Le Détroit de la faim (1965) : le test complet du Blu-ray

Kiga kaikyo

Réalisé par Tomu Uchida
Avec Rentaro Mikuni, Akiko Kazami et Sachiko Hidari

Édité par Carlotta Films

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Le 15/03/2023
Critique

Film noir policier ample, ambitieux, parfois expérimental, signé par Uchida, un des maîtres du cinéma japonais.

Le Détroit de la faim

Japon, 20 septembre 1947, détroit de Tsuguru entre les îles Hokkaïdo et Honshu : le typhon n°10 provoque une nuit de panique car il a inopinément changé de direction, provoquant le naufrage du navire Sounmaru. Deux cadavres, les seuls à n’avoir pas été réclamés parmi des dizaines d’autres identifiés, sont ceux d’anciens détenus de la prison d’Abashiri. On les soupçonne d’avoir, profitant de la confusion au lendemain du naufrage, assassiné Yasada un prêteur sur gages et mis le feu à sa maison, feu qui se propage à presque tout un village. L’inspecteur Yumisaka a la certitude qu’ils furent tués par leur complice, un troisième homme en fuite qui lui échappe grâce à la prostituée Yae. En 1957, dix ans plus tard, le meurtre de cette dernière remet inexorablement Yumisaka sur la piste du mystérieux criminel.

Le Détroit de la faim (Kiga kaikyo, Japon 1965) de Tomu Uchida (1898-1970) est un des films noirs policiers japonais les plus remarquables de la décennie 1960-1970. Produit par la Toeï, son scénario adapte un roman de Tsutomu Mizukami qui avait été publié en épisodes dans le journal quotidien Asahi. C’était l’occasion pour Uchida, alors un peu lassé des films historiques (jidai-geki eiga) qu’il réalisait depuis son retour de Chine en 1953 avec une précision d’esthète - par exemple, ceux interprétés en vedette par Chiezo Kataoka tels que Le Mont Fuji et la lance ensanglantée (Chiyan Fuji, Jap. 1955) et, surtout, l’admirable Meurtre à Yoshiwara (Hana no Yoshiwara hyaku-nin giri, Jap. 1960) - de revenir aux films contemporains (gendai-geki eiga).

Le Détroit de la faim

Uchida avait toujours expérimenté : il tourna Le Détroit de la faim en 16mm par la suite gonflé en 35mm au format 2.40 ou 2.66 (les sources divergent mais aujourd’hui le format vidéo retenu est le 2.40) - selon un procédé alors assez mystérieusement nommé « W106 » au générique d’ouverture - afin d’augmenter la rudesse et l’âpreté de l’image. Il filma certaines séquences avec l’effet optique de pseudo-solarisation connu sous le nom de « Effet Sabatier », produisant un aspect fantastique. Ce type d’expérimentation était récurrent durant la décennie 1960-1970 : qu’on songe à certains titres aujourd’hui célèbres signés par de plus jeunes cinéastes tels que Hiroshi Teshigahara, Koji Wakamatsu, Seijin / Kyonori Suzuki, Masahiro Shinoda ! Uchida avait été, pour sa part, déjà considéré comme un novateur durant la période 1920-1930, à l’époque du cinéma muet et il prouvait qu’il n’avait jamais cessé de l’être.

