La Nuit des rois (2020) : le test complet du DVD

Un conte mêlant réalité et fantastique fait sortir ce film insolite, parfois envoûtant, des clichés de l’univers carcéral.

La MACA, maison d’arrêt de de correction d’Abidjan, est l’une des prisons les plus surpeuplées d’Afrique de l’Ouest. Barbe Noire en est le dangôro, un détenu auquel l’administration délègue tous les droits sur les prisonniers. Sa santé déclinant, des prétendants à sa succession commencent à se manifester. Pour raffermir son autorité, selon le rituel de « Roman », il oblige un nouveau venu à raconter des histoires durant toute la prochaine nuit, celle de la lune rousse…

La Nuit des rois, coproduit par la Côte d’Ivoire, la France, le Québec et le Sénégal, sélectionné et primé dans de nombreux festivals, sorti dans nos salles en septembre 2021, est le second long métrage du cinéaste franco-ivoirien Philippe Lacôte après Run, également tourné en Côte d’Ivoire, sélectionné à Cannes en 2014 pour la Caméra d’or et dans la section Un certain regard, racontant l’errance d’un jeune qui vient d’assassiner le premier ministre de son pays.

Venu au cinéma comme projectionniste de la salle d’art et d’essai Le Cratère à Toulouse, Philippe Lacôte a réalisé une dizaine de courts et moyens métrages, documentaires ou de fiction. Il était retourné pour la première fois en Côte d’Ivoire pour y réaliser le documentaire Chroniques de guerre en Côte d’Ivoire dont le tournage commença avec l’annonce du couvre-feu décrété après la tentative de coup d’état du 18 septembre 2002.

La Nuit des rois, le titre donné en France à Twelfth Night, or What You Will, une comédie de Shakespeare, est une référence aux intrigues pour la prise de pouvoir, portant assez peu développées par un scénario qui met en avant trois personnages. Barbe Noire, interprété par Steve Tientcheu, apparu pour la première fois sur les écrans dans la saison 2 de Braquo, la série créée par Olivier Marchal, dans la série Transferts, créée par Patrick Benedek et Clause Scasso en 2017, dans Les Misérables (Ladj Ly, 2019)… Les deux autres, Roman et le travesti Sexy, sont incarnés par des débutants, Bakary Koné et Gbazi Yves Landry. On retrouve sous les traits d’un personnage étrange, témoin taciturne des événements, une poule sur l’épaule, Denis Lavant pour sa deuxième collaboration avec de Philippe Lacôte après le court métrage Le Passeur en 2006.

Il était une fois…

Le cadre principal de l’action est la prison, que Philippe Lacôte connaissait pour y avoir rendu visite à quelques détenus, dans un pays où « la frontière entre prison et liberté est mince », comme il le confie dans l’entretien joint en complément. Un cadre choisi pour l’observation d’un microcosme particulier, défini par ses propres codes, régi par ses propres règles.

La Nuit des rois, en dépit d’une mise en scène et d’une direction d’acteurs parfois hésitantes, tire on meilleur atour de la poésie, parfois envoûtante, notamment diffusée par les scènes dans lesquelles les prisonniers miment les contes de Roman, chantent ou dansent les faits et gestes du héros de ses histoires, Zama King, un camarade d’école devenu criminel, et de l’étrangeté des échappées de l’univers carcéral créée par la mise en images des contes, avec l’apparition d’une mystérieuse reine… Des moments qui gomment la frontière entre le réel et l’imaginaire, entre rationalité et mysticisme.

La Nuit des rois (89 minutes) et ses généreux suppléments (75 minutes) tiennent sur un DVD-9 logé dans un digipack.

Le menu animé et musical propose le film dans sa version originale, en français, au format audio Dolby Digital 2.0 stéréo.

À l’intérieur du digipack, un livret de 12 pages contient un entretien avec Philippe Lacôte (en fait une synthèse des propos parus dans la presse internationale). La prison a été reconstituée dans des bâtiments de Grand-Bassam avec la reproduction de fresques repérées dans des prisons. Le rituel de Roman reste pratiqué à la MACA, Zama est un personnage réel, « un chef de gang cruel », à l’image de la violence qui sévit dans le pays. La place accordée au mystique reflète la part d’imaginaire de la culture d’Afrique de l’Ouest. Philippe Lacôte projette la réalisation d’un film d’arts martiaux sur les luttes d’indépendances africaines dans les années 60. : « il est temps que les Africains racontent les histoires de l’Afrique. » Le livret se referme sur sa filmographie et la fiche technique et artistique du film.

Conversation avec le réalisateur Philippe Lacôte (62’, enregistrée à Montréal en novembre 2020 à l’occasion du Festival de films francophones Cinémania). Guilhem Caillard résume la carrière de Philippe Lacôte. Le réalisateur connaissait la MACA pour y avoir visité des amis dans un pays où l’on peut être facilement emprisonné. Le rite du « roman » y est pratiqué et c’est bien un détenu, le dangôro qui est le chef des prisonniers. Le corps doit résister à la prison, ce que le film met en avant, en affirmant que dangôro doit se donner la mort si la maladie l’affaiblit, une invention du scénario. Les acteurs parlent une langue imagée, mélangent de français et de langues locales, née dans les années 80 et parlée par la jeunesse, le nouchi. Il voit la simplicité d’un récit comme une force, et aime les personnages qui, tel Zama, « viennent heurter la grande histoire », comme dans le cinéma de Fassbinder. Dans les scènes hors de la prison, il a voulu montrer le » labyrinthe » d’Abidjan et le contraste entre les beaux quartiers et les bidonvilles. Dans le quart de la distribution figurent d’anciens détenus. Une industrie est en train de renaître après un premier essor dans les années 80. Nombreux recoupements avec le livret.

Making of La Nuit des rois (11’). Philippe Lacôte donne les instructions à près d’une centaine de figurant avant le tournage de la première histoire racontée par Roman, prise pat un opérateur steadicam. Puis viennent les répétitions avec Roman, avec Sexy, avec Silence et la mise en scène de la scène du chant des « exploits » Zama.

Bande-annonce (2’).

L’image numérique (2.39:1), précise, lumineuse, fermement contrastée avec des noirs denses, déploie des couleurs naturelles, soigneusement étalonnées.

Le son Dolby Digital 2.0 stéréo, clair, avec une dynamique satisfaisante, met particulièrement en valeur les passages chantés et dansés au rythme des percussions. Les dialogues en nouchi, un français mélangé de langues locales, sont automatiquement sous-titrés, d’autres sont parfois difficiles à comprendre en raison de problèmes d’articulation ou de prise de son. La séparation des deux canaux crée une discrète impression d’immersion dans l’action.

Crédits images : © Banshee Films, Peripheria Productions, Wassakara Productions, Yennenga Productions