L'Ile de l'épouvante (1970) : le test complet du Blu-ray

5 bambole per la luna d'agosto

Digibook - Blu-ray + DVD + Livret

Réalisé par Mario Bava
Avec William Berger, Ira von Fürstenberg et Edwige Fenech

Édité par Sidonis Calysta

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Le 04/07/2022
Critique

L’un des sommets du giallo italien et, aussi, un des derniers titres de l’âge d’or fantastique du cinéaste Mario Bava.

l'Île de l'épouvante

1970, sur une île italienne proche d’Anzio : le professeur Farrell et son épouse sont invités par l’industriel George Stark et ses associés à des vacances dans sa luxueuse demeure. Farrell refuse obstinément de vendre la formule chimique d’une nouvelle résine plastique en dépit des montants astronomiques que Stark et plusieurs autres invités lui proposent, suscitant la colère et provoquant la convoitise. Lorsque un domestique puis quelques invités sont assassinés, que l’île se retrouve isolée en raison d’une panne radio-téléphonique, le huis-clos devient vite infernal, chacun suspectant l’autre d’être un meurtrier. La peur et la folie s’emparent des âmes sensibles : qui demeurera vivant sur l’île de l’épouvante ?

L’île de l’épouvante / 5 filles pour une nuit chaude d’été (Cinque bambole per la luna d’agosto, Ital. 1969) de Mario Bava a été tourné en dix-neuf jours à partir du 10 octobre 1969 et fut distribué en Italie en mars 1970. Il ne comporte aucune date sur son générique d’ouverture italien, ni sur son générique de fin. Il constitue rétrospectivement, dans la filmographie fantastique sélective de Bava, un diptyque thématique et esthétique avec La Baie sanglante (Reazione a catena / Ecologia del delito / Antefatto, Ital. 1971) de Mario Bava. Au point qu’on a pu dire que le film de 1971 était une nouvelle version de celui de 1969, la différence résidant dans le fait que Bava n’avait pas le choix du casting en 1969 alors qu’il contrôla totalement le titre de 1971. Il y a pourtant d’autres différences entre les deux titres mais ils partagent une même fascination ontologique pour la mort, délivrent une même critique cinglante de la civilisation moderne, font appel à une même poésie primitive autant que bachelardienne des quatre éléments.

L’eau, d’abord puisqu’il s’agit d’une île et d’une baie, mais aussi la terre, l’air, le feu : les marionnettes, les poupées, les pantins dépersonnalisés qui évoluent dans l’attente de leur meurtre en sont régulièrement environnés, au point que leurs désirs, leurs crimes, leur angoisse semblent parfois s’y diluer d’une manière expérimentale. Qu’on songe à cet étrange et si long travelling entre le visage de Ira de Fürstenberg et la jeune fille qui espionne les invités, pendant lequel la nature vivante semble devenue abstraite, simple trait d’union mais trait d’union étrangement envahissant au point qu’il devient difficile alors pour le spectateur d’évaluer la distance qui sépare les deux personnages. Cette abolition brusque de l’espace, du temps narratif, de l’intrigue, au profit d’une étrange nature vivante mais inhumaine sous son apparente beauté : c’est l’esthétique de Bava. Cette même esthétique qui fait osciller d’emblée la sculpturale Edwige Fenech (L’île de l’épouvante est le premier giallo qu’elle interprète) entre poupée érotique animée et statue cadavérique à jamais abolie, d’abord par jeu, puis plus tard très réellement. Bava emprunte au cinéma de la Nouvelle vague européenne des années 1960 un certain nombre d’idées plastiques : on a même pu relever une inspiration antonionienne dans le titre de 1969, à cause de la partie située sur l’île dans L’Avventura (Ital. 1960) de Michelangelo Antonioni. Tout comme il reprend un schéma narratif criminel imposé par les producteurs et utilisé aussi bien dans le cinéma fantastique et policier par des scénaristes aussi prolifiques qu’Ernesto Gastaldi que dans la littérature policière par Agatha Christie, quitte à le modifier in extremis et à en faire visuellement bien autre chose que ce qu’une Agatha Christie aurait imaginé dans ses cauchemars les plus inquiétants.

l'Île de l'épouvante

Cependant, Bava ne s’en tient pas à une reprise ironique ou même critique de cette esthétique expérimentale ni à une reprise de ces schémas narratifs populaires tant utilisés par le cinéma-bis, y compris par lui-même dès Six femmes pour l’assassin (1964) : son propos n’est, au fond, ni formaliste ni populaire. Il est ailleurs et il est le même depuis qu’il signe des films fantastiques, depuis 1960 donc.

