L'Ange rouge (1966) : le test complet du Blu-ray

Akai tenshi

Édition Collector Blu-ray + DVD

Réalisé par Yasuzo Masumura
Avec Ayako Wakao, Shinsuke Ashida et Yûsuke Kawazu

Édité par The Jokers

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Le 25/04/2023
Critique

Guerre, érotisme voire fantastique pour Ayako Wakao dans un de ses meilleurs rôle de femme fatale pour le cinéaste japonais Yasuzo Masumura.

L'Ange rouge

Tianjin, Chine mai 1939 pendant la seconde guerre sino-japonaise de 1937-1945 : l’infirmière Sakura Nishi est enrôlée par l’armée. La discipline est inflexible ; les blessures causées par les combats et les opérations chirurgicales sont atroces mais Sakura est courageuse. Pourtant, une étrange fatalité pèse sur elle : les hommes blessés à qui elle témoigne de l’affection semblent voués au suicide ou à la mort. Sakura tombe amoureuse du médecin Okabe, compétent mais drogué à la morphine : tous deux sont envoyés au front où sévissent le choléra et la menace d’une offensive chinoise dévastatrice menée par les républicains chinois de Tchang-Kaï-Chek. Sakura sauvera-t-elle Okabe de l’enfer de la drogue et de la guerre ? Réussira-t-elle à briser l’obscure malédiction qui a fait d’elle, jusqu’à présent, un ange aux ailes couleur rouge sang ?

L’Ange rouge (Akai tenshi, Jap. 1966) de Yasuzo Masumura (1924-1986), adapté d’un roman de l’écrivain Yoriyoshi Arima par le scénariste Ryozo Kasahara, fut avec La Chatte japonaise (Chijin no ai, Jap. 1967) adapté de Junichiro Tanizaki, l’un des très rares titres signés par Masumura à avoir été exploités en France au cinéma dans les salles d’art et d’essais. Le reste de son oeuvre demeura inédite et certains titres furent révélés à la faveur de rétrospectives à la Cinémathèque française ou au Centre Georges Pompidou. Souhaitons que la vidéo numérique compense le retard accumulé dans la connaissance de son oeuvre car il demeure un des grands cinéastes japonais du derniers tiers du vingtième siècle, un des plus attachants et des plus secrets.

Trois photos de L’Ange rouge étaient parues dans la revue Midi-Minuit Fantastique n°21 d’avril 1970 (aujourd’hui visibles à la page 263 du volume 4 de sa nouvelle édition Rouge profond, Aix-en-Provence 2021), en guise d’avant-première de l’entretien de Masumura accordé aux Cahiers du cinéma en octobre 1970. La mise en page de MMF les avait placées - hasard technique de la maquette ou choix concerté ? - en face d’une image du Le Vampire a soif (The Blood Beast Terror, GB 1967) de Vernon Sewell. Rapprochement suggestif car, de fait, le rôle interprété par Ayako Wakao, vecteur d’un désir semblant aboutir à la mort, avait quelque chose de vampirique, plus subtilement mais finalement au moins autant sinon même davantage que celui interprété par Wanda Vantham dans le film de Sewell.

Ce puissant alliage générique entre film de guerre réaliste (atroces amputations, hurlements de douleurs des blessés et des opérés, effets du choléra) et érotisme maudit qui constitue le sujet de L’Ange rouge ne pouvait que désigner tout naturellement Masumura à l’attention d’une revue qui consacrait des dossiers à des cinéastes japonais aussi différents mais aussi remarquables que Inoshiro / Ishiro Honda et Seijun / Kyonori Suzuki. Depuis, on a disséqué la filmographie de Masumura, étudié ses rares entretiens traduits chez nous en 1970 et 1980 et une synthèse récente - celle que Stéphane du Mesnildot lui a consacrée dans son article Masumura paru dans le Dictionnaire des cinéastes japonais 1935-1975 (éditions Carlotta 2016) - le place définitivement sous la double influence d’Eros et de Thanatos, ce qui était l’évidence mais il est toujours bon de répéter les évidences ; leur vérité ne saurait en souffrir.

