Viva la muerte (1971) : le test complet du Blu-ray

Réalisé par Fernando Arrabal
Avec Anouk Ferjac, Núria Espert et Mahdi Chaouch

Édité par Éditions Montparnasse

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Le 29/08/2023
Critique

Première édition vidéo d’un film insolite d’un artiste protéiforme, Fernando Arrabal, marqué à jamais par la disparition de son père.

Viva la muerte

Après la guerre d’Espagne, sous le régime franquiste, Fando, un garçon d’une dizaine d’années, cherche à comprendre pourquoi son père a disparu. Il ne tarde pas à découvrir que c’est sa mère, pieuse catholique, qui a dénoncé son mari antifasciste. Perturbé par ces révélations, Fando va enquêter pour savoir ce qu’il est devenu. Dans un pays cadenassé par la censure et les interdits religieux, Fando, partagé entre haine et amour pour sa mère, va enfanter des délires sexuels et morbides…

Viva la muerte, tourné en 1970 en Tunisie, est le premier long métrage de Fernando Arrabal, né le 11 août 1932 à Melilla, une enclave espagnole sur la côte septentrionale du Maroc, artiste pluridisciplinaire, romancier, poète, dramaturge, essayiste, auteur de quatre ouvrages sur les échecs, de quatre livrets d’opéra, peintre, acteur, réalisateur et scénariste de dix films, sept longs et trois courts métrages. Ferid Boughedir, l’assistant-réalisateur, a probablement eu, une dizaine d’années avant la sortie de son chef-d’oeuvre, Halfaouine - L’enfant des terrasses (Asfour stah) une contribution significative à ce premier film d’Arrabal.

Oublie ton père !

Viva la muerte tire son titre d’un un cri de ralliement du camp franquiste pendant la guerre d’Espagne. Inspiré de souvenirs d’enfance du réalisateur, il est centré sur la question, restée sans réponse, qui le taraude depuis qu’il a appris, encore adolescent, que son père, républicain qu’on lui avait dit mort, avait disparu après s’être évadé en décembre 1941 de l’hôpital psychiatrique où il était détenu par le régime franquiste après une condamnation à mort commuée en emprisonnement à perpétuité. S’il n’a pas été exécuté, vit-il encore ?

Fernando Arrabal vit en France depuis 1955 où il rejoignit les surréalistes avant de fonder le mouvement Panique avec Roland Topor, Christian Zeimert et Alejandro Jodorowsky, un courant artistique prônant le rejet des codes et une « manière d’être (…) régie par la confusion, l’humour, la terreur, le hasard et l’euphorie ».

L’imagination, c’est l’art de combiner ses propres souvenirs

Viva la muerte

Cette phrase prononcée par Fernando Arrabal lors de la réouverture à Melilla en 2017 du Teatro Kursaal, rebaptisé Teatro Kursaal-Fernando Arrabal, donne la quintessence de Viva la muerte. Largement autobiographique, sans grande considération pour la grammaire du cinéma, entre des scènes montrant le jeune Fando dans sa famille, à l’école primaire, avec ses camarades de jeu, le film ouvre une large place aux fantasmes de l’artiste dans une succession de plans monochromes, en noir et blanc teinté ou en couleurs inversées, délibérément granuleux, flous et surexposés.

Cette suite d’images iconoclastes, une représentation des celles qui venaient à l’esprit de l’artiste au temps de la réalisation du film, souleva les foudres de la censure. On devinera aisément que le film fut banni en Espagne jusqu’après la mort de Franco. On pourra être surpris qu’en France la commission de contrôle des films demanda son interdiction totale par 18 voix contre 4. Sa projection fut toutefois autorisée au Festival de Cannes 1971, où il fit l’ouverture de la Semaine de la critique. Mais il dut attendre dix ans son visa d’exploitation, avec une interdiction aux moins de douze ans.

Viva la muerte, dans lequel la poésie est bafouée par la laideur, voire par la scatologie, la tendresse bousculée par une violence parfois insoutenable, peut difficilement être comparé à d’autres films. On y sent, bien entendu, l’influence du surréalisme et certains plans peuvent apparaître comme de furtifs clins d’oeil à L’Âge d’Or ou Un Chien andalou. D’aucuns pourront être choqués par l’aspect provocateur de ces séquences de souvenirs, mais aussi convenir qu’elles sont anodines en comparaison des souffrances indéfendables et ineffaçables infligées à Fando.

En contrepoint des images, une illustration musicale décalée, à l’occasion burlesque, où se mêlent Katyusha, le Gloria du Selva morale de Monteverdi, Bachianas brasileiras de Villa-Lobos… et, revenant à plusieurs reprises, notamment pendant les crédits illustrés par Roland Topor, la chanson danoise Ekkoleg (jeu d’échos), immédiatement associée au film.

