Le Capitaine Volkonogov s'est échappé (2021) : le test complet du Blu-ray

Kapitan Volkonogov bezhal

Édition Digipack Collector Blu-ray + DVD

Réalisé par Natasha Merkulova
Avec Yuriy Borisov, Timofey Tribuntsev et Aleksandr Yatsenko

Édité par Kinovista

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Le 28/09/2023
Critique

Le premier film russe sur les purges staliniennes de la fin des années 30, efficacement écrit et mis en scène, sélectionné à Venise. À voir.

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé

URSS, 1938. Au pic de la Grande Terreur, Staline purge ses propres rangs. Les hommes du NKVD qui mettent en oeuvre la répression sont eux-mêmes arrêtés et exécutés. Se sachant à son tour condamné, le capitaine Fédor Volkonogov s’échappe. Dans sa fuite, il est frappé d’une vision : pour sauver son âme, il devra se confronter aux familles de ses victimes et obtenir leur pardon.

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé (Kapitan Volkonogov bezhal), sorti dans nos salles en mars 2023, a été sélectionné dans de nombreux festivals, principalement à Venise pour le Lion d’or, et a obtenu le Prix du public de L’Étrange Festival, créé en 1993 au Forum des images. C’est le troisième long métrage du couple marié Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov après Intimate Parts (Intimnye mesta, 2013) et L’Homme qui a surpris tout le monde (Chelovek, kotoryy udivil vsekh, 2018). Le film, bien qu’il ait été coproduit par le ministère de la culture et ait reçu son visa d’exploitation, n’a encore pas été distribué en Russie. Et les réalisateurs, depuis le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine, ont jugé prudent de s’exiler à l’étranger.

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé, la mise en image d’un scénario original coécrit par Alexeï Tchoupov et Natalia Merkoulova, est une captivante parabole sur le thème de la responsabilité de l’individu dans les crimes commis par l’institution dont il est un des exécutants. Peut-il s’exonérer en disant qu’il n’a fait qu’obéir aux ordres ? Une réponse négative est donnée par le concept de la « baïonnette intelligente », gravé sur les tables de la loi de nombreux états et à l’article 122-4 de notre code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ».

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé

Innocents aujourd’hui… mais traîtres, espions, terroristes demain !

L’action se situe pendant les purges ordonnées à partir de 1936 par Joseph Staline, devenu maître absolu du Parti communiste depuis 1929. Le scénario rappelle une des pages les plus noires de la déplorable histoire de l’URSS, avec l’élimination systématique de tout opposant, avéré ou supposé. Un lourd bilan : 750 000 exécutions et près de 2 millions de déportations dans les camps de travail du Goulag (où 140 000 des déportés moururent). Une contribution non négligeable au score de quelques 20 millions de morts (y compris les victimes de la famine dont sa politique économique est la cause directe) qui a placé le dictateur sur le podium des plus grands tueurs de masse de l’histoire de l’humanité, à côté de deux de ses concurrents, Mao Zedong et Adolf Hitler.

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé expose sans ambiguïtés la torture mentale et physique employée pour arracher les aveux d’opposants politiques, réels ou supposés. Condition requise pour les déporter ou les exécuter « démocratiquement » après un simulacre de procès vite expédié. Fédor Volkonogov, sentant sa fin prochaine quand les purges visent désormais ceux-là même qui y ont participé avec zèle, veut, pour éviter l’enfer, mourir la conscience tranquille : il attend le pardon des familles en leur apportant, avec les dossiers qu’il a volés, la preuve de l’innocence des condamnés.

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé souligne la violente et glaciale immoralité du régime, sans bornes, jusqu’au grotesque, notamment avec la scène du bourreau modèle qui ne gaspille pas les munitions : une seule balle dans la nuque lui suffit pour tuer un condamné. Et propre avec ça : un long tablier de cuir le protège des éclaboussures de sang, un panneau de bois prévient la souillure du mur !

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé, avec un budget modeste et de bons effets visuels, réussit à brosser un tableau impressionniste du St. Pétersbourg de 1938, alors rebaptisé Leningrad. Le choix des décors, la palette des couleurs glauques contrastant avec le rouge éclatant des uniformes des officiers du NKVD, tout s’accorde avec l’étalage cru de l’horreur des temps, des « méthodes spécifiques » employées pour obtenir les aveux. La course haletante de Fédor, poursuivi par son supérieur hiérarchique, le commandant Golovnya, efficacement mise en scène et montée, est accompagnée par Plaine, ma plaine (Poljuško-pole), le célèbre chant guerrier composé en 1934, servant de leitmotiv. Tout est exposé en un temps très court, moins de 24 heures, avec concision, sans temps mort.

Yuriy Borisov, que nous avions découvert dans l’émouvant film ukrainien Tchernobyl (Motylki, Vitaly Vorobyov, 2012) et revu dans T-34, machine de guerre (T-34, Aleksey Sidorov, 2018), devenu un acteur majeur avec cinq films sélectionnés en 2021 dans des festivals prestigieux, incarne intensément le personnage équivoque de Fédor, avec une grande économie de dialogues. La caméra ne lâche pas ce vibrant acteur, probablement plus connu à l’étranger qu’en Russie où les films majeurs dans lesquels il joue sont interdits ou prennent la poussière au fond d’un placard, probablement parce qu’ils vont à l’encontre de la nostalgie de l’ère soviétique diffusée par l’actuel président, ancien membre du KGB, l’ancêtre du NKVD.

