Réalisé par Kathryn Bigelow
Avec
Ralph Fiennes, Angela Bassett et Juliette Lewis
Édité par 20th Century Fox
L’année 2000 est arrivée sans incidents majeurs, ni de
prophéties millénaristes. Même le flop du Y2K bug a été vite
oublié. Mais il reste une chose à retenir de ce vrai-faux rite
de passage : la délicieuse dystopie de « Strange Days », une
croisade bladerunnerienne au coeur de l’esprit humain, dont
son seul tort fut de sortir trop en avance sur son temps.
En fait, oublions le Y2K. Ce qui faut retenir de « Strange
Days » est le « Squid », ces trips magnétoscopés dans la vie
d’une autre personne - le symbole d’une humanité volatile qui
emprunte les expériences de tiers, pour ne pas sortir de son
cocon. Ni William Gibson ou « Matrix » n’auraient pu imaginer
mieux.
« Strange Days » offre donc l’apocalypse sur terre, ou plutôt
dans le cerveau de ses sujets. Bien épaulée par un script de
son ex-mari James Cameron, Kathryn Bigelow signe le film noir
SF virtuellement parfait. Les acteurs (Ralph Fiennes en tête),
le crescendo du récit et le maniérisme de la mise en scène
sont si hallucinantes, qu’on oublie vite ses longueurs et ses
quelques incohérences. Ce n’est pas le Citizen Kane de
la science fiction, mais c’est tout comme.
Chaque DVDisation d’un film de Kathryn Bigelow est un
événement en soi. Malgré ses limites, le disque de « Strange
Days » fait amplement oublier le faux pas de la Fox avec
Point Break. Pas de traitement collector, mais une
qualité audiovisuelle hors-pair et quelques bonus de choix,
qui enterrent l’édition Z1 sortie à son temps aux US.
Un menu animé simple mais efficace, une discrète ergonomie
d’ensemble… et comme toujours, l’odieuse habitude de la
Major d’interdire tout changement de langue à la
volée.
Les bonus du disque sont à l’image des films de Kathryn
Bigelow : détaillés, originaux, et à l’avance sur leur temps.
Prenons par exemple le commentaire audio : il n’en est pas un.
Il s’agit en réalité d’une analyse-decryptage (sous-
titré) très technique, ou, si vous voulez, d’un cours de
cinéma que la réalisatrice doit avoir visiblement donné dans
une fac américaine - puisqu’on entend beaucoup de bruits
d’ambiance.
Pourquoi une leçon, et pas un commentaire ? La raisonnement
est que la crédibilité du film s’appuie en large partie sur
les « Squid », les trips VR du récit. L’hallucinant vrai-faux
plan séquence du début en est un. L’analyse de Kathryn Bigelow
concerne justement le making of de la séquence - et à juste
titre le speech de la réalisatrice démarre à la fin de la
séquence. Pendant les 55 minutes suivants, on apprendra tout
sur la technologie et les chorégraphies incroyables qui ont dû
être mises en oeuvre pour tourner le tout (2 ans de
préparation, 1 an pour fabriquer une caméra 35 mm miniature,
le tandem entre le caméraman-acteur et le mime qui « donnait
vie » à son bras droit, etc.). Un moment de pur bonheur, que
n’importe quel réalisateur ou artiste devrait écouter. Juste
un conseil : apprenez d’abord le plan-séquence par coeur..
Pourquoi en avance sur son temps ? Parce que dans sa leçon,
Kathryn Bigelow décortique visiblement la scène pièce par
pièce devant son audience. Elle s’exclame « vous pouvez voir
ici un raccord invisible », alors que dans la réalité du DVD,
nous sommes déjà à 40 minutes dans le coeur du film ! Plus
qu’un documentaire séparé, il aurait fallu que la technologie
puisse accéder simultanément à une piste audio et une vidéo
située à deux endroits différents - du genre, le commentaire
suit son cours, tandis que le spectateur peut se repasser en
avant et en arrière à son aise ces trois minutes du plan-
séquence. Hélas, le DVD ne le permet pas… Bon sang, tous ces
ingénieurs de Toshiba, Philips & C, ne pouvaient pas
solliciter l’aide de Jim Cameron pour établir les specs du DVD
Video ???
(Petit avertissement : le commentaire s’arrête à 54’30”
environ… pour reprendre à 55’30” pendant 2 minutes encore.
Il vaut mieux ne pas se demander le pourquoi du comment..)
On redescend sur terre avec deux séquences inédites
(sous-titrées, et introduites par un court texte). Si la
seconde - « Au Bonaventure » - n’apporte pas grand chose, la
première - « Augmenter le gain » (où Ralph Fiennes risque de se
griller les neurones pour décrypter une scène de meurtre, dans
la vaine tentative de découvrir le visage du meurtre) vaut
amplement le détour. Dommage qu’elle ait été supprimée du
montage final..
Suite et fin des bonus avec un teaser et une bande-annonce
très rares - mais hélas en VO uniquement. Et n’oublions pas la
courte introduction audio (VOST) du co-producteur du film, qui
précède la leçon de Kathryn Bigelow.
Malgré leurs limites évidents, les suppléments du disque sont
pourtant si essentiels, et atteignent presque la perfection.
C’est la preuve que la qualité est toujours plus importante
que la quantité.
En un mot, sublimes ! Il n’y a rien d’autre à ajouter.
Le Squid est une sensation aussi sonore que visuelle.
Augmentez le gain de votre installation juste avant le début
du film, pour profiter à plein d’une vraie ambiance
immersive.. La raison d’être de la certification THX du DVD
vient sans doute de là, de la nécessité de séparer et
crédibiliser les points de vue objectifs et subjectifs du
film, tout en gardant une dynamique sans faille.
Nous sommes convaincus qu’un film comme « Strange Days » devrait
être vu en VO. La version française - en 4.0 Surround uniquement - se
défend assez bien, mais elle est loin derrière la qualité de
l’audio anglais.