Réalisé par Wes Craven
Avec
Sandra Cassell, Lucy Grantham et David Hess
Édité par Antartic
Pour fêter son dix-septième anniversaire, Mari, accompagnée d’une amie, décide de se procurer de la marijuana. Lorsque Junior, un jeune marginal, se propose de leur en fournir, elles acceptent, sans se douter que le dealer fait partie d’une bande de sadiques meurtriers dirigée par le terrifiant Krug. Leur calvaire va bientôt commencer.
La Dernière maison sur la gauche (Last House on the Left), sorti en 1972, est le premier film de Wes Craven, cinéaste autodidacte, futur créateur des franchises Les Griffes de la nuit (A Nightmare on Elm Street) et Scream.
Né en 1939 dans l’Ohio, confiné avec ses quatre frères et soeurs dans une stricte éducation religieuse par un père ouvrier, il devient professeur d’anglais et d’histoire, quitte l’enseignement pour New York à la fin des années 60 où il gagne sa vie comme chauffeur de taxi, jusqu’à se qu’il se lie d’amitié avec le producteur et réalisateur de films pornographiques Sean S. Cunningham qui lui confiera le montage du son de Together, un soft porn dont le succès incitera Hallmark Releasing Corporation à lui proposer une enveloppe de 90 000 dollars pour la réalisation de « quelque chose de très sanglant et effrayant ». Cunningham (futur producteur de la franchise Vendredi 13, qui définira les codes du genre slasher) convainc Wes Craven de réaliser un film dans le genre rape and revenge, avec une histoire inspirée par La Source (Jungfrukällan, Ingmar Bergman, 1968).
Tourné en Super 16 mm par une petite équipe de sept personnes, en grande partie dans le jardin de Sean S. Cunningham, La Dernière maison sur la gauche, en dépit des protestations qu’il souleva et de l’accueil tiède de la critique, eut un succès qui étonna son réalisateur et son producteur.
To avoid fainting, keep repeating: it’s only a movie
La Dernière maison sur la gauche, en exposant la violence avec un réalisme quasi-documentaire inusité, sans visée moralisante, faisait souffler un vent nouveau sur l’horreur. Avec une relative délicatesse, en laissant la quasi-totalité des actes les plus choquants hors-champ, mais sans équivoque sur les atrocités infligées aux deux jeunes filles ou sur les retours de bâton qu’elles vaudront aux agresseurs. D’où l’accroche en forme d’avertissement aux âmes sensibles : « Pour ne pas vous évanouir, n’arrêtez pas de vous dire que ce n’est que du cinéma ».
La Dernière maison sur la gauche est indissociable du personnage de Krug, l’incarnation du mal, qui inspirera le nom de Freddy Krueger, la réincarnation du tueur psychopathe de la franchise Freddy Krueger (A Nightmare on Elm Street). David Hess, qui incarne le terrifiant chef de la petite bande de criminels, n’était pourtant connu que comme chanteur et compositeur, notamment de Speedy Gonzalez, un tube du milieu des années 60. Il est aussi l’auteur de la musique du film.
Au fil du temps et en dépit de ses quelques maladresses, La Dernière maison sur la gauche est, depuis longtemps, reconnu comme un des films qui, dans le sillage du cinéma indépendant américain, a renouvelé les balises de l’horreur, avec deux autres films à tout petit budget récemment ressortis avec les honneurs du 4K Ultra HD dans des éditions exceptionnelles, La Nuit des morts vivants (Night of the Living Dead, George A. Romero, 1968) et Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chainsaw Massacre, Tobe Hooper, 1974).
La Dernière maison sur la gauche confirme la détermination d’ESC Éditions, dans un catalogue où abondent des chefs-d’oeuvre intemporels, tels, parmi les sorties récentes, La Règle du jeu (Jean Renoir, 1939), réédité en Ultra HD, et Le Dernier des Mohicans (The Last of the Mohicans, Anthony Mann, 1992), à continuer d’accorder une large place au cinéma de genre. En témoignent, par exemple L’Intégrale de la saga Phantasm de Don Coscarelli et des curiosités récentes, comme The Sadness (Ku Bei, Rob Jabbaz, 2021) ou encore Music Hole (David Mutzenmacher et Gaetan Liekens, 2021).
La Dernière maison sur la gauche (85 minutes) et une partie des suppléments (146 minutes, sans compter deux commentaires audio) tiennent sur un Blu-ray BD-50. Le reste des suppléments (118 et 155 minutes), sur deux autres Blu-ray BD-50. Les trois disques et un livret sont logés dans un Digipack non fourni pour le test.
À l’intérieur, la reproduction de l’affiche, de cinq photos du film et de cinq lobby cards, non fournies, et un livret de 52 pages.
Le film est proposé dans sa langue originale, l’anglais, et dans un doublage en français, les deux au format DTS-HD Master Audio 1.0.
L’intéressant livret de 52 pages rédigé par Marc Toullec rappelle comment Wes Craven est venu au cinéma, la gestation du projet de La Dernière maison sur la gauche dans la tête de Sean S. Cunningham et d’un réalisateur « novice dans l’horreur » et dans le cinéma. Suivent les partis pris : le choix du réalisme, caméra à l’épaule, le rejet de la pornographie, la recherche des acteurs, la conception du « méchant idéal », incarné par Krug, et des « presque humains » qui l’accompagnent, le « tournage à l’arraché » et le « système D » auquel a dû recourir une petite équipe de sept personnes peu expérimentées, le choix du titre, la réception du film, le remake de 2009.
Sur le Blu-ray de la version non censurée (unrated) du film :
Présentation du film par Jean-Baptiste Thoret (2024, 5’). Ce premier film de Wes Craven poursuit l’idée, soutenue par le producteur Sean S. Cunningham, de montrer l’horreur comme on ne l’avait jamais fait, dans le terreau de la guerre du Viêt-Nam et de l’essor du cinéma indépendant qu’ont aussi exploité Tobe Hooper er George A. Romero, avec un micro budget et des acteurs pratiquement inconnus. Accueilli fraîchement par la critique d’alors, le film fut un surprenant succès public.
Commentaire audio de Wes Craven et Sean S. Cunningham (2002, VOST).
Commentaire audio des acteurs David Hess, Marc Sheffler et Fred Lincoln (2003, VOST).
Ces deux commentaires complémentaires, le premier plus policé que le second, démontrent que le tournage est resté, après une trentaine d’années, gravé dans la mémoire de l’équipe.
Les femmes dans le rape and revenge : entretien croisé avec Célia Sauvage, Clara Sebastiao et Violaine de Charnage (2024, 72’). La première est chercheuse universitaire, la seconde programmatrice et archiviste dans l’audiovisuel, la troisième écrivaine d’horreur. Le genre rape and revenge, remontant à Naissance d’une nation de D.W. Griffith, fut repris plusieurs fois, notamment par Ida Lupino dans Outrage (1950), avec un développent dans les années 70 à l’émergence du féminisme. S’ouvrira une réappropriation du genre par les femmes avec, par exemple, Baise-moi de Virginie Despentes. Men, Women, and Chain Saws: Gender in the Modern Horror Film, publié en 1992 par Carol J. Clover, fait une bonne analyse du genre, des divergences de réception des films par les publics féminins et masculins, des différentes représentations de la victime, des modalités de la vengeance… Même si le genre n’a pas toujours une dimension féministe, il a l’avantage d’interpeler le public.
Ce n’est que du cinéma : la réalisation du film (It’s Only a Movie, 2002, 29’, VOST). « Ce fut une grande aventure » dit Wes Craven trente ans après le tournage, en un temps que Sean S. Cunningham voyait comme celui « où on pouvait tout faire en dehors du système », un temps propice à la réalisation de projets atypiques. Les acteurs, alors presque tous novices, se souviennent du tournage…
Le crime qui a changé le cinéma : Interview de Wes Craven, Sean S. Cunningham et des acteurs (Celluloid Crime of the Century, 2002, 40’, VOST). Wes Craven est certain que la colère accumulée pendant son éducation religieuse et la violence observée au Viêt Nam se reflètent dans La Dernière maison sur la gauche, initialement intitulé Night of Vengeance. Sean S. Cunningham rappelle que le budget alloué par Hallmark était le double de celui espéré pour le film que Wes Craven souhaitait tourner à la manière du cinéma-vérité. Les acteurs ravivent leurs souvenirs du tournage du film et des polémiques soulevées par sa violence…
Sur le Blu-ray 2 :
La version Krug & Company Cut (84’, en anglais, sous-titré), avec un montage différent et quelques images coupées par la censure américaine.
Version censurée (82’), celle diffusée dans tous les cinémas et les drive-in aux USA en 1972.
L’héritage de Wes Craven : entretien avec Alexandre Aja (2024, 18’). La Dernière maison sur la gauche est un des films qui l’ont le plus influencé, différent du « cinéma d’avant ». Wes Craven, accusé d’avoir, avec son film, suscité des crimes horribles, songea à arrêter sa carrière de réalisateur. La même polémique resurgit avec Scream. « La Dernière maison sur la gauche, c’est ce que Wes Craven était à ce moment-là, avec toutes ses contradictions… et une vie devant lui. »
Wes Craven, l’Amérique sauvage : conférence de Stéphane Du Mesnildot dans le cadre de la rétrospective Wes Craven à la Cinémathèque Française du 29 juin au 31 juillet 2016 (68’). Stéphane Du Mesnildot (Cahiers du cinéma), notamment connu pour Fantômes du cinéma japonais (Rouge Profond, 2011), souligne que Wes Craven est un « opportuniste » qui va « chercher ce qui est proche de lui (…) dans le chaos de l’Amérique ». Une approche qu’aura le cinéaste tout au long de sa carrière. La franchise Nightmare on Elm Street amorce un tournant dans sa filmographie, avec « une résurgence de la sauvagerie des années 70 dans la monde aseptisé des années 80 »… Un long exposé qui aurait gagné à être plus structuré.
L’empreinte Wes Craven sur trois réalisateurs français (Cinémathèque Française, 2016, 17’). Trois jeunes cinéastes, David Perrault (Nos héros sont morts ce soir, 2013), Yann Gonzalez (Un couteau dans le coeur, 2018) et Hélier Cisterne (Vandal, 2013) partagent leur regard sur l’oeuvre hétérogène de Wes Craven, l’auteur inventif de « films emblématiques de trois époques » : La Dernière maison sur la gauche, La Colline a des yeux et Les Griffes de la nuit, dont ils ont découvert les images, encore adolescents, avec un ressenti de peur, de transgression et d’excitation…
Toujours debout, l’héritage de La Dernière Maison sur la gauche : interview d’archive avec Wes Craven (Still Standing: The Legacy of The Last House on the Left, 2009, 15’, VOST). Il n’a pris conscience qu’au moment de sa projection de l’aspect effrayant du film, probablement issu, dans son subconscient, d’une réaction contre une éducation fondamentaliste et d’images de la violence ambiante. Il passe ensuite en revue les remakes des films dont il a conservé les droits, La Colline a des yeux, par Alexandre Aja, et La Dernière maison sur la gauche par Dennis Iliadis en 2009, qu’il a apprécié.
Sur le Blu-ray de la version VHS :
Version issue du transfert d’une cassette VHS française (81’). Le ratio 1.85 :1 est respecté, mais proposé en 4/3, dans un doublage en français un peu grésillant. L’image est parasitée par des bandes ou rayures horizontales, mais les couleurs sont restées fraîches. On peut questionner l’apport de cette copie à l’édition.
