Düsseldorf, faute de moyens financiers, mais en partie à Versailles sans oublier les studios madrilènes du producteur Samuel Bronston. Je constate que Brion comme Guérif tombent d’accord avec moi pour considérer ce titre comme le meilleur de Hossein cinéaste (je pense que je fus probablement le premier à émettre ce jugement en 2004, au moment de l’édition de l’ancien DVD français Opening) mais Guérif refuse de le considérer comme un « film d’épouvante » : sa position est assez proche, de ce point de vue, de celle de Jacques Siclier dans Midi-Minuit Fantastique n°12 de mai 1965 (éditions Eric Losfeld, Paris 1965 puis reprise pp. 112-114 de la nouvelle édition Rouge profond, tome 3, Aix-en-Provence 2018). Guérif cite Paul-Louis Thirard, autre collaborateur régulier de MMF, mais ne mentionne pas cette critique de Siclier, pourtant assez intéressante concernant la réception du cinéma fantastique en France d’une part, la réception du cinéma de Hossein d’autre part. Présentation illustrée par quelques extraits du film. Attention : un panneau Sidonis préliminaire vous prévient de ne pas visionner cette présentation avant le film car Guérif en dévoile la fin.

Entretien accordé par Robert Hossein à Henri-Jean Servat (2004, durée 18 min. env.) : des aspects essentiels du film y sont évoqués : références à l’histoire du cinéma, rapport à l’actrice principal, à son père compositeur, au choix du format FranScope, circonstance du refus du producteur Jules Borkon et feu vert donné par Georges de Beauregard. Il ne fait pas double-emploi avec la lecture, nécessaire à celui qui veut aujourd’hui prendre la mesure exacte du film et de son cinéaste, de l’article publié par Robert Hossein sur « Le film d’horreur » dans Midi-Minuit Fantastique N°10-11, éd. Le Terrain vague, Paris hiver 1964-1965, pp. 17-19 (reprise in nouvelle édition Rouge profond, Aix-en-Provence 2015, tome 2 pp. 609-610) dans lequel Hossein esquissait sa propre conception historique et esthétique du genre fantastique - qu’il connaissait d’une manière approfondie - peu de temps avant qu’il n’entreprenne le tournage, en le situant réflexivement dans la perspective du M le maudit (All. 1931) de Fritz Lang et son remake M (USA 1951) de Joseph Losey.

Le Vampire de Dusseldorf

Entretien accordé par Marie-France Pisier: (2004, durée 1 min. 35 sec., 16/9). L’actrice vedette se souvient trop brièvement mais chaleureusement de sa collaboration avec Hossein. C’est d’autant plus dommage que ce rôle d’Anna demeure, en définitive, son plus beau rôle et aussi celui où elle était au sommet de son érotisme.

Entretien accordé par Marcel Schneider : (durée 17’30”, format 16/9). Cet écrivain fantastique est l’auteur avec Philippe Brunet d’une étude biographique sur Le Vampire de Düsseldorf (édition Pygmalion, Paris 1975) qui résume les faits authentiques qui ont inspiré le scénario des films de Lang et de Hossein. Il donne sa vision du personnage historique de Kurten (parfois aussi orthographié Kuerten par Roland Villeneuve, Loups-garous et vampires (édition revue J’ai lu, collection L’aventure mystérieuse, Paris 1970, p. 152), celle d’un psychopathe possédé brusquement à l’âge de 46 ans par le Mal. L’ensemble est très intéressant puisqu’il permet comme toujours de mesurer la distance qui sépare la réalité de l’oeuvre d’art, les points précis où elles s’accordent entre elles. Surtout, il permet de mesurer que le panneau mentionnant, en 1965, la fidélité historique du film de Hossein aux événements réels de 1931, est inexact : ni Lang (ni le remake de Losey parfois plan par plan) ni Hossein n’ont été totalement fidèles à la vérité historique, concernant Peter Kurten qui n’était d’ailleurs pas chômeur (comme chez Hossein) mais camionneur en activité au moment des faits.

Bande Annonce originale/ (format 2.35 compatible 16/9, durée 4 min. environ). Étonnamment longue, en état moins bon que le film : poussières positives et négatives, nombreuses griffures et saletés diverses. Mais très bien faite et donnant une excellente idée du film : un document d’histoire du cinéma, de première main, par conséquent.

Ensemble très sympathique et riche en informations de première main (grâce aux suppléments repris de l’ancienne édition 2004, pour l’essentiel) auquel il ne manque qu’une galerie affiches et photos françaises d’exploitation 1965 pour obtenir la note maximale.

Le Vampire de Dusseldorf

Image - 3,5 / 5

Format 2.35 FranScope N.&B, compatible 16/9 en Full HD 1080p. Les logos couleurs 2021 de Sidonis Calysta puis de Studio Canal sont insérés avant le début de la continuité originale N&B de 1965. État argentique moyen sans amélioration particulière depuis l’édition DVD Opening de 2004 pour laquelle j’étais trop indulgent sur le plan technique : encore pas mal de poussières négatives et positives, de brûlures de cigarettes (notamment visibles sur les plans nocturnes), quelques plans à l’émulsion endommagée, quelques plans au raccord brutal dans le montage : peut-être le signe d’une image manquante sur les 24 images secondes du plan mais aussi possibilité d’un plan manquant (par exemple à la fin de la séquence nocturne où le « vampire » joue de l’harmonica au milieu de clochards vivant sous un pont au bord de l’eau). Les images d’actualité N&B des années 1930, utilisées en pré-générique, sont correctement restaurées mais sont évidemment dans un état technique moins bon que la continuité 1965. Le progrès numérique du passage au Full HD améliore cependant la donne : bonne luminosité, bonne définition, bonne gestion du contraste et des noirs dans les scènes de nuit aux profondeurs de champ techniquement très soignées. Le directeur de la photo Alain Levent fut collaborateur de certains films importants de la Nouvelle vague, y compris certains titres réalisés par José Benazéraf.

Le Vampire de Dusseldorf

Son - 4,0 / 5

Version originale française mono d’époque remixée en DTS-HD Master Audio 2.0 mono. Le film avait été post-synchronisé en studio et certains effets sonores y sont élaborés (l’amplitude sonore du bruit des pas sur les pavés participant physiquement au suspense). Piste originale ancienne mais en assez bon état technique. Belle musique, sourde et mélancolique, triste et poignante d’André Hossein, le père du cinéaste-acteur Robert Hossein. Sans oublier les fragments symphoniques du Lohengrin de Richard Wagner qu’écoute parfois le « vampire » dans sa chambre de bonne, sur un tourne-disque. Il faut évidemment porter au crédit du film la voix de Robert Hossein lui-même, cette voix qui était censée le desservir selon un de ses professeurs d’art dramatique alors qu’elle constituait un de ses atouts les plus magiques. En contrepoint, notons enfin la sonorité si particulière de celle de la belle Marie-France Pisier.

Crédits images : © Producciones Benito Perojo, Maleno Malenotti, Mega Film, Rome Paris Films, Films Georges de Beauregard

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 4 février 2022
Film noir policier inspiré de faits réels dont l’inquiétante objectivité débouche sur le fantastique : le meilleur film de Hossein cinéaste.

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