Poutine, l'enquête (2004) : le test complet du DVD

Réalisé par Jean-Michel Carré
Avec et Vladimir Poutine

Édité par Éditions Montparnasse

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Le 22/12/2022
Critique

Cette sérieuse observation du parcours de Vladimir Poutine de 2002 à 2018 aidera à mieux comprendre les événements actuels.

Poutine, l'enquête

Poutine, l’enquête regroupe cinq documentaires écrits et réalisés par Jean-Michel Carré : Koursk, un sous-marin en eaux troubles (2004), Le Système Poutine (2007), Ukraine, de la démocratie au chaos (2012), Poutine… pour toujours ? (2014) et Poutine, le nouvel empire (2018). Les deux premiers avaient été sortis séparément par les Éditions Montparnasse en 2006 et 2008.

Jean-Michel Carré est l’auteur et réalisateur d’une soixantaine de films (surtout documentaires et quelques documentaires-fictions) salués par une trentaine de prix et nominations. Il avait attiré très tôt l’attention avec un documentaire sur Cuba, Cuba si, réalisé au terme de sa formation à l’IDHEC (aujourd’hui la FEMIS). Son interdiction de diffusion l’incita à créer sa société de production, Les Films Grain de Sable, toujours en activité. Il est notamment connu pour une série de documentaires. Sur l’enfance, réunis dans le coffret L’Education - Alertez les Bébés ! édité par Doriane en 2008. Sur la prostitution, avec, entre autres, Prostitution à visage découvert (2009) et Les Travailleuses du sexe (2010). Sur la pénibilité au travail, réunis dans le coffret J’ai très mal au travail, sorti par Les Éditions Montparnasse en 2009…

Poutine, l’enquête, en associant des archives filmées à des entretiens avec des politologues français et étrangers, des soutiens et des adversaires de Poutine, propose plusieurs sons de cloche, laissant au spectateur le soin de se faire sa propre opinion. Chacun des documentaires commence par un rappel historique, notamment de l’arrivée au pouvoir de Poutine, ce qui crée quelques inévitables redites en cas de visionnage rapproché des cinq films.

Poutine, l’enquête permet de suivre le parcours de Vladimir Poutine, ancien membre du KGB, de son accession à la présidence de la Fédération de Russie, proposée par Eltsine en 2002, à sa réélection pour un troisième mandat, en 2014, l’année où sa cote de popularité atteint un pic avec l’annexion de la Crimée. Il apparaît comme un homme intelligent et charismatique. « Confondant son destin avec celui de la Russie (…) dans une posture messianique », il est mu par une ambition : après l’effondrement du bloc soviétique, refaire de la Russie une grande puissance regroupant sous une même bannière 200 millions d’habitants d’anciennes composantes de l’URSS, et de s’allier à la Chine dans une communauté économique autosuffisante, l’Eurasie.

S’appuyant sur le conservatisme de l’armée et de l’Église orthodoxe, sur les oligarques qu’il laisse s’enrichir impunément à condition qu’ils n’interfèrent pas dans le gouvernement du pays, il exerce un pouvoir sans partage, aucune opposition ne pouvant s’organiser dans une société où n’existe aucune séparation des pouvoirs, où les libertés publiques sont systématiquement bafouées, où la justice est servile et corrompue, où la contestation peut, dans le meilleur des cas, conduire en prison.

Alors qu’aucun soulèvement populaire n’est envisageable dans un tel contexte, le système peut se maintenir encore pendant des décennies (la dictature soviétique a bien duré 70 ans)… tant que les détenteurs de la force, l’armée et la police, et les bénéficiaires du régime, les fonctionnaires et les oligarques tirant parti d’une économie déréglementée auront convenance à le soutenir.

Jean-Michel Carré, comme beaucoup d’autres, tels l’ex-ministre des affaires étrangères Hubert Védrine et l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse, s’accordent à dire que l’Europe paie aujourd’hui le prix d’une humiliation infligée à Vladimir Poutine qu’elle considérait comme un acteur insignifiant alors qu’il avait affiché des sentiments pro-européens à son entrée au pouvoir et qu’elle était très dépendante des ressources énergétiques de la Russie. Un changement d’attitude aurait peut-être pu modifier le cours de l’histoire récente…

1. Koursk, un sous-marin en eaux troubles (2004, 72’, texte lu par Bernard Giraudeau) rappelle le naufrage, en août 2000, du plus sophistiqué des sous-marins nucléaires russes, armé de missiles et de torpilles Shkval pouvant atteindre la vitesse phénoménale de 500 kmh. Il fut à peu près certainement coulé par une torpille américaine, ce que Poutine, venant d’accéder au pouvoir, voulait cacher pendant sa tentative de rapprochement des USA. Il ne fallait pas de témoins des faits : aucune tentative de secours des 118 membres d’équipage ne fut tentée.

