Audition (1999) : le test complet du Blu-ray

Odishon

Édition Collector Limitée Blu-ray + DVD

Réalisé par Takashi Miike
Avec Ryo Ishibashi, Eihi Shiina et Tetsu Sawaki

Édité par The Jokers

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Le 08/08/2023
Critique

Un des meilleurs films fantastiques japonais de la fin du vingtième siècle, à la construction sophistiquée.

Audition

Japon, 1999 : le producteur Aoyama, veuf depuis 7 années, souhaite mettre un terme à sa solitude, encouragé par son fils et par son meilleur ami Yasuhisa qui organise le casting de l’émission « Héroïnes de demain » afin que Aoyama auditionne les candidates dans les locaux de leur chaîne de télévision, souhaitant qu’il rencontre éventuellement l’âme soeur. De fait, ce dernier tombe bientôt amoureux de la douce, modeste mais mystérieuse Asami qui se présente comme une ancienne danseuse. Yasuhisa incite Aoyama à se montrer prudent car certains éléments du CV d’Asami lui semblent, sinon suspects, au moins étranges. Ce dernier néglige la mise en garde : il tombe dans le piège tendu par une psychopathe meurtrière au passé infernal.

Audition (Odishion, Jap. - Corée du Sud 1999) de Takashi Miike, adapté par Daisuke Tengan (fils aîné du cinéaste Shohei Imamura) d’un roman de Ryu Murakami, est probablement le dernier film fantastique japonais significatif du vingtième siècle.

Il fut financé par la firme Omega Project qui venait de produire le film fantastique d’épouvante Ring (Ringu, Jap. 1998) de Hideo Nakata et qui souhaitait connaître un second succès dans le même genre. Signé par un cinéaste (ancien assistant de Shohei Imamura) qui s’était signalé dès les années 1990 par des films noirs policiers au style expérimental - période couronnée par sa trilogie Dead or Alive, tournée de 1999 à 2002 - Audition fut réalisé en trois semaines à Tokyo (une semaine de plus que la durée moyenne des tournages de Miike à l’époque) avec, en vedette féminine, une ancienne mannequin.

Audition

Sa première partie demeure remarquable en raison du soin avec lequel le cauchemar, la terreur et la folie sont intégrés par petites touches à une progression par ailleurs soigneusement réaliste de l’action. Sa dernière partie gomme malheureusement ce travail antérieur si raffiné et si bien dosé pour le remplacer par un sadisme sanglant aux effets gore inutiles mais qui causèrent, dit-on, des malaises dans l’assistance lors de sa projection au Festival de Rotterdam. Audition y fut primé en l’absence du cinéaste qui, débordé par ses titres en préparation, n’avait même pas attendu la lecture du palmarès pour revenir au Japon. Défaut de construction et rupture de ton que certains considèrent comme une forme d’apothéose, en somme digne héritière des excès d’un Teruo Ishii ou d’un Yasuzo Masumura dans les années 1965. On sait aujourd’hui que Miike n’en est pas vraiment responsable dans la mesure où il se serait, pour sa part, contenté de terminer l’histoire au moment où débutait la torture infligée à Aoyama : c’était ce qu’il fallait faire et son instinct ne le trompait pas. Mais un des producteurs insista pour qu’elle fût filmée. Cette exigence contribua certainement à la publicité du film mais elle en donna une image faussée.