Cette unité de propos et sa continuité se manifestent inévitablement d’une manière concrète, par exemple par le choix des extérieurs ou par le choix d’une technique photographique : c’est la plage de Le Corps et le fouet (1963) de Mario Bava qui sert à nouveau pour certains extérieurs de L’île de l’épouvante. De même que le château vu de la plage en 1963 était une peinture sur verre, la villa de Stark vue de la même plage en 1969 en est une également. Elles se manifestent surtout thématiquement : la mort (reçue passivement comme transformation, donnée activement comme cause de cette transformation) est le thème principal de Bava depuis 1960. Il est, au sens le plus aristotélicien qui soit, le cinéaste de la génération et de la corruption mais c’est bien cette dernière qui le fascine, celle en vue de quoi tout le reste (y compris le désir et ses perversions, y compris la critique de la vie sociale dans le monde moderne) est montré, celle à laquelle tout aboutit. Le symbole de L’île de l’épouvante, c’est autant ce faux meurtre d’Edwige Fenech, résultat d’un cérémonial parodique que ces étranges boules de verre roulant silencieusement vers un cadavre que la fin de leur mouvement nous révèle : apparence ou réalité de la mort et vision de l’étrangeté de la mort par les vivants : toute l’angoisse, toute la peur, toute la terreur reposent dans cette distinction. L’apothéose plastique du film demeurant cette mi-réaliste mi-surréaliste danse macabre dans la chambre froide, à la musique aigre et ironique, reprise à chaque fois qu’un nouveau meurtre y ajoute un nouveau mort, cette grande dominatrice de tous les possibles.

l'Île de l'épouvante

Présentation - 4,0 / 5

1 combo Blu-ray BD50 + 1 DVD9 + 1 livret 24 pages, édité par Sidonis Calysta en Digibook le 26 mai 2022. Durée du film : 81 min. env. (sur Blu-ray) + 77 min. 30 sec (sur DVD). Image 1.85 couleurs compatible 16/9 (en Full HD 1080p sur Blu-ray). Son VISTF et VF d’époque en DTS-HD Master Audio 2.0 mono (sur Blu-ray). Suppléments (sur Blu-ray) : Présentation du film par Jean-François Rauger, Directeur de la Cinémathèque de Paris (2022, 33’31”) + Analyse du film par Alice Laguarda (2022, 31’09”) + Conversation autour du film avec Géald Duchaussoy et Romain Vandestichele (2022, 23’43”) + Bande-annonce originale (2’56”, VO).

Livret 24 pages illustrées N&B et couleurs, par Marc Toullec

Belles affiches italiennes et françaises reproduites pages 2, 10 et 21. Bonne présentation historique : situation du titre par rapport au giallo, par rapport aux titres précédents de Bava et situation de Bava lui-même à cette époque. Nombreuses précisions utiles sur la genèse, la production, le tournage et l’exploitation du titre. Nombreuses citations de Bava et témoignages divers. Intéressante précision sur le titre français alternatif provincial 5 filles pour une nuit chaude d’été (que certaines sources estiment être un titre canadien francophone) mais attention à la remarque sur le titre L’île de l’épouvante qui pourrait faire croire que ce ne fut qu’un titre vidéo VHS alors que ce fut dès 1971 le titre d’exploitation national. Quelques coquilles concernant la règle de conjugaison des verbes à l’indicatif et à l’infinitif : « son nombre allant triplé » (sic en haut de la page 4), « Je n’avais jamais entendu parlé de certains » (sic en haut de la page 12). Elles sont provoquées par la rapidité excessive de relecture car la règle est par ailleurs respectée. La syntaxe et le passage de conjugaison de l’indicatif au subjonctif, la concordance des temps sont, rarement mais lorsque c’est le cas, assez sérieusement, malmenés, ce qui peut donner : « Et pour qu’il soit vu, fallait-il qu’il soit accessible, ce qui n’est pas le cas, sa distribution se trouvant si limitée qu’elle confine à l’absence. » (sic page 23). Attention, aussi, à certaines remarques naïves et méprisantes : « 81 000 tickets vendus. Pas terrible (sic) mais le film se rattrapera largement la décennie suivante dans les vidéoclubs (…) ». Du point de vue d’un producteur de 1969, si chaque territoire vendu totalise une moyenne de 80 000 « tickets », cela signifie qu’une dizaine de pays d’Europe et les USA peuvent totaliser environ 800 000 ou un million de « tickets » sans trop d’efforts. Ce n’est pas si mal sans parler des droits TV et vidéo à venir. Les sources utilisées pour la rédaction du livret sont mentionnées (ce qui est très bien) mais, une fois de plus, sans leur date de parution (ce qui est contraire aux règles bibliographiques et nuisible à la bonne information du lecteur).