L'Ange rouge

ll y a aussi un aspect sternbergien par lequel Masumura s’insère dans l’histoire du cinéma mondial dans la mesure où Ayako Wakao tient d’une manière originale le rôle d’une vamp / mante religieuse assez analogue sur le plan fonctionnel à celui que tenait Marlène Dietrich chez Josef von Sternberg. L’âge d’or de Masumura coïncide en tout cas assurément avec l’illustration dialectique de ces rapports d’Eros et Thanatos placés sous l’égide d’Ayako Wakao alors au sommet de sa beauté, illustration oscillant entre sobre rigueur mizoguchienne et vigueur baroque. La mention du cinéaste Kenji Mizoguchi me donne l’occasion de rappeler que Masumura avait été l’assistant de Mizoguchi et que Ayako Wakao avait tourné des rôles importants pour Mizoguchi. On a parlé du féminisme de Masumura : il est l’héritier direct de celui de Mizoguchi. Il ne faut donc pas s’étonner que Michelangelo Antonioni ait admiré l’oeuvre de Masumura qui avait été son élève en Italie (*) : Antonioni conférait à Monica Vitti dans sa tétralogie des années 1960-1965 une innocence thématiquement et symboliquement assez analogue, par ses tenants et aboutissants, à celle que Masumura donnait alors, en Asie, à Ayako Wakao. Antonioni et Masumura retrouvaient en somme, chacun à sa manière, l’esprit de Josef von Sternberg : il y avait aussi bien chez Ayako Wakao que chez Monica Vitti, pour qui avait des yeux pour voir, quelque chose rappelant les rôles tenus par Marlène Dietrich dans les années 1930 mais aussi et surtout, plus tard, celui tenu par la japonaise Akemi Negishi dans Fièvre sur Anatahan (The Saga of Anatahan, Jap. 1953).

L’Ange rouge demeure peut-être le plus beau rôle de femme fatale jamais tenue par l’actrice Ayako Wakao, en concurrence directe avec celui qu’elle tenait l’année précédente dans La Femme de Seisaku (Seisaku no tsuma, Jap. 1965) du même Yasuzo Masumura : même dénonciation vigoureuse et informée de la guerre (russo-japonaise, cette fois), même histoire d’amour fou virant au surréalisme proche du fantastique. Le contexte militaire, d’un grand réalisme et d’une grande brutalité, la direction photo en Scope N&B à la fois âpre et sophistiquée, l’érotisme maudit du personnage central évoquent forcément, sur le plan de l’histoire du cinéma, l’antérieur Histoire d’une prostituée (Shunpu Den, Jap. 1965) de Seijun / Kyonori Suzuki mais deux éléments interdisent cependant de pousser trop loin la mise en parallèle. D’abord le film de Suzuki est le remake d’un titre de 1950 alors que celui de Masumura est la première adaptation cinématographique d’un roman original ; ensuite la mise en scène de Suzuki est parfois encombrée d’effets esthétisants un peu trop formalistes : elle s’avère au final moins sévère et rigoureuse que celle de Masumura dont les effets sont, en revanche, dosés à la perfection, renforçant la puissance envoûtante de sa mise en scène à mesure que l’histoire s’achemine vers son dénouement, un des plus beaux de l’histoire du cinéma mondial et du cinéma japonais, tout autant.

Note :
(*) Jonathan Rosenbaum rappelle à juste titre (dans un article paru sur son blog internet le 11 avril 2023) que Michelangelo Antonioni (1912-2007) vint assister sur son fauteuil roulant, environ cinquante ans après lui avoir enseigné en 1950-1953 la technique cinématographique, à l’intégralité de la rétrospective Masumura projetée (en 1996) à Rome. Il mentionne en outre un point intéressant, souvent ignoré ou négligé en France, à savoir la thèse de philosophie qu’aurait soutenue Masumura sur Kierkegaard tout en travaillant comme assistant-réalisateur à la Daiei. J’ajoute que cet aspect philosophique de la formation de Masumura le rapproche d’un autre grand cinéaste japonais contemporain des années 1960 : Masaki Kobayashi.