Audition

La grande puissance native d’Audition demeure heureusement visible durant tout ce qui précède, modèle de suspense réaliste et intelligent frôlant par instant l’effroi et même le surnaturel, car jouant sur une classique et terrible ambivalence : Asami est-elle un authentique démon ou une marginale psychopathe criminelle ? Miike déclara qu’il avait opté pour la seconde hypothèse, que son film devait donc être considéré comme réaliste et non pas comme fantastique. Je pencherais néanmoins fondamentalement pour la première hypothèse car le thème de la renarde - succube féminine démoniaque surprenant les hommes, sous les dehors d’une apparence séduisante et modeste, aux détours des chemins forestiers - est un thème classique de la littérature fantastique asiatique. Il me semble ici intelligemment adapté à la société japonaise contemporaine de la fin du vingtième siècle, qui plus est situé au coeur de son système audio-visuel spectaculaire. Le fait que Miike considère qu’Audition est un film réaliste car dénué de surnaturel ne change donc rien à cette filiation thématique et esthétique évidente, le jeu assez long joué par le scénario avec l’idée d’un cauchemar (jeu finalement abandonné pour réaffirmer la réalité de ce qu’on voit) non plus (*). Notez d’ailleurs que Asami est habillée presque tout le temps en vêtements de couleur blanche, couleur traditionnelle de la mort au Japon : Miike manie en connaisseur l’esthétique et la mythologie, prouvant que le Japon demeure bien, selon la formule de Roland Barthes, L’empire des signes.

Audition

Le surgissement démoniaque d’Asami est comme engendré par le pseudo-casting organisé par une société de production audio-visuelle afin de satisfaire le désir du producteur veuf : à malin, malin et demie, pourrait-on commenter au sens démonologique le plus médiéval du proverbe. Un tel subterfuge appelle la punition de son auteur, semblent nous souffler le romancier Murakami, le scénariste Tengan et le cinéaste Miike qui illustrent ici assez bien les critiques dialectiques de la société du spectacle par Guy Debord. L’avaient-il lu ? On sait que les intellectuels japonais furent, en Asie, les héritiers majeurs de l’histoire de la philosophie occidentale de l’antiquité à nos jours. L’idée d’une critique de la société du spectacle ne leur est donc pas étrangère. Sur le plan de l’histoire du cinéma, souvenons-nous aussi de la dernière histoire si cruelle (Dans une tasse de thé) qui concluait le film fantastique classique Kwaidan (Jap. 1964) de Masaki Kobayashi : un vieil auteur d’histoires fantastiques y finissait victime d’une apparition démoniaque constatée par son éditeur. La réalité surnaturelle rattrapait là aussi et, pour ainsi dire, punissait la fiction mise au point et vendue par les êtres humains, prélude à une possible critique philosophique de toute représentation et de tout spectacle. (**)

De ce point de vue, la séquence la plus remarquable et la plus inquiétante d’Audition n’est peut-être pas une de celles jouées par la belle Eihi Shiina (encore moins une des séquences finales dites « gore ») mais une de celles des rencontres avec divers témoins du passé d’Asami. Témoins étranges, maléfiques, marginaux, cauchemardesques eux aussi et rencontrés dans des lieux quotidiens délaissés, abandonnés, annonciateurs d’échec, de mort, de misère, de sadisme et de folie. La vérité, semble nous dire Miike, gît non pas dans une trop luxuriante représentation (qui la recouvre de trop de signes pour qu’elle demeure lisible) mais dans le dénuement, l’absence de signes, la pauvreté absolue du vide. Non plus Guy Debord mais le bouddhisme japonais comme ultime sauvegarde possible de l’âme japonaise ?

Audition

Ces séquences comportent une allusion sociale assez proche de celles contenues dans certaines séquences du début de l’admirable Battle Royale (Jap. 2000) de Kinji Fukasaku. A vrai dire, Miike en 1999 comme Fukasaku en 2000 renvoient clairement aux effets de la crise économique japonaise de 1985-2005. On se souvient bien que l’éclatement d’une redoutable bulle spéculative avait induit là-bas une terrible stagflation provoquant chômage, pauvreté familiale, isolement social, crimes et suicides. Ces symptômes étaient dévastateurs dans le contexte d’une telle civilisation où l’individu se définit d’abord sociologiquement, donc par son appartenance à un groupe. L’isolement y équivaut à la mort sociale : le personnage d’Asami a quelque chose de symbolique : il annonce le retour du refoulé de la société japonaise, celui de l’échec social, du dénuement, de la mort et de la folie, de la crise de l’économie comme de la crise du rationnel. Le cinéma japonais des années 2000, quel que fût son appartenance générique (en 1999 film fantastique flirtant avec le film de fantôme mais aussi avec la criminalité psychopathologique, en 2000 film fantastique de politique-fiction), témoignait de ses effets, comme il avait témoigné de celle de 1929-1935. De là à dire qu’il y aurait un lien thématique entre le Ozu de 1929 et le Miike de 1999 ? S’il n’en y avait qu’un, convenons que ce pourrait bien être celui-là.

