Le Baiser du tueur (1955) : le test complet du Blu-ray

Killer's Kiss

Réalisé par Stanley Kubrick
Avec Frank Silvera, Jamie Smith et Irene Kane

Édité par BQHL Éditions

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Le 29/06/2023
Critique

Premier et remarquable film noir policier signé par Stanley Kubrick.

Le Baiser du tueur

New York, USA 1955. tout en attendant son train à la gare, Davey se remémore les trois jours qui viennent de s’écouler et qui ont changé sa vie. Vaincu à nouveau sur le ring, il songeait à quitter la ville afin de se ressourcer dans la campagne de Seattle (où son oncle possède un ranch et l’a invité chaleureusement) mais il tombe amoureux de sa voisine Gloria. Cette danseuse, échouée dans un bar à hôtesses, est courtisée par Rappalo son patron mais aussi un psychopathe prêt à tout pour la conquérir. Jaloux, il la séquestre et ordonne le meurtre de Davey : ses hommes tuent par erreur le manager de Davey. Recherché par la police, ce dernier n’a plus que quelques heures pour prouver son innocence et sauver Gloria.

Le Baiser du tueur (Killer’s Kiss, USA 1955) de Stanley Kubrick est à la fois son premier grand film de fiction et son premier grand film noir policier, écrit par Howard Sackler d’après une histoire de Kubrick. Par la suite, ce dernier n’adaptera plus que des romans déjà édités. Il n’avait auparavant tourné que deux courts-métrages et le curieux film de guerre Fear and Desire (USA 1953) également écrit par Sackler et interprété par Frank Silvera mais au budget très serré et dont il n’était techniquement pas satisfait. Par souci d’économie mais aussi pour mieux dominer l’ensemble des composantes du film, Kubrick signe aussi sa direction de la photographie et son montage.

Le Baiser du tueur fut réalisé pour 75 000 US$ en extérieurs naturels new-yorkais, sans autorisation et d’une manière semi-clandestine, parfois caméra à l’épaule ou dissimulée dans une voiture ou posée sur la plate-forme arrière d’une camionnette pick-up afin de réaliser les travellings. L’équipe de prise de son s’avéra incapable d’enregistrer correctement le son direct : Kubrick fut contraint de faire doubler en auditorium l’ensemble du dialogue et d’y réaliser les effets sonores. L’actrice vedette Irene Kane (dont c’était le premier film) n’étant alors plus disponible, ce fut la voix de l’actrice Peggy Lobbin qui la postsynchronisa. La brève séquence du cauchemar de Davey fut filmée sur pellicule négative. La scène du combat au milieu des mannequins aurait été tournée en deux semaines et coûta relativement cher en raison de la destruction d’un assez grand nombre d’entre eux durant les répétitions. On chuchota que la nudité de ces mannequins préoccupait le distributeur Artistes Associés et l’administration de la censure cinématographique. Ayant acheté une part producteur de 100 000 US$ dans Le Baiser du tueur (et pris une options sur son film suivant L’Ultime razzia), Artistes Associés exigèrent une fin heureuse (happy end) afin de limiter le risque commercial : Kubrick désapprouva l’idée mais s’inclina, soucieux de parvenir, pour la première fois de sa vie, à rentabiliser un film.

Le Baiser du tueur

Notez que ce film noir de 1955 est construit comme une série de souvenirs intercalés entre quelques plans du temps présent : structure classique du genre qui avait été notamment illustrée par Orson Welles en 1948. Certains plans (l’embuscade nocturne dans l’impasse, la poursuite sur les toits) furent sans doute inspirés par certains plans de films noirs policiers antérieurs de Jules Dassin (1948), de Robert Wise (1949) ou d’Elia Kazan (1950) mais ils furent transformés par le soin méticuleux apporté aux profondeurs de champ et aux grands angles, parfois presque expérimentaux pour l’époque. D’autres aspects furent prémonitoires au sein même du genre : on ne peut ainsi plus s’empêcher de penser (par un effet de rétrospection cinéphile contrariant l’ordre chronologique de l’histoire du cinéma) au Fenêtre sur cour (Rear Window, USA 1954) d’Alfred Hitchcock lorsqu’on visionne les séquences techniquement remarquables durant lesquelles Jamie Smith observe Irene Kane par sa fenêtre. Le choix même d’Irene Kane comme vedette fut authentiquement hitchcockien : son physique correspondait en effet aux canons esthétiques que Hitchcock recherchait alors pour ses héroïnes américaines.