2. Le Système Poutine (2007, 97’, texte lu par Denis Lavant). Depuis son arrivée au pouvoir, la guerre en Tchétchénie a fait 120 000 morts, 22 journalistes ont été assassinés, la corruption des fonctionnaires a été estimée à 300 millions € par an… Poutine, à l’école du KGB pendant quinze ans, contrôle toute la vie politique, la presse et les oligarques, restaure les vieux symboles, reprend l’hymne national du stalinisme avec de nouvelles paroles, assoie une « démocratie dirigée ». Il réalise l’importance de « l’arme énergétique » qui maintient l’Europe sous sa dépendance. Il partage la souffrance infligée aux USA après l’attentat du 11 septembre 2001 et tend une patte de velours à l’Occident, ce qui lui vaudra d’être décoré de la grand-croix de la Légion d’Honneur par Jacques Chirac en 2006.

Poutine, l'enquête

3. Ukraine, de la démocratie au chaos (2012, 98’). En novembre 2004, la Révolution Orange dénonce la fraude organisée dans les élections présidentielles pour amener au pouvoir le candidat soutenu par Moscou. Un troisième tour conduisit à la tête du pays le démocrate Victor Iouchtchenko et la première ministre Ioulia Tymochenko. Ce fut un cuisant échec pour Poutine, une fierté pour l’Ukraine, une nation historiquement habituée à se battre contre l’asservissement par la Pologne, puis par le bolchevisme (la famine organisée par Staline en 1930 fit 107 millions de morts, un véritable génocide). Elle devient une république parlementaire en 2006. Une métamorphose vite compromise par la corruption.

4. Poutine… pour toujours ? (2014, 81’). Le jour de sa réinvestiture en mai 2012, avec 63% des suffrages, le cortège officiel traverse des rues désertes : les manifestants sont contenus derrière des barrières, 400 sont arrêtés. La constitution n’autorisant que deux mandats successifs, Poutine avait dû quitter sa fonction, mais garda le pouvoir en se faisant nommer premier ministre par son successeur Medvedev. Ce dernier, démocrate, fut un temps soutenu par de bons résultats économiques, par la modernisation et un début d’ouverture, en faisant naître des espérances que ruinera la crise financière mondiale de 2008. Sa cote diminuant chez les jeunes, Poutine durcit son contrôle avec l’instauration du « Comité d’instruction », une institution au-dessus de toutes les autres. Devenue clairement « la nouvelle police politique du régime », elle convoque tous les leaders de l’opposition. Dans un environnement international beaucoup plus complexe que celui, bipolaire, de la première guerre froide, la Russie s’isole : tout organisme recevant des fonds d’un autre pays doit se déclarer comme « agent étranger », ce qui oblige toute ONG s’occupant des droits civiques à se soumettre au contrôle de l’état, sous peine d’incarcération de ses dirigeants, menacés anonymement. L’organisation des J.O. d’hiver à Sotchi, visant à replacer le pays sur la scène internationale, a coûté plus de 50 milliards de dollars dans un pays où 85% de la population survit en-deçà du seuil de pauvreté et où la priorité donnée au secteur étatique tue les PME. Mais « la corruption est le ciment qui fait tenir ensemble les élites sur lesquelles s’appuie le pouvoir », selon l’analyste politique Kirill Rogov.