L'Ange rouge

Présentation - 2,0 / 5

Combo 1 Blu-ray BD25 région B + 1 DVD-9 édité par The Jokers le 29 mars 2023. Durée : 95 min. environ (durée cinéma sur Blu-ray). Image 2.35 DaieiScope-N&B, compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF. Suppléments : présentation par Clément Rauger (18 min. environ) + bande-annonce reprise française. Belle illustration de jaquette, élégante et sobre. Pourquoi n’avoir pas proposé l’affiche originale japonaise en verso ? C’eût été un document de première main apprécié.

Bonus - 2,5 / 5

Le Cinéma de Masumura : entretien avec Clément Rauger (2023, durée 18 min.) : Clément Rauger avait travaillé à un mémoire sur le cinéaste Yuzo Kawashima qui avait réalisé en 1961-1962 une trilogie avec l’actrice vedette de la Daiei, Ayako Wakao, avant qu’elle devienne l’égérie de Yasuzo Masumura dans les années 1965. Il y a donc une logique dans son intérêt pour Masumura : sa filmographie comporte un point commun remarquable, en la personne d’Ayako Wakao, avec celle de Kawashima. Quelques bonnes remarques sur la thématique et l’esthétique de Masumura, sur les liens unissant les deux titres de 1966 réédités en vidéo et repris au cinéma, à savoir L’Ange rouge et Tatouage. Concernant l’idée de Rauger que l’infirmière symbolise le Japon en raison de son prénom Sakura, elle me semble très bonne mais il faut ajouter que les héroïnes japonaises des films japonais symbolisent toutes et toujours, d’une manière ou d’une autre le Japon ! J’ajoute dans la foulée que l’héroïne ici incarnée par Ayako Wakao - ange consolateur, individuellement maudite mais socialement conforme à ce que les autorités attendent d’elle du début à la fin de sa mission - apparaît d’un patriotisme sans faille.

Bande-annonce de la reprise (durée 1’29”, VOSTF) : elle comporte quelques slogans français sur des extraits bien restaurés argentiquement et numériquement de L’Ange rouge et de Tatouage, tous deux tournés en 1966, l’un en DaieiScope-N&B, l’autre en DaeiScope-couleurs. Les deux titres ont pour deux points communs leur cinéaste et leur actrice vedette mais aussi, comme le remarque bien Clément Rauger dans sa présentation du cinéma de Masumura, un aspect thématique.

Honorable édition spéciale mais légère sur le plan matériel documentaire ; le cinéphile anglophone souhaitant en savoir davantage pourra se reporter à l’édition collector Arrow de 2022 qui comporte un commentaire audio, un livret illustré, des présentations, une galerie affiches et photos.

L'Ange rouge

Image - 5,0 / 5

Format d’origine DaieiScope-N&B 2.35 respecté compatible 16/9, en Full HD 1080p AVC sur Blu-ray. C’est le master Kadokawa restauré en 2022 à partir d’un transfert 4K. Sur le plan argentique, la restauration est impeccable et sur le plan numérique, la haute définition rend assurément justice à la belle direction photo de Setsuo Kobayashi, aux contrastes appuyés, aux noirs profonds. Dorénavant l’édition de référence en Full HD.

L'Ange rouge

Son - 5,0 / 5

VOSTF DTS-HD Master Audio 1.0 : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone car il n’a jamais existé de VF. Musique intéressante signée Sei Ikeno. Dialogues, effets sonores, musique sont bien répartis et parfaitement nettoyés. L’idée du générique d’ouverture (sur plans fixes par-dessus lesquels éclatent des rafales d’armes automatiques) fait évidemment songer aux rafales qui sonorisaient celui de Le Procès de Vérone (Ital. 1963) de Carlo Lizzani, trois ans plus tôt.

Crédits images : © Daiei Studios

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 26 avril 2023
Guerre, érotisme voire fantastique pour Ayako Wakao dans un de ses meilleurs rôle de femme fatale pour le cinéaste japonais Yasuzo Masumura.

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