La Petite voiture (1960) : le test complet du Blu-ray

Le film qui fit connaître Marco Ferreri, réalisé en Espagne laisse entrevoir l’humour noir et décapant du réalisateur de La Grande bouffe.

Madrid, 1960. Don Anselmo, un octogénaire, est hébergé chez son fils, un avoué. Son meilleur ami, Don Lucas, paraplégique, voit sa vie transformée par l’acquisition d’une petite voiture motorisée avec laquelle il s’échappe dans des virées à la campagne en joyeuse compagnie, celle d’autres handicapés. Don Anselmo n’a plus qu’une idée en tête, acheter une petite voiture. Mais il va lui falloir ruser : son fils lui donne de l’argent de poche au compte-gouttes…

La Petite voiture (El Cochecito), le troisième long métrage de Marco Ferreri (1928-1997), hors compétition à la Mostra de Venise de 1960, reçoit le Prix FIPRESCI. C’est au début des années 50 que Marco Ferreri est entré dans l’univers du cinéma en réalisant des films publicitaires, en produisant des documentaires puis quelques fictions, comme Le Manteau (Il Cappotto) d’Alberto Lattuada en 1952 et, avec Cesare Zavattini, « le pape du néoréalisme », L’Amore in città, un film à sketches réalisé par Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, Alberto Lattuada, Carlo Lizzani, Francesco Maselli et Cesare Zavattini. Parti en Espagne en 1956 pour y vendre des appareils de projection, il se lie d’amitié avec l’écrivain et scénariste Rafael Azcona dont il adapte et réalise un roman, L’Appartement (El Pisito, 1958). Son deuxième film sortira l’année suivante, Los Chicos, distribué en France sous le titre Les Enfants.

La Petite voiture, inspiré d’un autre roman de Rafael Azcona, Pobre, paralítico y muerto, interpelle dès la première séquence du générique quand Don Anselmo croise dans la rue une colonne de huit hommes coiffés de bols de toilettes et, un peu plus loin, un homme qui promène un veau en laisse !

On retrouve dans ce film l’humour grinçant et iconoclaste de Marco Ferreri, épinglant l’ennui et la morosité de la vie des « gens normaux », à l’opposé de la joie de vivre des handicapés. Don Anselmo, le anti-héros du film, en dépit de son égoïsme, reste assez touchant : il souffre de l’attitude infantilisante de son fils à son égard. Les « gentils » sont égratignés : la menace d’un internement de Don Anselmo s’il ne refreine pas son obsession arrache des larmes de crocodile à sa petite-fille qui a le réflexe de demander illico à pouvoir occuper sa chambre !

Le rôle de Don Anselmo est tenu par José Isbert, un des acteurs espagnols les plus populaires des années 50 et 60. Venu assez tardivement au cinéma, familièrement appelé « Pepe Isbert », il fut réputé pour ses incarnations de vieux, grincheux ou débonnaires, et tint ses meilleurs rôles dans les comédies noires de Luis García Berlanga, Bienvenue Mr Marshall (Bienvenido, Mister Marshall!, 1953) et Le Bourreau (El Verdugo, 1963), que Tamasa a réunies dans le coffret Luis García Berlanga : L’âge d’or de la comédie espagnole.

La Petite voiture fait partie de ces films qui, rusant avec la censure, ont réussi, par le biais de la comédie, à s’échapper de la banalité du cinéma espagnol des années franquistes. Édité dans un coffret Opening contenant deux autres films de Marco Ferreri, sorti en 2017, il était depuis longtemps introuvable.

La Petite voiture (86 minutes) et ses suppléments (24 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-25 logé, pour cette édition combo, en compagnie d’un DVD-9 avec le même contenu, dans un digipack.

Le menu fixe et musical propose le film dans sa version originale, en castillan, avec sous-titres optionnels, au format audio Dolby Digital 2.0 mono.

Sont simultanément sortis, nouvellement réédités par Tamasa, trois autres films de Marco Ferreri, Le Lit conjugal (L’Ape regina, 1963) et Le Mari de la femme à barbe (La Donna scimmia, 1964) et Dilinger est mort (Dillinger è morto, 1969).

Le regard de Gabriela Trujillo (21’, Les Productions du désordre, 2021), historienne et critique de cinéma, autrice de Marco Ferreri : Le cinéma ne sert à rien (Capricci, 2021). El Cochecito est produit par le Catalan Pere Portabella qui, en cette même année 1960, avait produit Les Voyous (Los Golfos), le premier film de Carlos Saura et, un des chefs-d’oeuvre de Luis Buñuel, Viridiana. Marco Ferreri se défendait d’adhérer au néoréalisme, dont les séquences d’ouverture portent pourtant la marque. À des années lumières du personnage d’Umberto D. (Vittorio De Sica, 1952), Don Anselmo est un monstre d’égoïsme qui avait indisposé la critique franquiste et conduit Marco Ferreri à apporter quelques petites retouches. Gabriela Trujillo souligne l’originalité formelle du fameux plan-séquence avec une succession de travellings arrière et avant dans un étroit couloir.

Bandes-annonces de deux autres films de Marco Ferreri, édités par Tamasa en même temps que La Petite voiture, Le Lit conjugal (L’Ape regina, 1963) et Le Mari de la femme à barbe (La Donna scimmia, 1964).

L’image (1080p, AVC), au ratio d’origine 1.33:1 et non au 1.66:1 indiqué au dos du digipack, restaurée par Nao après numérisation 2K du négatif original, a été débarrassée de toute marque de vieillissement de la pellicule. Stable, fermement contrastée, elle déploie des blancs lumineux et des noirs denses avec un agréable dégradé de gris. On pourra seulement reprocher la réduction excessive du grain argentique, tout en admettant qu’elle n’a pas pour effet de lisser les visages au point d’en effacer les traits.

Le son Dolby Digital 2.0 mono, très propre lui aussi, pratiquement sans souffle, avec une bande passante nécessairement cantonnée dans le medium, restitue assez clairement les dialogues et le guilleret accompagnement musical. On regrette le format HD, peut-être écarté pour que le film et ses suppléments tiennent sur un Blu-ray simple couche.

Crédits images : © Films 59, Portabella Film