l'Île de l'épouvante

Bonus - 4,5 / 5

Présentation du film par Jean-François Rauger, directeur de la Cinémathèque de Paris (2022, 33’31”) : elle est globalement très bonne. C’est par elle qu’il faut commencer car elle retrace avec vivacité et précision la genèse, la production, le tournage. Elle analyse très bien certains aspects : casting oscillant entre roman-photo et cinéma-bis (sans oublier la si belle actrice co-productrice Ira de Fürstenberg, vedette du film et de ses affiches), montage, musique, extérieurs naturels. Est-ce que Bava est un cinéaste fasciné par l’image comme le soutient in fine Rauger ? Je ne crois pas du tout qu’il soit formaliste ni mallarméen, que son idéal soit de sacrifier le réel à un beau plan. Je crois qu’il est, en revanche, fasciné par la mort et je maintiens que les analyse de Jean-Marie Sabatier parues en 1971 et en 1973 sur Bava demeurent définitives de ce point de vue. L’image, sa technique, ses raffinements de montage et de photographie ont pour but principal cette mise en scène de la mort : il y a bien quelque chose d’Edgar Poe chez Bava, de ce point de vue. Illustré par des extraits précisément montés et quelques affiches et photos.

Analyse du film par Alice Laguarda (2022, 31’09”) : cette historienne du giallo précise méticuleusement les aspects par lesquels le film de Bava se rattache au genre, y compris concernant des titres inédits en France mais qui gagneraient parfois (je songe au Libido écrit par Gastaldi) à l’être. La référence au film d’Antonioni de 1960 me semble également intéressante, à la fois esthétiquement et thématiquement : Bava, quelque part, pourrait ici être assimilé à un Antonioni saisi par le démon du baroque. Alice Laguarda ne va pas jusque là et elle a raison de ne pas y aller mais elle a remarqué quelque chose que personne auparavant n’avait si bien mis en évidence. Je suis moins convaincu, en revanche, par la supposée thématique de l’ennui : comment s’ennuyer lorsqu’on sait qu’on croise la possibilité de la fortune et qu’en outre on risque d’être bientôt tué ? Aucun personnage de ce film ne me semble s’ennuyer : ils dominent leur avidité, leur angoisse, leur peur, voire leur terreur du mieux qu’ils peuvent mais ne s’ennuient nullement. Illustré par des extraits du film et quelques affiches et photos soigneusement reproduites.

Conversation autour du film avec Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (2022, 23’43”) : dialogue centré sur l’aspect de critique sociale et politique du film mais cet aspect, réel, demeure néanmoins secondaire chez Bava. Fallait-il s’y mettre à deux pour le développer durant presque 25 minutes, avec les photos de couverture du magazine érotique Lui en arrière-plan ? Quelques remarques néanmoins intéressantes à glaner mais certaines sont discutables (par exemple un supposé rapport esthétique fonctionnel, structural entre la mélodie de Grieg fredonnée par Peter Lorre dans le film de 1930 de Fritz Lang et la ritournelle composée par Umiliani dans le film de Bava de 1969 qui accompagne la danse macabre des cadavres dans la chambre froide) et nombreuses remarques sur la filmographie de Bava. Ce qui m’a le plus intéressé, c’est la remarque de Vandestichele concernant la « réhabilitation » du film en 2007 dans le livre de Tim Lucas sur Bava. Elle témoigne d’une relative méconnaissance de l’histoire de la réception critique française du film car, en réalité, ce titre de 1969 n’avait pas besoin, aux yeux d’un cinéphile français, d’être réhabilité. Jean-Marie Sabatier l’avait déjà tenu pour un film majeur du cinéaste dans son remarquable article « Un homme à faire taire » (publié in section « cinéma-bis » du magazine Vampirella n° 9, éditions Publicness, Paris 1971), position confirmée deux ans plus tard par le même Sabatier dans son livre Les Classiques du cinéma fantastique (éditions Balland, Paris 1973) ; on n’avait donc pas attendu Tim Lucas ni 2007 pour apprécier chez nous ce titre de 1969 à sa juste valeur, même si cette appréciation demeurait confidentielle, réservée à une élite critique de lecteurs cinéphiles tandis que le public populaire appréciait, lui, ce giallo (un des meilleurs du genre) pour des raisons évidentes et constantes : son suspense, son érotisme, son épouvante. Il appréciait certainement aussi sa critique sociale dévastatrice et outrée mais cet aspect fut, je le répète, secondaire dans le cadre de son exploitation cinématographique. Il n’est certes pas inutile de le remettre en évidence et ce bonus constitue, de ce point de vue, un complément utile aux deux autres présentations.