Le Détroit de la faim

Uchida s’intéressa en outre, dans Le Détroit de la faim, à l’alliage thématique et stylistique des genres. La première partie oscille avec nervosité entre film d’aventures, film noir policier et frôle même occasionnellement le film fantastique : concernant ce dernier genre, ses éléments matériels les plus évidents sont le Mont Effroi (filmé de loin) et l’Itako, cette impressionnante prêtresse aveugle, chaman de société primitive devenant, lorsqu’elle est en extase, un medium entre les morts et les vivants. La seconde partie est une description sociale à la fois baroque et fiévreuse qui hérite du néo-réalisme d’un Mizoguchi (1948) et d’un Kurosawa (1949) pour dépeindre d’une manière encore plus brut et dynamique le bruit et la fureur des bas-fonds du Tokyo d’après-guerre. Son esthétique nerveuse (ample panoramique suivant en plongé Yae en train de fuir la raffle policière, brusque rupture de cadre ou de mouvement lors des interrogatoires finaux) a certainement influencé des cinéastes tels que Kinji Fukasaku et Norifumi Suzuki lorsqu’ils ont dépeints l’après-guerre à Tokyo. La troisième partie redevient un film noir policier classique au suspense particulièrement tendu, moins foisonnant et beaucoup plus linéaire que les deux parties antérieures, à la forme progressivement épurée mais s’achevant d’une manière vraiment grandiose sur le plan visuel.

Le Détroit de la faim

Excellente interprétation portée par Junzaburo Ban en inspecteur déchu devenu gardien de prison, Rentaro Mikuni en énigmatique et ambivalent criminel, Sachiko Idari en prostituée passionnée et instinctive (elle venait d’être récompensée l’année précédente par la critique japonaise pour son rôle en vedette dans La Femme insecte de Shohei Imamura), Ken Takakura en jeune inspecteur énergique. Le Détroit de la faim reçut au Japon plusieurs prix pour sa mise en scène, son scénario, son interprétation masculine et féminine. L’esprit soufflait alors sur cette période et sur ce genre. Cet autre grand film noir policier de la période qu’est Entre le ciel et l’enfer (Tengoku to jigoku, Jap. 1963) d’Akira Kurosawa, un cinéaste de la même génération qu’Uchida, manifestait d’ailleurs la même ambition thématique, la même ampleur plastique récurrente, le même type d’alliage générique occasionnel.

Le Détroit de la faim

Présentation - 3,0 / 5

1 Blu-ray 50 région B sous boîtier avec fourreau, édité par Carlotta films le 21 février 2023. Image du film restauré 2K N&B au format 2.40 compatible 16/9, encodé AVC 1080 / 23.98p Full HD. Son VOSTF à la norme DTS HD Master Audio 1.0. Durée du film : 183 min. Suppléments : présentation par Jasper Sharp (2022, VOSTF, 27 min.) + 1 bande-annonce Toeï originale (VOSTF, format 2.40 en N&B 16/9, durée 3 min. 57 sec.).

Bonus - 2,5 / 5

Présentation par Jasper Sharp : (VOSTF, 27 min.) : elle débute assez mal car Sharp affirme que Uchida est un cinéaste qui fut méconnu en Occident en raison de la mauvaise distribution de ses titres, festivals et cinémathèques mis à part. Reste que Georges Sadoul, Dictionnaire des cinéastes (éditions du Seuil, Paris 1965, nouvelle édition revue par Émile Breton en 1977) lui consacrait dès 1965 une notice (op. cit. page 225) en tant que fondateur de l’avant-garde japonaise cinématographique des années 1920 « avec ses amis Mizoguchi et Kinugasa ». Sur la vie de Uchida, Sharp est parfois évasif notamment durant la période d’après-guerre qu’il passa en Chine. La notice de Sadoul assurait en 1965 que Uchida avait aidé cinématographiquement la Chine maoïste de 1942 à 1953 ; d’autres écrivent aujourd’hui qu’il fut tout bonnement prisonnier de guerre. Son fils a déclaré (entretien vidéo de 2005 annexé au coffret Tomu Uchida édité par Wild Side Vidéo) qu’à son retour au Japon, Tomu Uchida avait perdu au moins 10 kilos et avait dû être hospitalisé pendant presque un mois avant de pouvoir reprendre une vie professionnelle et sociale normale. Sharp ne tranche pas la question. Ce qui signifie qu’il nous manque une solide biographie de Uchida, qu’elle soit écrite en anglais ou en français. Quelques intéressantes informations sur la période muette jusqu’à 1930 puis parlante antérieure à 1950 de la filmographie d’Uchida, moins familière au cinéphile français contemporain car moins éditée chez nous en vidéo numérique et parfois disparue sous les bombes de la Seconde guerre mondiale de 1939-1945. Sur le film de 1965, assez peu de précisions nouvelles sauf l’information frappante selon laquelle la Toei aurait coupé 20 ou 30 minutes pour ne laisser que les 182 minutes actuellement connues : Sharp assure que ce fut le motif de la rupture définitive entre le cinéaste et la firme. Je remarque que le fils d’Uchida n’en avait pas soufflé un mot dans son entretien de 2005. L’ignorait-il ? Ou bien, s’il le savait, l’a-t-il volontairement passé sous silence afin de ne pas raviver une vieille dispute entre son père et la firme ? Quelques informations filmographiques sur les acteurs principaux complètent l’ensemble, par ailleurs bien illustré (affiches couleurs, photos de plateau N&B).

