Chromosome 3 (1979) : le test complet du Blu-ray

À partir d’un thème freudien, un des plus intenses films fantastiques signés par Cronenberg.

Canada 1979 : le Dr. Raglan a fondé une clinique où il expérimente une nouvelle psychothérapie  : matérialiser les angoisses, les colères et les peurs sous la forme d’excroissances corporelles, en charger le corps afin d’en libérer le psychisme. Nola Carveth est sa patiente d’élection mais elle est suivie de près, mise à l’écart des autres malades, car son agressivité demeure redoutable. Son époux Frank, en instance de divorce, constate d’étranges blessures sur le dos de leur petite fille qui l’accompagnait lors d’une visite. Des proches et des parents de Nola sont tués dans d’atroces circonstances par d’étranges créatures. Frank mène son enquête auprès des patients de la clinique, dont les langues se délient depuis qu’ils ont été évincés au profit de Nola : par une nuit d’horreur, il découvre finalement quel terrible secret elle recèle.

Chromosome 3 (The Brood, Canada 1979) de David Cronenberg est l’un de ses films fantastiques les plus riches et les plus secrets, l’un de ceux dont la vision demeure réellement angoissante.

Son affiche française d’exploitation (impressionnante et bien plus belle que les visuels des éditions Blu-ray de ces dix dernières années) posait une question-slogan sous l’étrange image de l’actrice Samantha Eggar prise en tenaille entre une chair et un psychisme stylisés : « Savez-vous de quoi est capable votre esprit ? ». L’idée fantastique du « psychoprotoplasme », terrible émanation de la haine inconsciente, est dérivée de la théorie clinique psychosomatique freudienne. Sa matérialisation animée, autrement dit son incarnation, n’est pas non plus une idée absolument neuve : c’était déjà le thème majeur du classique Planète interdite (USA 1956) de Fred McLeod Wilcox. Mais la mise en scène réaliste de l’idée et son développement dans Chromosome 3 sont, en revanche, originaux : on n’oublie pas, une fois qu’on l’a vue, la terrible séquence finale nocturne de la clinique isolée dans une maléfique forêt enneigée. Le scénario s’inspire de l’expérience du divorce vécu à cette époque par Cronenberg (qui aurait conféré au personnage de Nola un surcroît de réalisme) mais il joue surtout sur plusieurs mythes dont il propose une intelligente variation : Pygmalion et Galathée, le créateur supplanté par sa créature mais aussi, et peut-être surtout, celui de la déesse primitive archaïque, à la fois mère et dévoratrice, source sacrée ambivalente de vie et source de mort. Chromosome 3 s’avère doté d’un suspense insidieux, montant en puissance pour aboutir, lors de plusieurs séquences, à partir d’une esthétique strictement réaliste, au cauchemar fantastique. Il est, en outre, porté par l’interprétation remarquable de ses deux vedettes, toutes deux d’origine londonienne, Oliver Reed et Samantha Eggar.

Sur le plan de l’histoire de l’exploitation, notez que le cinéaste Roger Corman fut le distributeur américain du film. La bande-annonce américaine fut montée par Joe Dante qui travaillait alors pour la société New World Pictures de Corman.

1 film sur Blu-ray 50 région B, édité en France le 24 novembre 2022 par BQHL. Format image 1.77 (à partir du 1.85 original) en couleurs, son Linear PCM 2.0. VF d’époque + 5.1 VOSTF, durée du film : 88 min environ. Bonus  : Présentation du film par le journaliste Sébastien Gayraud (2022, 52’16”) + « David Cronenberg: The Early Years » : entretien avec David Cronenberg (2011, 13’16”, VOSTF) + « The Look of Rage » : entretien avec Mark Irwin, chef opérateur (2013, 13’33”, VOSTF) + « Producing the Brood » : entretien avec Pierre David, producteur (2013, 11’10”, VOSTF) + « Meet the Carveths » : rencontre avec les acteurs Art Hindle et Cindy Hinds (2013, 19’48”, VOSTF) + « Character for Cronenberg » : entretien avec Robert A. Silverman (2013, 10’24”, VOSTF). Visuel d’illustration du boîtier hélas vraiment très laid : il aurait fallu reprendre l’affiche française de 1980, bien plus belle et expressive, celle qu’on pouvait encore contempler sur les jaquettes des premières éditions DVD Opening (DVDY) au début des années 2000.

Présentation du film par le journaliste Sébastien Gayraud (2022, 52’) : c’est le seul bonus franco-français de cette édition et l’unique bonus original puisque les autres (tournés en 2011 et 2013) se trouvaient déjà dans la précédente édition française Blu-ray Pathé, repris de l’édition Blu-ray américaine Criterion. Gayraud situe soigneusement le titre dans la bio-filmographie du cinéaste puis l’analyse en détails. Parfois trop en détails : il est normal que, dans la campagne canadienne de 1980, les intérieurs d’une clinique, située en pleine campagne, soient à base de bois ; il ne faut pas y voir une volonté esthétique particulière ni extrapoler inutilement à partir de ce genre de détails. Présentation d’ailleurs laborieuse et trop longue. Nombreux extraits du film, y compris de sa fin : c’est signalé par un avertissement.