Kubrick n’était pas trop satisfait, dit-on, par Le Baiser du tueur, considérant qu’il s’agissait d’un travail du niveau d’un bon étudiant en technique cinématographique mais sans plus. Il était trop sévère car le résultat fut, au total, réellement brillant, équilibré entre rigueur documentaire et cauchemar baroque, souvent inspiré. La séquence du combat au milieu des mannequins fut remarquée non seulement pour sa violence mais encore pour ses effets stylistiques : à juste titre car elle influença durablement des cinéastes de genres variés, en particulier fantastique : qu’on songe par exemple au bel hommage que lui rendra l’une des plus belles séquences du Hidden (The Hidden, USA 1985) de Jack Sholder, trente ans plus tard.

Le Baiser du tueur

Présentation - 1,0 / 5

1 Blu-ray BD50 région B 1080p AVC édité par BQHL le 26 janvier 2023. Image 1.37 N&B compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio VOSTF 2.0 mono. Durée film : 67 min. environ. Suppléments : présentation du film par Laurent Vachaud (48 min. environ). Illustration de jaquette et de menu principal plus heureuse que celle montrée pour le film noir policier de Kubrick de 1956 chez le même éditeur.

Bonus - 3,0 / 5

Présentation du film par Laurent Vachaud (48’ environ) : informations précises sur la genèse, la production et le tournage du titre. Par exemple sur l’influence esthétique du magazine Look auquel Kubrick avait collaboré durant 7 ans, sur la récupération de certains plans d’un court-métrage antérieur pour le combat de boxe, sur la manière dont il repérait les décors (proches de chez lui, faute d’argent pour voyager) afin de disposer d’un schéma minimum de scènes d’action déjà imaginées avant même d’avoir un scénario construit. Quelques critiques parfois sévères sur certains aspects (scénario, écriture, dramaturgie) du film. Assez nombreuses remarques mettant en rapport ce titre avec le reste de la filmographie de Kubrick, parfois discutables, parfois très justes : c’est la règle inévitable du jeu. Laurent Vacheraud semble étonné par la longue durée des 13 semaines sur lesquelles se répartit cette production indépendante de 1955 mais certaines productions indépendantes prirent plus de temps encore : qu’on songe simplement au premier grand film fantastique de George A. Romero dont le tournage dura de juillet 1967 à janvier 1968 ! En illustration, trop nombreux extraits du film (inutiles puisqu’on vient de le visionner mais augmentant artificiellement la durée de ce bonus) et quelques affiches. Au total, présentation riche et matière à belles discussions esthétiques et thématiques entre cinéphiles, même si un peu longue pour le novice, mais on aurait pu l’étoffer de la belle manière en la munissant du matériel publicitaire d’époque, sinon français, au moins américain.

Le Baiser du tueur

Image - 4,0 / 5

Format 1.37 en N&B compatible 16/9, Full HD 1080p AVC. Copie argentique parfaitement restaurée dotée d’une bonne définition, d’un bon contraste, d’une bonne gestion des noirs. Quelques imperfections subsistent cependant mais elles sont natives : deux ou trois plans de Gloria ne sont pas filmés avec une fenêtre standard « académique » mais avec une fenêtre aux angles tronqués ; quelques autres plans sont en état moyen mais il faut incriminer les conditions de tournage et le matériel argentique original ; sans oublier ce plan du port de New York montrant les mouettes volant au-dessus de l’eau au crépuscule, par exemple : peut-être un stock-shot rapporté à la continuité originale ? Certains plans du combat de boxe proviennent en outre d’un court-métrage antérieur de Kubrick (Day of the Fight). Transfert numérique qui hérite des qualités des premières restaurations américaines Full HD (Le Baiser du tueur avait été proposé en supplément à L’Ultime razzia sur sa première édition Blu-ray américaine Criterion en 2011) mais il faut savoir que le cinéphile anglophone dispose depuis 2022 d’une nouvelle édition américaine Kino Lorber en 4K HEVC (définition niveau 2160p). Reste qu’en Full HD, cette édition BQHL demeure la meilleure offre franco-française actuellement disponible.

Son - 5,0 / 5

DTS-HD Master Audio VOSTF 2.0 mono : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone puisque le film ne fut exploité chez nous qu’en VOSTF assez tardivement et uniquement dans le circuit art et essais (qui imposait la VOSTF) : il ne fut jamais muni d’une VF d’époque. Piste son bien nettoyée, à la répartition dynamique et à la netteté intacte,même si de rares petits défauts occasionnels subsistent. Suite à des problèmes techniques, le son ne fut pas enregistré en direct mais reconstitué intégralement en auditorium sous la direction de Kubrick : la voix d’Irene Kane, qui n’était plus disponible au moment de la post-synchronisation, fut doublée par Peggy Dobbin. Musique discrète mais soignée et belle, dotée d’une sourde puissance, signée par Gerald Fried qui collaborait alors régulièrement avec Kubrick.

Crédits images : © Minotaur Productions, United Artists

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony