Tout près de Satan (1959) : le test complet du Blu-ray

Ten Seconds To Hell

Combo Blu-ray + DVD

Réalisé par Robert Aldrich
Avec Jack Palance, Jeff Chandler et Martine Carol

Édité par Rimini Editions

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Le 12/10/2023
Critique

Film de guerre, méconnu mais remarquable, signé par Robert Aldrich et co-produit par la Hammer Films.

Tout près de Satan

Berlin 1945 : six soldats allemands qui servaient comme démineurs (en raison de leur opposition politique au régime de Hitler) sont démobilisés. Isolés et démunis, ils acceptent une mission dirigée par les forces armées d’occupation : neutraliser les bombes alliées tombées lors des bombardements mais qui n’ont pas explosé.

Tout près de Satan (Ten Seconds To Hell, USA 1958) de Robert Aldrich (1918-1983) est une rareté qui mérite d’être redécouverte (*) et comble une lacune vidéographique. Cette co-production (entre la Hammer Films anglaise de Michael Carreras, l’américain Seven Arts et Robert Aldrich lui-même) oscille entre plusieurs genres (guerre, drame psychologique, documentaire car tourné à Berlin sur les lieux mêmes de l’action). Elle permet de parfaire non seulement la connaissance filmographique de Aldrich mais aussi celle de la Hammer Films qu’on ne peut décidément pas réduire au cinéma fantastique car, même si ce genre devint emblématique de la firme durant la période 1955-1975, elle produisit ou co-produisit simultanément durant cette même période des films noirs policiers, des films de guerre, des films d’aventure et même un péplum et un western.

Tout près de Satan

Adapté d’un roman reposant sur des faits réels (des bombes anglaises munies de double détonateurs tuaient les démineurs de Berlin), le scénario comme la mise en scène sont unifiés par une étrange « poétique de l’espace » (Gaston Bachelard) elle-même héritière directe de la « poétique des ruines » de Denis Diderot telle qu’il l’exposait dans son Salon de 1767 à propos des ruines peintes par Hubert Robert (**). Elles avaient, certes, été toutes deux souvent exploitées depuis 1945 : qu’on songe à des films de Roberto Rossellini (1948) et de Jacques Tourneur (1948 aussi). Le personnage de l’ancien architecte, voué par le destin mais aussi par une obscure fascination de la mort, non plus à la construction mais à la destruction, incarne assez objectivement et d’une manière fiévreuse, l’idée si heideggerienne de « l’être-pour-la-mort ». Il est admirablement joué par Jack Palance qui porte le film sur ses épaules (***) ; son personnage symbolise à lui seul cette communion, inattendue mais objective, entre histoire contemporaine de l’Allemagne et histoire contemporaine de la philosophie allemande. L’enfer du titre original et le Satan du titre français d’exploitation ont plusieurs manières de s’emparer des héros : orgueil, avidité, lassitude, paresse, désespoir. Mais c’est bien sûr d’abord et au premier chef une sorte de maléfice issu directement du conflit, qui hante à la fois subjectivement et objectivement les corps, les coeurs et les esprits. Direction artistique soignée, interprétation solide et surprenante (Martine Carol et Jeff Chandler sont tous deux employés à contre-emploi sans oublier les sobres seconds rôles disposés autour d’eux, par exemple Wesley Addy, un des acteurs fétiches de Aldrich). Direction photo éclairant les décors et les extérieurs réels d’une manière tantôt rudement documentaire (la promenade de Jack Palance en compagnie de Martine Carol en extérieurs jours) tantôt stylisée dans un sens expressionniste (les plans aux éclairages heurtés, aux angles vifs du blessé immobilisé sous la bombe dans les sous-sols d’une des ruines).

Tout près de Satan

Interrogé en 1965 par Peter Bogdanovitch, Aldrich assura qu’il était co-producteur mais qu’il avait fait retirer son crédit comme tel du générique : il reprochait à ses associés d’avoir supprimé environ une première demi-heure qui résumait l’histoire individuelle des six hommes avant leur démobilisation. On le voit, la structure initiale de ce Aldrich aurait donc annoncé, si elle avait été respectée, celle du si remarquable Le convoi de la peur (Sorcerer / Wages of Fear, USA 1977) de William Friedkin. Elle est remplacée par une voix-off montée par James Needs (l’un des monteurs attitrés de l’âge d’or fantastique de la Hammer Films) sur la séquence d’ouverture. Reste que les 94 minutes conservées par Michael Carreras (format de durée standard d’un film B des années 1960) témoignent encore suffisamment d’une bifurcation de Aldrich, de plus en plus nette durant la période 1955-1965, vers une esthétique et une thématique flirtant occasionnellement ou en profondeur avec le cinéma fantastique. Névrose, mort, folie, peur emaillent ainsi d’une manière significative Tout près de Satan.

(*) Le terme n’est pas trop fort : Georges Sadoul, Dictionnaire des cinéastes (éditions du Seuil, Paris 1965) oubliait tout bonnement de mentionner ce titre pourtant récent de 1958 dans sa filmographie de Aldrich. L’édition mise à jour par Emile Breton en 1977 ne corrigeait pas cette lacune.

(**) « Ici on n’est arrêté que par l’idée de la puissance éclipsée des peuples qui ont élevé de pareils édifices. Ce n’est pas la magie du pinceau, c’est des ravages du temps que l’on s’entretient. (…) A l’instant, la solitude et le silence règnent autour de nous. Nous restons seuls de toute une nation qui n’est plus ; et voilà la première ligne de la poétique des ruines. »

Denis Diderot, Salon de 1767 - Hubert Robert in Oeuvres esthétiques (édition illustrée des Classiques Garnier, texte établi et annoté par Paul Vernière, Paris 1959, p. 641).

(***) Jack Palance, durant son âge d’or filmographique 1950-1958, avait été également la vedette de Le Grand couteau (USA 1955) et de Attaque ! (USA 1956) tous deux également réalisés par Aldrich.

Tout près de Satan

Présentation - 2,5 / 5

1 Blu-ray BD50 région B + 1 DVD9 édités en combo par Rimini, le 19 septembre 2023. Image N&B au format 1.66 compatible 16/9. Son DTS-HD Master Audio VOSTF anglaise + VF 2.0 mono. Durée cinéma film : 94 min. environ (sur Blu-ray). Suppléments : présentation du film par Frank Lafond et Jacques Demange + bande-annonce originale. Pourquoi seulement un Blu-ray région B, pourquoi pas un multi-régions ABC ? Aujourd’hui, tous les disques Blu-ray Full HD devraient être multi-régions ABC, suivant l’exemple des disques Blu-ray UHD qui sont nativement multi-régions. Impossibilité de basculer à la volée entre les deux versions : on revient alors au menu principal et au début du film. Très belle illustration de jaquette et de sérigraphie reprenant un fragment d’une des affiches d’époque, notamment l’affiche italienne.

Tout près de Satan

Bonus - 3,0 / 5

Présentation du film par Frank Lafond (23 min. environ) : replaçant précisément le titre dans la filmographie du cinéaste puis couvrant précisément sa production, son scénario, son casting, sa réception critique. Quelques affiches et de brefs extraits (par-dessus lesquels la voix du présentateur poursuit sa présentation). Sur le fait que la Hammer Films n’avait pas l’habitude d’employer des acteurs américains de premier plan, on peut nuancer : après tout, c’est l’acteur américain Brian Donlevy qui jouait en vedette dans les deux classiques de la science-fiction produits par la Hammer Films en 1955 et 1957, réalisés par Val Guest. Dans les années 1945-1955, Brian Donlevy avait un nom équivalent au box-office à ceux de Chandler ou de Palance dans les années 1950-1960.

Présentation du film par Jacques Demange (16 min. environ) : faisant parfois double-emploi avec la présentation précédente mais contenant une information supplémentaire et de bonnes remarques critiques sur le cinéma de Aldrich. Sur la biographie de l’acteur Jack Palance, il faudrait être néanmoins prudent : Demange assure que les brûlures au visage de Palance sont une légende inexacte et que seule la boxe doit être incriminée concernant sa morphologie. Certaines sources américaines les confirment pourtant d’une manière assez précise (incendie survenu sur un avion B24 d’entraînement, dans une base proche de Tucson en 1942, suivi de plusieurs opérations chirurgicales entre 1942 et 1944). Bonne remarque sur la scène-clé révélant l’ancienne qualité d’architecte du personnage joué par Palance et remarques plus générales et convenues sur l’humanisme de Aldrich.

Bande-annonce originale (VO, durée 2 min. 10 secondes environ) : bon état argentique (sauf plans stock-shots rapportés), bien montée.

Bonus plus riches en informations cinéphiles, sur cette édition franco-française, que ceux de l’ancienne édition américaine Kino Lorber de 2015 qui se contentait d’une simple bande-annonce. Un regret tout de même: l’absence d’une galerie affiches et photos d’exploitation. Sur internet, le cinéphile peut heureusement examiner de belles affiches, notamment l’italienne, et de belles photos de production en N&B d’origine, et un jeu de photos colorées d’exploitation.

Tout près de Satan

Image - 5,0 / 5

Format large original respecté 1.66 compatible 16/9, image N&B reportée en Full HD 1080p AVC. Copie argentique bien restaurée et dotée d’une bonne définition, d’un bon contraste, d’une bonne gestion des noirs. Seuls quelques plans « stock-shots » rapportés à la continuité sont en état médiocre (images anciennes d’actualité des bombardements aériens).

Tout près de Satan

Son - 5,0 / 5

Son DTS-HD Master Audio VOSTF + VF d’époque 2.0 mono : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile francophone. VF d’époque en bon état mais d’un niveau sonore un cran moins élevé que celui de la VO qui demeure préférable à cause de la voix originale et de la diction, toutes deux remarquables, de Jack Palance. Et aussi pour entendre notre nationale Martine Carol parler anglais avec un mignon accent français.

Crédits images : © 1959 Hammer Film Productions Ltd All Rights Reserved.

Configuration de test
  • Téléviseur 4K LG Oled C7T 65" Dolby Vision
  • Panasonic BD60
  • Ampli Sony
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francis moury
Le 13 octobre 2023
Film de guerre, longtemps méconnu mais pourtant remarquable, signé par Robert Aldrich et co-produit par la Hammer Films anglaise. Et l'un des meilleurs rôles de l'acteur Jack Palance, parmi les trois titres qu'il tourna pour Aldrich.

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