5. Poutine, le nouvel empire (2018, 95’). Aucun chef d’état du monde occidental (« les tenants de la force brute », selon Poutine) n’a assisté à la commémoration à Moscou du 70ème anniversaire de la victoire de 1945 par la nation qui a payé le plus lourd tribut à la défaite du nazisme. Il s’était pourtant rendu l’année précédente à la célébration du débarquement en Normandie et il ne sera pas invité à la cérémonie en mémoire de la libération du camp d’Auschwitz. Des humiliations qui ne pouvaient qu’attiser le désir de Poutine et du peuple russe de se relever de l’effondrement de l’URSS, vécu comme une catastrophe par beaucoup de Russes, venus d’une puissance mondiale de 300 millions et se retrouvant dans un état de 140 millions d’habitants devenu « l’homme malade de l’Europe », appauvri et démembré par quelques hommes d’affaires qui se sont appropriés « pour une bouchée de pain les entreprises d’état et la manne des matières premières ». Ce qui a fait croire aux Occidentaux qu’ils étaient désormais les maîtres du monde et qu’ils pouvaient intervenir, sans l’aval de l’ONU, en Yougoslavie et en Irak, soutenir les révolutions en Géorgie, en Ukraine et au Kazakhstan, et accueillir sept membres du Pacte de Varsovie dans l’OTAN, au mépris des accords verbaux conclus entre Mikhail Gorbatchev et George Bush.

Poutine, l'enquête

Présentation - 2,5 / 5

Poutine, l’enquête (443 minutes) et son supplément (30 minutes) tiennent sur trois DVD-9-logés dans un digipack à trois volets.

Le menu fixe et muet permet de lancer la lecture de chacun des documentaires au format audio Dolby Digital 2.0 stéréo.

Bonus - 3,0 / 5

Entretien avec Jean-Michel Carré (30’, Éditions Montparnasse, 2022). Alors qu’il s’intéressait surtout à la société française, Jean-Michel Carré réalisa cinq documentaires sur Poutine, après que Pavel Longuine lui ait proposé le scénario d’un film de fiction sur la jeunesse russe des années 90, Lisa Alisa. Quand il arriva à Moscou, en août 1999, un inconnu venait d’être nommé premier ministre par Boris Eltsine, Vladimir Vladimirovitch Poutine, qui, peu après, attribua aux terroristes tchéchènes une série d’attentats qui fit près de 300 morts. Une enquête qui identifia comme suspects deux agents du FSB (Service fédéral de sécurité, l’ex-KGB) est vite abandonnée à la demande du Kremlin qui lance une guerre contre la Tchétchénie. En mars 2000, Poutine devient le nouveau président de la Russie. Il réunit les oligarques pour leur dire qu’ils peuvent continuer à s’enrichir, à condition de ne pas se mêler de politique, son domaine réservé, emprisonne les récalcitrants et musèle la presse indépendante. Un capitalisme oligarchique remplace l’idéologie du communiste dont le pire est conservé, la privation des libertés publiques. Le travail de Jean-Michel Carré a consisté à recueillir les vues de tous, sympathisants et opposants, à collecter une somme d’informations dans la recherche d’une vérité qui n’est jamais univoque. On peut comprendre que la Russie veuille maintenir l’Ukraine hors de l’OTAN pour « sécuriser son espace ». On aurait pu imaginer, après la fin du Pacte de Varsovie, une dissolution de l’OTAN à la tête duquel les USA ont mené plusieurs opérations guerrières qui ont fait entre 20 et 40 millions de morts. Pour Jean-Michel Carré, la position prise par l’Europe dans le conflit ukrainien nuit à ses intérêts en favorisant ceux des USA.

Poutine, l'enquête

Image - 5,0 / 5

L’image (1.78:1), propre, stable, déploie des couleurs naturelles, soigneusement étalonnées. Les inserts d’archives sont d’une qualité variable, dans l’ensemble très bonne.

Son - 4,0 / 5

Le son Dolby Digital 2.0 restitue clairement les commentaires. Toutefois, une priorisation insuffisante de leur traduction en français sur la langue originale peut rendre leur compréhension occasionnellement délicate.

Crédits images : © Droits réservés

Configuration de test
  • Vidéo projecteur SONY VPL-VW790ES
  • Sony UBP-X800M2
  • Denon AVR-4520
  • Kit enceintes/caisson Focal Profile 918, CC908, SR908 et Chorus V (configuration 7.1)
  • Diagonale image 275 cm
Note du disque
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Philippe Gautreau
Le 22 décembre 2022
Une série de cinq documentaires sur les faits et gestes de Vladimir Poutine pour mieux comprendre, en écoutant ses adversaires et ses soutiens, comment il est arrivé à la tête d’un pays au bord du chaos, comment il réussit à se maintenir au pouvoir, pourquoi il a été amené à lancer des « opérations spéciales » en Ukraine… À voir, sans attendre !

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