La violence pour elle-même : La Dernière Maison sur la gauche de Wes Craven, par Jean-Baptiste Thoret (2024, 50’). Après un rappel des origines de Wes Craven, de sa découverte du cinéma indépendant à New York, de sa rencontre avec Sean S. Cunningham, de la genèse de La Dernière maison sur la gauche, Jean-Baptiste Thoret voit ce film comme est un jalon du cinéma d’horreur, pour avoir été réalisé « à un moment où toutes les planètes s’alignaient pour qu’un tel film puisse sortir », fait d’une histoire, celle de La Source, et d’un reflet de l’Amérique silencieuse des années 70 et de la contre-culture hippie. Il est l’expression emblématique d’une violence « au coeur de la civilisation américaine », qui s’était déjà ouvertement affichée dans le cinéma mainstream des années 60. La Dernière maison sur la gauche, « derrière son aspect presque improvisé, un film très réfléchi », montre une violence qui, en marge du cinéma hollywoodien, donne du « mal intérieur américain (…) une image dépouillée de tous ses oripeaux folkloriques ou symboliques ».
Un remarquable complément du film !
Krug fait plier l’Angleterre : documentaire d’archive tourné lors de la première projection en salles de sa version non censurée (2003, 24’, VOST). La première projection publique au film au Royaume Uni le 25 juin 2000, eut lieu au cinéma Phoenix Arts à Leicester. Le redoutable Krug / David Hess nous assure être le respectable père de trois enfants et n’avoir jamais fait de mal à une mouche, avant de gratter sa guitare pour accompagner une chanson qu’il a composée et de dédicacer des photos du film… Le directeur du cinéma et un journaliste rappellent la longue interdiction édictée par le BBFC (British Board of Film Classification, une institution fondée peu après la naissance du cinéma, en 1912) d’un film vu comme « un danger pour les gens ordinaires ». James Ferman, resté directeur du BBFC pendant 25 ans, avait aussi interdit Massacre à la tronçonneuse et L’Exorciste. Leatherface / Gunnar Hansen ajoute son grain de sel contre la censure, de moins en moins efficace depuis l’avènement de l’Internet et du DVD.
Composition pour un meurtre : entretien avec David Hess (2002, 10’, VOST). Il dit avoir commencé à jouer de la guitare dès l’âge de 10 ans, et a immédiatement accepté de composer la musique de La Dernière maison sur la gauche. Le souvenir du tournage de la scène du viol est resté indélébile, trente ans après.
Images interdites : entretien avec l’équipe du film à propos des scènes les plus choquantes du film (8’, VOST). Wes Craven et Sean S. Cunningham évoquent la fabrication des effets visuels sanguinolents et se souviennent que certains exploitants coupaient eux-mêmes certaines images qu’ils estimaient choquantes.
Tales That’ll Tear Your Heart Out, Roy Frumkes : court métrage inachevé de Wes Craven (2002, 11’, sans son). Deux cavaliers entrés dans un bar vont être confrontés à la violence des autochtones. Un conte surréaliste qui devait s’inscrire dans une anthologie restée inachevée.
Scène coupée : Mari Dying at the Lake (1’05”, VO). Une autre mort de Mari. Une image très sombre.
Prises de vues et scènes diverses (48’, sans son), écartées du montage.
Bande-annonce américaine (1’15”, VO).
Bande-annonce française (2’04”).
Une palanquée de suppléments d’un inégal intérêt. Se détachent du lot, avec quelques redites, le livret de Marc Toullec, l’analyse de Jean-Baptiste Thoret et l’entretien sur Les femmes dans le rape and revenge.
L’image, au ratio d’origine de 1.85:1, encodée au standard 1080p AVC, correctement débarrassée des marques de dégradation de la pellicule, déploie des couleurs ravivées, dans une palette saturée. Un grain assez grossier affecte la résolution des plans larges. On n’atteint pas le niveau de définition de la version restaurée du Massacre à la tronçonneuse, lui aussi capté avec une caméra Super 16, deux ans après.
Le son mono de la version originale, réencodé au format DTS-HD Master Audio 1.0, est propre, lui aussi, la restauration n’ayant laissé subsister qu’un souffle suffisamment faible et régulier pour se faire oublier. À l’intérieur d’une bande passante inévitablement étroite, les dialogues de détachent bien de l’ambiance et de l’accompagnement musical.
Ce constat vaut pour le doublage en français.
Crédits images : © Sean S. Cunningham Films, Lobster Enterprises