Le Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia - Coffret 3 films : Colegas + El Pico + El Pico 2 (1982) : le test complet du Blu-ray

Blu-ray + DVD + Livre

Réalisé par Eloy de la Iglesia
Avec José Luis Manzano, Fernando Guillén et Andrea Albani

Édité par Artus Films

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Le 23/10/2023
Critique

Trois films inédits d’Eloy de la Iglesia, témoins d’un genre populaire apparu en Espagne après l’abolition de la censure franquiste.

Le Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia

Réalisateur d’une vingtaine de films, Eloy de la Iglesia a su créer une oeuvre artistique homogène reflétant les malaises de la société espagnole postfranquiste, peignant le portrait d’une jeunesse désespérée, fuyant la misère en se réfugiant dans la drogue, la prostitution et la délinquance. Le terme quinqui, abrégé de quincallero (ferrailleur), s’appliqua à un genre du cinéma espagnol apparu dans la deuxième moitié des années 70 sous l’impulsion d’Antonio de la Loma.

Colegas (1982, 1.66:1, 98’, 1080p, AVC, LPCM 2.0). Antonio et sa soeur Rosario vivent en banlieue madrilène. José, un ami d’Antonio, est l’amant de Rosario. Tous les trois peinent à trouver un emploi. Antonio et José décident de se livrer à la prostitution dans un sauna gay.

El Pico (1983, 1.66:1, 109’, 1080p, AVC, LPCM 2.0). La dérive opiacée de deux jeunes amis, Paco et Urko, respectivement fils d’un commandant de la Garde civile et d’un militant nationaliste basque.

El Pico 2 (1984, 1.66:1, 122’, 1080p, AVC, LPCM 2.0). Paco, dans cette suite d’El Pico, est impliqué dans le meurtre d’un couple de trafiquants d’héroïne à Bilbao. Lorsque la presse commence à s’intéresser à l’affaire, les efforts de son père pour l’éloigner de la drogue et cacher les preuves du crime se révèlent inutiles.

Cinéma quinqui nous propose trois films d’Eloy de la Iglesia, encore absents de nos catalogues vidéo, largement méconnus en France, où seul El Pico a été distribué. Ils sont des témoins d’un cinéma d’exploitation de série B, peu exporté hors d’Espagne, apparu après l’abolition de la censure franquiste. Les canons du genre furent esquissés par José Antonio de la Loma, avec Perros callejeros (1977) et Perros callejeros II (1979).

Les trois films d’Eloy de la Iglesia proposés dans le coffret Cinéma quinqui abordent les thèmes emblématiques du genre, la délinquance des jeunes des banlieues, la drogue, la violence, le sexe. Mais l’évocation des violences policières, de la corruption, des troubles causés par le mouvement séparatiste ETA, des défaillances du système carcéral, les dérives de la presse à scandale leur donnent une dimension politique, très appuyée par El Pico 2. Le réalisateur choisit aussi de sortir des sentiers battus : Paco et Urko, les personnages principaux d’El Pico et El Pico 2, ne viennent pas d’une banlieue défavorisée, figurée par les sinistres barres d’immeubles grisâtres de Colegas, mais d’une bourgeoisie aisée du centre-ville.

Les quelques trente films du genre quinqui produits jusqu’au milieu des années 80 connurent un franc succès commercial, principalement auprès d’un jeune public espagnol, peut-être en raison de leur réalisme, de leur actualité, de l’accompagnement par des chansons écoutées par les jeunes d’alors. Les personnages sont interprétés par des jeunes non professionnels et l’authenticité de la représentation insistante de la dépendance à l’héroïne doit à l’expérience du réalisateur et de l’interprète de Paco, José Luis Manzano, dont la carrière fut interrompue à 29 ans par une overdose.

Généralement décrié par la critique, le genre gagnera ses lettres de noblesse avec Vivre vite (Deprisa, deprisa) de Carlos Saura, récompensé à Berlin par l’Ours d’or en 1981 (À quand une réédition ?).

Avec Cinéma quinqui, Artus Films est le premier éditeur français à proposer des films d’Eloy de la Iglesia, après Cannibal Man - La Semaine d’un assassin (La Semana del asesino, 1972) salué par le Prix curiosité 2022 décerné par le jury DVD/Blu-ray du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de télévision.

Le Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia

Présentation - 5,0 / 5

Cinéma quinqui rassemble dans un coffret trois films d’une durée cumulée de 329 minutes et leurs suppléments (128 minutes) supportés par trois Blu-ray BD-50 et trois DVD-9 avec le même contenu, logés dans un Digipack à quatre volets, glissé dans un étui avec un livre.

Le menu propose les films dans leur langue originale, le castillan, avec sous-titres optionnels, et dans un doublage en français pour El Pico, le tout au format audio Linear PCM 2.0 mono.

À l’intérieur de l’étui, un livre de 100 pages, intitulé Ciné quinqui : Les loups sont dans la rue, écrit par David Didelot. Auteur de nombreux écrits sur le cinéma de genre, notamment sur le gore et le giallo, il vient de rédiger pour Artus Films le livret accompagnant Cannibal Man - La Semaine d’un assassin. Après une évocation du contexte politique et de la genèse du cinéma quinqui à la mort du général Franco en 1975, il rappelle que « le cinéma espagnol s’engouffre dans la brèche laissée ouverte » par l’abolition de la censure le 11 novembre 1977. On observe, après la sortie de Perros callejeros, une « starisation de figures transgressives » comme El Lute dans les films qui suivront, passés en revue. Le chapitre Eloy de la Iglesia : La révolte grondait déjà… propose une analyse de l’oeuvre du cinéaste puis, le chapitre suivant, sa contribution au genre quinqui. Suit un article de Simon Laperrière, doctorant en études cinématographiques à l’Université de Montréal, Regard sur El Pico et El Pico 2, « un diptyque faisant figure d’anomalie dans la carrière d’Eloy de la Iglesia ». Vient ensuite un rappel de la fin tragique de plusieurs jeunes acteurs « d’un genre miroir de son temps (…) dont l’importance est enfin reconnue dans l’histoire du cinéma espagnol ». Le livre se referme sur une liste de 34 films quinqui et « de quelques films héritiers ».

Le Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia

Bonus - 5,0 / 5

Sur le disque 1 (Colegas) :

Le Cinéma d’Eloy de la Iglesia (37’, 2023, Artus Films), une discussion, présentée par Thierry Lopez d’Artus Films, entre Laureano Montero, maître de conférences à l’Université de Bourgogne et Maxime Breysse, professeur d’espagnol à l’Université de Bourgogne, auteur de Le Cinéma quinqui selon Eloy de la Iglesia (Publibook, 2011). Autodidacte, Eloy de la Iglesia s’est familiarisé avec l’audiovisuel dans son court passage à la télévision. Pendant le franquisme, il va, dans des films de genre, glisser quelques vues politiques qu’il exprimera ouvertement ensuite, notamment dans El Diputado (1978), quand la politique et le sexe ne seront plus des sujets tabous. Il montre, avec Miedo a salir de noche, que la délinquance juvénile a été exagérément pointée par les media comme une menace pour la sécurité. Ce thème dominera sa filmographie, avec une place donnée à l’érotisme, aux problèmes sociétaux d’actualité (l’avortement, la drogue, la corruption, l’homosexualité…), dans une approche politique du cinéma quinqui, avec ses propres codes, qui fera de son oeuvre « un cinéma populaire d’auteur ». Assez négligé par les historiens et critiques, il remporta quelques grands succès avec Colegas, El Pico, Navajeros, et El Pico 2 qui ont presque atteint le million d’entrées. Aujourd’hui, son oeuvre a été largement réévaluée, en Espagne comme à l’étranger.

Bande-annonce (2’27”).

Sur le disque 2 (El Pico) :

Du sang dans les rues (45’, 2021, Severin Films, en castillan et en anglais, sous-titré) avec Mery Cuesta, universitaire spécialiste du cinéma quinqui, Tom Whittaker, auteur de The Spanish Quinqui Film (Manchester University Press, 2020) et Eugenio Mira. Après l’abolition de la censure franquiste, une trentaine de films sur la délinquance juvénile furent produits entre 1977 et 1985, période de « transition vers la démocratie », marquée par de grands changements, une forte agitation, la construction de « bidonvilles verticaux » abritant des immigrés et des bandes organisées de jeunes désoeuvrés qui sévissaient dans le centre de Madrid et de Barcelone. Ce phénomène sociologique inspira à José Antonio de la Loma en 1977 Perros callejeros (un thème qu’avait déjà exploré Carlos Saura en 1960 avec Les Voyous / Los Golfos) et, à Eloy de la Iglesia, plusieurs films affichant une certaine empathie envers les jeunes délinquants, parfois inspirés de personnages réels, interprétés par des acteurs non professionnels. Le genre émerge aussi à l’étranger avec Over the Edge, The Warriors, Scum, Moi Christiane F. 13 ans, droguée, prostituée… (Christiane F., wir Kinder vom Bahnhof Zoo). Les trois intervenants passent largement en revue les films quinqui et la célébrité, souvent éphémère, des jeunes acteurs : José Luis Fernández dit ‘El Pirri’ est mort à 23 ans d’une overdose d’héroïne.

Bande-annonce (3’04”).

Diaporama (1’12”) : 12 lobby cards.

Sur le disque 3 (El Pico 2) :

Le Cinéma quinqui (38’, 2023, Artus Films), une discussion entre Laureano Montero et Maxime Breysse, présentée par Thierry Lopez (Artus Films). L’assimilation quincallero / délinquant juvénile remonte à El Lute, un ferrailleur auteur de plusieurs méfaits, devenu un ennemi public des autorités franquistes dans les années 60. L’emprunt des scénarios aux faits divers, l’attribution fréquente des rôles à de jeunes délinquants et l’accompagnement d’une musique écoutée par les jeunes assurèrent le mélange entre réalité et fiction qui rendit le genre très populaire en Espagne jusqu’au milieu des années 80. On a pu observer, dans les années 2000, par exemple avec Volando voy (Miguel Albaladejo, 2006), la résurgence d’un genre qui stimulera la curiosité des chercheurs, en Espagne et ailleurs.

Bande-annonce (2’49”).

Le Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia

Image - 4,0 / 5

L’image, au ratio original de 1.66:1, 1080p, AVC, après une restauration qui a soigneusement effacé les marques de détérioration de la pellicule, affiche une résolution satisfaisante et des couleurs ravivées, bien étalonnées. Le traitement du grain laisse parfois à désirer, particulièrement pour El Pico, restauré à partir d’un positif : certaines séquences sont affectées par une irrégularité du grain, parfois grossier, et une légère instabilité, par exemple dans la scène à la morgue, de 100’ à 105’.

Ces réserves faites, l’impression d’ensemble ne déçoit pas.

Son - 4,0 / 5

Le son mono d’origine, après restauration et encodage Linear PCM 2.0, est très propre, pratiquement sans souffle. Une bande passante raisonnablement ouverte et une dynamique satisfaisante assurent la clarté des dialogues et donnent une bonne présence à l’accompagnement musical, plus discrète à l’ambiance.

Crédits images : © Ópalo Films

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 24 octobre 2023
Avec l’édition de ce coffret de trois films inédits d’Eloy de la Iglesia, Artus Films offre aux cinéphiles une rare opportunité de découvrir un genre populaire en Espagne du milieu des années 70 au milieu des années 80, passé inaperçu en France.

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