« David Cronenberg: The Early Years » : entretien avec David Cronenberg (2011, 13’16”, VOSTF) : le cinéaste explique, dans cet entretien réalisé par Chris Alexander (le rédacteur en chef de la revue Fangoria), les circonstances et les raisons pour lesquelles il voulut devenir cinéaste. Il revient sur les conditions dans lesquelles furent produits ses deux premiers grands titres fantastiques commerciaux de 1975 et 1977 par la société de production Cinepix, et sur la manière dont il apprit le métier de cinéastes en travaillant avec les deux producteurs de Cinepix, et sur les raisons du passage à vide filmographique (concernant sa filmographie fantastique sélective) entre 1977 et 1979. Ce bonus (le plus intéressant avec celui contenant l’entretien avec Pierre David) provient de l’édition américaine Criterion.

« The Look of Rage » : entretien avec Mark Irwin (2013, 13’33”, VOSTF) : le directeur photo Mark Irwin explique quelle fut sa conception de l’image et comment il éclaira certaines séquences, sans oublier certains effets spéciaux. Assez redondant et décevant car Irwin décrit pas mal de scènes : ce qui est inutile puisqu’on vient de les visionner. En revanche, on apprend qu’Irwin avait écrit une thèse sur le cinéma de Cronenberg (incluant ses deux premiers titres relevant du cinéma expérimental puis ses deux grands films fantastiques de 1975 et 1977) avant de devenir son directeur photo en 1979, suite au désistement de René Verzier.

« Producing the Brood » : entretien avec Pierre David, producteur (2013, 11’10”, VOSTF) : le producteur de Chromosome 3, Scanners et Videodrome explique précisément les conditions de financement et la manière dont il prit la suite de Cinepix comme producteur des films fantastiques de Cronenberg. Intéressant car témoignage peu connu en France, qui situe Cronenberg dans l’histoire de la production cinéma et TV canadienne. David explique également comment le réalisateur et lui travaillaient sur le scénario. L’un des deux meilleurs bonus de cette édition.

« Meet the Carveths » : rencontre avec les acteurs Art Hindle et Cindy Hinds (2013, 19’48”, VOSTF) : les deux acteurs se souviennent du tournage, de leur relation avec le cinéaste, avec l’acteur principal Oliver Reed. Assez peu intéressant. Ce bonus (dans lequel des anecodtes sur Oliver Reed sont à nouveau racontées) provient de l’édition américaine Criterion.

« Character for Cronenberg » : entretien avec Robert A. Silverman (2013, 10’24”, VOSTF) : témoignage étonnant (en raison des circonstances dramatiques de sa vie) de ce bon acteur qui est aussi l’interprète du sculpteur dans Scanners. Mais assez peu de souvenirs sur le film de Cronenberg : en revanche, tableau de l’état de la production canadienne cinéma, de ses rapports avec le théâtre et la télévision, par exemple à la faveur d’un souvenir concernant le cinéaste Ted Kotcheff.

Ensemble riche en témoignages de première main mais valant surtout, sur le plan de l’histoire du cinéma, par ceux de Cronenberg lui-même et du producteur Pierre David. Ces bonus, mise à part la présentation franco-française de 2022 filmée sur un coin de canapé, reprennent tout bonnement ceux de l’édition Blu-ray française Pathé de 2014 qui eux-même provenaient de l’édition américaine Criterion. Attention, tous regorgent d’extraits du film de référence, y compris de sa fin.

Format 1.77 (légèrement recadré à partir du 1.85 original) compatible 16/9, en couleurs. Direction photo (réaliste mais parfois stylisée en dominantes comme lors de certains plans d’ensemble nocturne), signée Mark Irwin dont ce fut la première collaboration avec Cronenberg. Copie argentique impeccable, excellent transfert vidéo, léger recadrage mis à part qui n’a, heureusement, pas les mêmes conséquences en Full HD : reste que l’ancienne édition française DVD Opening du début des années 2000 respectait strictement le format 1.85 : pourquoi les Blu-ray des années 2020, y compris ceux se voulant « collector », ne le font-ils pas ?

Linear PCM 5.1. en VOSTF + 2.0 Mono pour la VF d’époque : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. La VF d’époque est dramaturgiquement excellente, les voix françaises conviennent bien aux personnages. Belle musique dodécaphonique, angoissante, de Howard Shore, et sa première composée pour un film de Cronenberg : ils travaillèrent régulièrement ensemble par la suite.

Crédits images : © Mutual/Elgin International, Canadian Film Development Corporation