Audition

(*) Là encore, l’idée n’est pas originale mais enracinée dans la tradition littéraire et cinématographique : une telle hésitation entre réalité surnaturelle et cauchemar irréel constituait déjà la substance d’un pan important du suspense de Conte fantastique de l’ère Edo (Kaidan Oiwa no borei / Le Fantôme d’Oiwa / Ghost Story of Oiwa Spirit / Ghost of Oiwa, Jap. 1961) de Tai Kato, une des versions cinématographiques de l’histoire classique des fantômes de Yotsuya, région de Tokaïdo, portée à l’écran par des cinéastes aussi divers que Daisuke Ito (1928), Keisuke Kinoshita (1949), Nobuo Nakagawa (1959), Kenji Misumi (1959), Shiro Toyoda (1965), Kazuo Mori (1969).

(**) L’idée n’est pas neuve non plus et, bien avant la critique de Guy Debord, souvenons-nous que H. P. Lovecraft, Par-delà le mur du sommeil (éditions Denöel, traduction par Jacques Papy, Paris 1956, page 73) avait conçu l’intéressant personnage de l’écrivain et peintre Robert Blake, spécialisé dans l’épouvante et le fantastique mais devenant réellement victime d’une terrible entité dans la nouvelle Celui qui hantait les ténèbres (1936). Tout comme l’histoire de la littérature, l’histoire du cinéma fantastique mondial est riche en illustrations de ce thème classique : qu’on songe bien sûr au House by the River (USA 1949) de Fritz Lang mais aussi à certaines histoires écrites par Robert Bloch pour des films réalisés par Freddie Francis (USA-GB 1967) et Peter Duffell (USA-GB 1970), produits et distribués par la Amicus anglaise.

Audition

Présentation - 1,0 / 5

combo 1 Blu-ray BD50 région B + 1 DVD-9 édités par The Jokers le 19 avril 2023. Durée film : 115 min. environ (durée cinéma sur Blu-ray). Image format large 1.85 en couleurs, compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 2.0 VOSTF + VF. Supplément : présentation par Stéphane du Mesnildot.

Bonus - 2,5 / 5

Présentation par Stéphane du Mesnildot (durée 25 min. environ) : elle situe bien le titre dans le cadre historique du renouveau du cinéma fantastique japonais des années 1990-2000, illustré par les cinéastes Norio Tsuruta, Hideo Nakata, Kyoshi Kurosawa, Takashi Shimizu et quelques autres. Faut-il, comme Mesnildot, parler de renouveau stricto sensu ? Pas vraiment : les fantômes japonais n’ont pas fondamentalement changé ; c’est juste leur environnement et leur cadre sociologique qui est modifié, pas leur nature ni leur fonction mythique ou esthétique de vengeurs et de tortionnaires des vivants. Les producteurs et les cinéastes les ont simplement et habilement adaptés à la société japonaise de la fin du vingtième siècle. D’ailleurs un signe ne trompe pas : Mesnildot néglige de citer Kakashi (Jap. 2001) de Norio Tsuruta qui est précisément l’exemple d’un film qui opérait a contrario la jonction thématique entre l’école fantastique du Kwaidan Eiga (film de fantôme) des années 1955-1965 et celle de la période 1990-2000. Le scénario était adapté d’une manga de Junji Ito mais une manga elle-même précisément inspirée par l’ethnologie du Japon archaïque. Notons aussi que Miike considère que son film n’appartient pas au genre : Asami n’est définitivement pas un fantôme bien que son esthétique s’y apparente à plus d’une reprise et bien que le scénario joue avec l’idée durant un certain temps. Pour le reste, informations intéressantes et critique, thématique comme esthétique, souvent inspirée mais parfois discutable même si suggestives. Faut-il ainsi considérer Asami, ainsi que Mesnildot l’affirme en conclusion, comme un personnage symbolisant les aspirations d’une libération féminine sociologique ? Si c’était le cas, on pourrait légitimement s’inquiéter des tenants et aboutissants de la libération en question ! Je ne suis, au demeurant, pas certain que l’idée ait effleuré Miike lui-même. En revanche, bonne remarque concernant le fait que l’actrice ait été sélectionnée en raison du fait qu’elle était mannequin, ce qui lui conférait une sorte d’irréalité schématique sur le plan plastique. Quelques affiches (mais souvent trop petites) et photos en illustration.

Honorable édition spéciale ; le cinéphile anglophone qui souhaiterait des bonus plus nombreux et, surtout, comportant des témoignages de première main, pourra se reporter à l’édition américaine Shout Factory de 2009 munie d’un commentaire audio animé par Miike lui-même et son scénariste Daisuke Tengen, et munie aussi d’entretiens avec les quatre principaux acteurs japonais, y compris la mignonne vedette féminine Eihi Shiina.

Audition

Image - 5,0 / 5

Format d’origine 1.85 respecté compatible 16/9, en Full HD 1080p AVC sur Blu-ray. Impeccable copie argentique (seul le générique de fin est légèrement moins bien défini) au rapport grain / lissage très bien équilibré. Couleurs nuancées et bien reportées. Direction photo signée Hideo Yamamoto, jouant avec les dominantes ocres lors des séquences les plus inquiétantes.

Audition

Son - 5,0 / 5

VOSTF DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en VOSTF et VF d’époque : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Excellent report sur le plan technique. Le film fut exploité en DTS lors de sa sortie au Japon, dans les salles qui étaient munies de ce système sonore. Il faut donc, si on veut bénéficier des effets sonores, sélectionner de préférence la piste 5.1. On peut négliger la VF d’époque. Aux USA en 2009, l’éditeur Shout Factory avait muni le film de pistes remixées en 5.1. DTS-HD et Dolby True HD mais l’offre française demeure suffisamment dynamique. Musique parfois impressionnante signée Koji Endo.

Crédits images : © Omega Project

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 9 août 2023
Un des meilleurs films fantastiques japonais de la fin du vingtième siècle, à la construction sophistiquée mais que son réalisateur Miike ne contrôla pourtant pas intégralement.
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Josquin
Le 12 mai 2006
Audition fait partie de ces films qui n'ont d'intéressant que leur bande-annonce. Le scénario traîne vraiment en longueur, et que de convenances, de blablatries inutiles et de situations mille fois revues ! L'action finit néanmoins par surgir, mais vu le temps écoulé avant des scènes chocs, c'est une bien maigre pitance. D'autant qu'entre fiction et réalité, on s'y perd totalement. Et le mélo dépressif pour conclure, entre le bourreau et sa victime, non, non et non ! Dire que certains osent ériger ce navet au rang de Massacre à la tronçonneuse ( l'original ), c'est à se demander de quelles substances ils ont abusé. Et les bonus ? Ah, les bonus. Le réalisateur qui se la joue enfant secret et l'interviewer méprisant ( Jean-Pierre Dionnet ) qui s'adresse à lui par un " il " condescendant et non un courtois " vous ".
De bien dans tout ça, il reste l'image et le son, une élégance dans la manière de filmer, parfois trop sobre, et la beauté de l'actrice principale dont les postures, l'esthétique évoquent sans détour Sadako, l'héroïne fantomatique de Ring.
Donc, à voir une fois, puisque tout le monde en parle. Mais vous ne perdriez rien en vous abstenant.
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Fabien
Le 12 novembre 2003
Pas de commentaire.

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