Il était grand temps que Viva la muerte, retenu dans la sélection Cannes Classics 2022 où il fut projeté en présence du réalisateur, soit enfin édité en vidéo. C’est le seul film d’Arrabal aujourd’hui disponible en France. Pourquoi ne pas espérer l’édition d’une intégrale des dix films ? À défaut, de J’irai comme un cheval fou, sorti en salles fin 1973.

Viva la muerte

Présentation - 2,5 / 5

Viva la muerte(89 minutes) et son supplément (118 minutes) tiennent sur un Blu-ray BD-50 logé dans un boîtier noir glissé dans un fourreau.

Le menu propose le film dans sa langue originale, le français, au format audio Linear PCM 2.0 mono.

Piste d’audiodescription LPCM 2.0.

Sous-titres pour malentendants.

Une édition DVD est disponible, avec le même contenu.

Bonus - 4,0 / 5

Sur les traces de Baal (1970, 1080p, AVC, 1.33:1, DD 2.0, restauré en 2023 par la Cinémathèque de Toulouse, 19’), Un reportage sur le tournage de Viva la muerte, réalisé par Abdellatif ben Ammar, avec un texte dit par Mahdi Chaouch, le jeune interprète de Fando, et le commentaire de Fernando Arrabal. « Mathématicien raté », il avoue s’être lancé dans le cinéma pour réaliser, dit-il, « un film né de mes fantasmes (…), confus comme la vie » racontant ce qu’il avait vécu, l’irruption violente du fascisme dans son pays. Avec des plans du tournage, des séquences écartées du montage…

Vidarrabal, documentaire de Xavier Pasturel Barron, écrit par Aurélien Dutoit (2012, 1080p, AVC, 1.78 :1, DD 2.0, 99’). Arrabal, traumatisé dans son enfance, « a transformé cette souffrance en révolte artistique ». Devant la plaque apposée sur la maison où il naquit à Melilla, Fernando Arrabal dit avoir gardé le souvenir de son père, mais oublié son visage. Il se rappelle ce qu’était la vie après le putsch militaire de 1936 : bien que la moitié de la population fût opposée au franquisme, personne n’osait protester. Il se souvient de « l’univers des femmes qui l’entourait », notamment de sa mère et de sa tante Mercedes, de la belle nonne, la mère Mercedes qui fut son institutrice et lui fit gagner le premier prix de mathématiques. Frédéric Aranzueque-Arieta, auteur de Panique, Arrabal (Éditions L’Harmattan, 2008) rappelle la découverte, à 17 ans, que son père, dont on lui avait dit qu’il était mort, était peut-être vivant, devenu à ses yeux un héros. Une incertitude qui le taraudera toute sa vie et transparaîtra dans ses oeuvres, marquées par l’idée récurrente de la « confusion » des sentiments, du temps, de l’espace, de l’auteur et son oeuvre, par la priorité de l’esthétique sur l’éthique, par le rejet des codes et des tabous… L’imagination au pouvoir ! Il rejoint le Groupe surréaliste en 1958, puis The Beat Generation, et participe à la fondation du mouvement Panique. Une peine de dix ans de prison est requise à Madrid en 1967 pour une dédicace vue comme un outrage à la patrie. En détention préventive à Madrid, il est libéré au bout de cinq jours sous la pression internationale, mais restera interdit de séjour en Espagne jusqu’à la mort de Franco en 1975, contre lequel il a combattu sans relâche, avant de s’attaquer ensuite aux « fascistes de gauche », notamment à Fidel Castro. Un précieux document pour mieux connaître Fernando Arrabal et comprendre son cinéma. Avec Lakis Proguidis, docteur en sciences sociales, Benoît Delépine, Rufus, Christophe Salengro, Luce Moreau-Arrabal, l’épouse de Fernando, etc.

Viva la muerte

Image - 3,5 / 5

L’image (1080p, AVC), au ratio original de 1.66:1, après la restauration opérée par la Cinémathèque de Toulouse en 2022 « à partir d’éléments négatifs et d’un interpositif 34 mm », bien débarrassée des marques de dégradation de la pellicule, très douce, assez stable, déploie des couleurs un peu délavées, mais à l’étalonnage homogène. Les séquences de fantasmes sont délibérément altérées, comme les souvenirs par le temps. L’affinage probable du grain a préservé la texture du 35 mm.

Viva la muerte

Son - 4,0 / 5

Le son non compressé, au format Linear PCM 2.0 mono, restauré par le laboratoire L.E. Diapason, lui aussi très propre, pratiquement sans souffle, restitue clairement les dialogues, dans un non équilibre avec l’ambiance et l’accompagnement musical, délivré avec très peu de saturations. Du bon travail !

Crédits images : © Éditions Montparnasse

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 30 août 2023
Viva la muerte, la surprenante évocation d’une enfance bouleversée par le franquisme, est le premier long métrage de Fernando Arrabal, un artiste aux talents multiples, romancier, poète, dramaturge, acteur… Espérons que cette toute première édition vidéo de son œuvre cinématographique suscite l’édition d’une intégrale ou, à tout le moins, de son autre chef-d’œuvre, J’irai comme un cheval fou.

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