Bande-annonce (2’56”, VO) : c’est la bande annonce anglophone internationale, dénuée de dialogues mais dotée de sa musique obsédante et très bien montée. Elle est dotée d’un grain supérieur à celui du long métrage mastérisé. Pourquoi n’avoir pas retrouvé une bande-annonce française d’époque ? Elle eût constitué un intéressant complément pour le cinéphile francophone.

Il manque une galerie affiches et photos pour que la note de ces bonus soit au maximum : lacune partiellement (mais partiellement seulement) comblée par le livret qui reproduit notamment de belles affiches. Cela dit, bel ensemble informatif et la meilleure édition française numérique actuelle de ce classique.

l'Île de l'épouvante

Image - 4,0 / 5

Format 1.85 couleurs, compatible 16/9 en Full HD 1080p. État argentique  : cinq ou six plans rayés (probablement des rayures trop incrustées dans le négatif pour en être retirées) et un plan où l’objectif de la caméra est sali par un petit cheveux en bas de sa fenêtre, donc visible deux ou trois secondes tout en bas de l’écran. Le reste est impeccable. C’est exactement l’état dans lequel se trouvait déjà le master édité aux USA par Kino Lorber en 2013. État numérique  : c’est une restauration supérieure à toutes celles qu’on avait pu voir en France auparavant. Bonne luminosité, bonne définition, bonne gestion du contraste et des noirs dans les scènes de nuit aux profondeurs de champ techniquement très soignées. Même état numérique que l’édition Kino Lorber de 2013 : Tim Lucas faisait déjà remarquer que la définition de l’image était si bonne qu’on pouvait distinguer le montant et le nom du bénéficiaire inscrits sur le chèque remis à l’inventeur. C’est exactement la même qualité visuelle sur cette édition Sidonis. La direction de la photo et le montage sont de Bava ou très étroitement supervisés par Bava, ainsi que le directeur photo crédité au générique d’ouverture l’a, par la suite, confirmé.

l'Île de l'épouvante

Son - 5,0 / 5

VitalienneSTF + VFrançaise d’époque, en DTS-HD Master Audio 2.0 mono : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Générique italien sur les deux versions sonores mais aucune générique francophone reproduit alors qu’il existait : cette lacune est une constante de l’édition numérique depuis les origines ; elle n’est que rarement comblée et je me suis lassé depuis longtemps de la signaler. Je maintiens pourtant une fois de plus qu’une édition française doit proposer sur les VF d’époque une copie argentique munie de son générique francophone d’époque avec ses lettrines d’époque, lorsqu’il existait bien sûr mais dans la majorité des cas, quand la VF cinéma d’époque (je ne parle pas des VF effectuées durant l’époque VHS de films inédits au cinéma) existe, la générique francophone existait. Pistes techniques en excellent état. La VF d’époque est soignée, les voix conviennent bien aux personnages. La VO est un peu plus dynamique : il suffit de comparer la danse d’Edwige Fenech sur les deux versions, à réglage de niveau identique, pour mesurer la différence sonore sur le plan du relief. Célèbre musique (y compris une chanson) signée Piero Umiliani, prolifique compositeur de l’histoire du cinéma italien, ici très inspiré, y compris sur le plan orchestral.

Crédits images : © Produzioni Atlas Consorziate

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 5 juillet 2022
L’un des sommets du giallo italien et, aussi, un des derniers titres de l’âge d’or fantastique du cinéaste Mario Bava.

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