Bande-annonce originale (durée 3’57”, image 2.40 N&B compatible 16/9, VOSTF) : elle est en assez bon état argentique et mentionne au début certains des prix obtenus par le film.

Honnête mais sans plus, surtout rapporté à l’édition Arrow (dont ce master provient) qui comporte une bonne dizaine de bonus et un livret, ici pas repris par Carlotta.

Le Détroit de la faim

Image - 3,5 / 5

Full HD 1080p ToeiScope (procédé W106) au format 2.40, en N&B compatible 16/9 sur Blu-ray. Copie argentique restaurée 2K en assez bon état argentique : c’est le master fourni par la Toeï à l’éditeur Arrow en 2022 qui est ici repris par Carlotta. Reste que c’est le négatif 16mm d’origine qui est à la base de cette restauration. L’ensemble fut par la suite gonflé en Scope 2.40 (ou 2.66 selon certaines sources) et pellicule 35mm pour l’exploitation cinéma de 1965, avec des zooms optiques sur certains plans, un effet de pseudo-solarisation sur quelques brèves séquences et quelques plans. Le grain de certains plans est ainsi très augmenté mais la définition argentique est amoindrie. Concernant la définition vidéo, l’ensemble est inégal et certains plans sont en état vidéo moyen, d’autres bien définis. En dépit des efforts de la Toeï et de Arrow, il faut probablement incriminer le « négatif-source » à propos de ces inégalités récurrentes. Cela dit, ne faisons pas la fine bouche : le progrès demeure considérable rapporté à l’ancienne édition DVD du coffret Uchida édité par Wild Side Vidéo en 2006-2007, grâce au simple passage à la haute définition. Direction photo signée Hanjiro Nakazawa qui travaillera par la suite sur certains des titres les plus remarquables du cinéaste Kinji Fukasaku (notamment en 1975).

Le Détroit de la faim

Son - 3,0 / 5

VOSTF en DTS-HD Master Audio 1.0 : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. Le film ayant été tourné en 16mm - un procédé qui ne permettait pas encore, à l’époque, l’enregistrement du son direct - il fut intégralement post-synchronisé en studio, avec les véritables voix des acteurs, au moins principaux. Le cinéphile reconnaîtra ainsi immédiatement la sonorité si particulière de celle de Ken Takakura. Musique avec choeurs à la tonalité parfois fantastique, composée par Isao Tomita. Les dialogues et la musique sont assez nets mais les effets sonores sont parfois en retrait : il faut incriminer lorsqu’on remarque de telles mises en retrait le montage son 1965 de la post-synchronisation.

Crédits images : © Toei

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
Note du disque
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francis moury
Le 16 mars 2023
Film noir policier impressionnant, mis en scène d'une manière esthétiquement et thématiquement très ample, parfois même expérimentale, par Tomu Uchida, un des maîtres du cinéma japonais classique muet puis parlant, alors au crépuscule de sa carrière mais encore très inspiré.

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