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé

Présentation - 3,0 / 5

Le Capitaine Volkonogov s’est échappé (126 minutes) et ses suppléments (23 minutes, sans compter le commentaire audio du film) tiennent sur un Blu-ray BD-50 et sur un DVD-9 logés dans un Digipack à trois volets, glissé dans un étui.

Le menu propose le film dans sa langue originale, le russe, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français, avec le choix entre deux formats audio, DTS-HD Master Audio 5.1 ou 2.0 stéréo.

Sous-titres pour malentendants.

Un livret de 28 pages, dit dossier artistique, contient un entretien avec Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov : les auteurs disent leur « peur de la violence et de l’agressivité du monde (…) au passé comme au présent », analysent les motivations de Fédor, son instinct de survie et l’élévation de son âme, le poids du passé sur son comportement. Ils ont délibérément mélangé tragique et comique comme dans leur premier film, Intimate Parts, et mis une part de fantasmagorie dans l’évocation d’une page d’histoire. Suivent une courte note sur la dimension historique du film et une note d’intention de Sergey Frevalev, le chef-décorateur, qui n’a pas visé une reconstitution réaliste de l’époque et des lieux « car le totalitarisme n’est ni propre à une époque, ni à un pays ». Le livret se referme sur une note d’intention de Nadejda Vasilyeva, chef-costumière, rappelant ce qui l’a guidée dans la création des uniformes des officiers du NKVD.

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé

Bonus - 4,0 / 5

Commentaire audio de Natalia Merkoulova et Alexeï Tchoupov (russe, sous-titré). Les lieux de tournage, des repères visuels des années 30, ont été difficiles à trouver à l’automne 2020, au plus fort de la pandémie. La circulation de voitures dans les rues a été créée en postproduction et les costumes avec ont été fabriqués avec des matériaux les moins chers possibles… Un commentaire clair, bien préparé et riche en informations sur les options scénaristiques (27 versions du scénario écrites), sur les acteurs, sur les lieux de tournage, sur les costumes et accessoires, et aussi, sur la vérité historique : la torture par asphyxie avec un masque à gaz a bien été employée par le NKVD… et le serait encore aujourd’hui ! … Pas d’explication de l’étrange scène finale.

Présentation du film par Joël Chapron, spécialiste des cinématographies d’Europe de l’Est (21’). Il rappelle l’accession au pouvoir absolu de Joseph Staline, la purge de 1936 à 1938, organisée par Nikolaï Yezhov, chef du NKVD, avec des quotas d’exécutions et de déportations imposés à toutes les régions. Le Capitaine Volkonogov s’est échappé fait figure d’exception dans le cinéma soviétique et post-soviétique par le choix du thème des purges des années 30 qui n’avait jamais été abordé en Russie et rarement ailleurs, à l’exception de L’Assassinat de Trotsky (Joseph Losey, 1971) et du film estonien Crosswind (Martti Helde, 2014). Les réalisateurs, appartenant à la même génération que Boris Khlebnikov (Arythmie, 2019), se sont débarrassés de tout souci de réalisme, notamment pour les décors et les costumes, pour donner à leur film, « une rétro-dystopie », sa portée universelle. Sa coproduction par le ministère de la culture, la France et l’Estonie et sa sélection à Venise laissaient espérer une sortie en Russie, officiellement annoncée pour avril 2022. Mais le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine le 24 février a officieusement suspendu sa distribution en Russie et retardé sa sortie en France. Cinq films russes sont sortis en France sans avoir été distribués en Russie. On décèle dans le scénario l’influence de Crime et châtiment de Dostoïevski, pris à contrepied : le châtiment est décidé, il ne manque que l’aveu d’un crime. Joël Chapron souligne l’esthétique des costumes, des décors, de la reconstitution du St. Pétersbourg des années 30, le choix des couleurs, la qualité de la réalisation des scènes d’action. La violence du film et sa brutalité reprochée par certains critiques, sont sous-jacentes, exercées hors champ. Il fait l’éloge de Yuriy Borisov, « un des acteurs montants du cinéma russe contemporain », qu’Andreï Zviaguintsev avait été le premier à engager, en 2011, pour Elena. Il est le seul acteur à avoir eu deux films sélectionnés la même année à Cannes, Compartiment N°6 (Hytti nro 6, Juho Kuosmanen, 2021) et La Fièvre de Petrov (Petrovy v grippe, Kirill Serebrennikov, 2021). Deux films, ainsi que d’autres auxquels il a contribué, aujourd’hui invisibles en Russie.

Bande-annonce (1’40”, VOST).

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé

Image - 5,0 / 5

L’image numérique (1080p, AVC), au ratio 2.39:1, finement résolue, déploie une palette de couleurs délibérément glauques, s’accordant parfaitement à la froide horreur du récit, formant un fond assez terne duquel se détache le rouge vif des uniformes.

Le Capitaine Volkonogov s'est échappé

Son - 4,0 / 5

Le son DTS-HD Master Audio 5.1 (avec une alternative 2.0 stéréo) restitue clairement les dialogues et donne une présence naturelle à l’ambiance. La sensation d’immersion dans l’action reste discrète : pas de grande différence entre l’option multicanal et stéréo.

Ce qui s’applique au doublage en français, proposé avec le même choix.

Crédits images : © Look Film - Homeless Bob - Kinovista.

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 29 septembre 2023
Le premier film russe à dénoncer les purges staliniennes, sélectionné à Venise, ne fut pourtant jamais distribué en Russie. Viendrait-il à l’encontre de la nostalgie de l’ère soviétique diffusée par son actuel président, ancien membre du KGB ? Une poignante évocation de la terreur infligée au peuple par la dictature communiste.

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