Réalisé par Krzysztof Kieślowski
Avec
Miroslaw Baka, Krystyna Janda et Henryk Baranowski
Édité par Éditions Montparnasse
Le Décalogue est né de la rencontre de deux hommes. L’un,
Krzysztof Piesiewicz, est avocat de formation. L’autre,
Krzysztof Kieslowski, est issu du documentaire. L’idée est
simple et complexe à la fois. Il s’agit de reprendre un à un
les 10 Commandements (fruit des Tables de la Loi) et de
broder autour de chacun d’eux une histoire originale qui,
loin d’illustrer le Commandement, ébranle le spectateur
jusque dans ces certitudes. 10 moyen-métrages au format
documentaire (à savoir un cinquantaine de minutes) pas un de
plus ni un de moins avec pour seuls et uniques guides
l’expérience de Piesiewicz (au scénario) et la soif
inextinguible de connaissance de Kieslowski (derrière la
caméra). Simple parce que la quête des deux hommes écarte
d’emblée l’ostentatoire surnaturel et se désintéresse de
toute manifestation outrageusement extraordinaires. Par
conséquent exit le mysticisme prétentieux et les effets
spéciaux compliqués. Complexe parce qu’il n’est de tâche plus
ardue que de filmer la vie… sujet ô combien ennuyeux qui se
traduit par de plates caricatures souvent pessimistes ou par
d’affligeantes célébrations d’une existence telle qu’on
rêverait qu’elle fût. Godard, lui-même, s’est heurté au
problème plus fréquemment qu’à son tour. Résultat : un
cinéma barbant qui n’a de découpage que le nom et d’acteur
que le titre ronflant. Au milieu d’un fatras de turpitudes
plus assommantes les unes que les autres, un perle de temps
en temps, histoire de berner la critique et de lui dicter une
ode pompeuse censée flatter une poignée d’usurpateurs qu’on
nomme élite.
Kieslowski et son Décalogue réussissent là où bon nombre
(pour ne pas dire tous) ont échoué. Humble, drôle, cruel,
émouvant, Kieslowski balade cet oeil indiscret d’histoires en
histoires toutes plus captivantes les unes que les autres.
Leurs sujets : l’Amour, la Famille, La Mort,
l’Argent… Des sujets qui nous touchent, qui nous parlent et
qui éveillent en nous un incessant questionnement. Première
force du Décalogue : être matière à débat. Soulever en
nous la réflexion. Ne pas se laisser guider par
l’affirmation. Bien au contraire, douter. Il le faut !!!
Après tout, les règles sont là pour être discutées et non
pour être aveuglément respectées. N’est-ce pas ce que nous
enseigne la Bible et l’attitude de Jésus face aux
Prêtres ? Malin, Kieslowski porte la débat sur le
terrain scientifique. Ses 2 premiers décalogues chargent
ainsi violemment la Science en lui opposant le hasard, le
destin et pourquoi pas la fatalité. Contre toute attente,
prédiction… contre tout calcul arrive ce qui n’aurait pas dû
arriver. Alors la Science doit s’effacer et l’Homme reprend
le dessus. Décalogues 3, 4, 6 et 7, c’est au tour de
l’affection d’être bousculée. Parce qu’on s’aime, on devrait
être à l’abris de tout ? Idée sotte que balaie d’un
revers de main le tandem Piesiewicz / Kieslowski. Décalogue 5
et 8 (sans aucun doute les décalogues les plus réussis), la
raison est égratignée. L’illogisme domine alors superbement
et rend absurde une quelconque explication. C’est ainsi et
pas autrement. Pourquoi ? Parce que !
En un sens, l’explication est une facilité, un piège qu’évite
habilement Kieslowski. Si l’on pouvait tout expliquer, le
monde ne serait pas ce qu’il est ; mystérieux,
dangereux, incertain. Kieslowski a choisi de le montrer dans
son absolue complexité et non de bêtement raconter. Il lui
faut maîtriser alors un nombre incalculable de paramètres qui
emmèneront le(s) récit(s) sur des chemins inattendus.
Scénariser l’irrationnel… il fallait oser. D’autant plus que
l’irrationnel condamne chaque personnage à la différence,
chaque histoire à la nouveauté, chaque réaction à l’unicité.
L’irrationnel occupe une place de choix au sein du Décalogue.
Il en est le moteur, la source d’inspiration. Et pour
entretenir ce feu sacré, chaque épisode bénéficie d’acteurs
tous différents (figurants exceptés). Des acteurs polonais de
grand talent qui ont su s’approprier leur personnage jusqu’à
les incarner physiquement (cf Le Père dans le Décalogue 4 ou
la Femme dans le Décalogue 2). Empruntés, hagards, vicieux,
pas un des personnages ne rappelle le précédent. Et derrière
le personnage, difficile d’imaginer l’acteur. Ici le réel se
confond avec la fiction, le cinéma devient vie. Pourtant le
décor est le même : Varsovie. Mais là encore, de
multiples perspectives toutes dissemblables d’un film à
l’autre eu égard au choix de chefs opérateurs et de cameramen
différents.
A travers cette dissemblance entre les décalogues, Kieslowski
parvient à enraciner profondément l’irrationnel au coeur de
l’oeuvre. Avec le décalogue 5, il parvient même à lui faire
atteindre son paroxysme. Economie du verbe, maestria des
images. Dans un atmosphère glauque et saturée, Kieslowski
dessine l’irrationnel et lui donne un nom : l’âme
humaine. Insondable, impénétrable, elle est capable de
l’Amour le plus pur comme de l’Horreur la plus écoeurante.
Comment ne pas être touché par l’un et l’autre visages ?
Comment ne pas les associer à ces deux catégories de pulsions
qui nous animent ? Eros et Tanatos. Eros : pulsion
d’Amour et de Vie. Tanatos : pulsions de Haine et de
Mort. Décalogue 5 : un jeune tue sans raison apparente
un chauffeur de taxi. Condamné à mort, il sera pendu. Avant
d’être pendu, il décrira ce lien intime qui a amené Eros à
engendrer Tanatos. On imagine sans peine quelle atmosphère a
pu régner dans la salle cannoise lors de la projection :
Pourquoi ne peut-on pas l’arrêter au moment même où il
continue de s’acharner sur ce brave homme ? Pourquoi un
tel acte, un tel sacrifice ? Pourquoi, sachant en détail
ce qu’il a fait, ne veut-on pas qu’il meurt ? Au
décalogue 5, Kieslowski gifle le spectateur en lui renvoyant
ce qu’il est. Un tueur amoureux, un malheureux
insatisfait… bref un être faible soumis à la passion et au
désir. » Ce que je cherche, ajoutera le cinéaste, ne se
trouve ni dans les actes, ni dans les événements, mais
quelque part au plus profond de l’Homme. C’est là qu’un jour
j’aimerais aller avec ma caméra « . Si, selon lui, il n’a pas
été exaucé, il est parmi tous les cinéastes celui qui s’en
est le plus approché.
Réfutant l’acquis (décalogue 9 et 10), les dogmes et les
doctrines, Kieslowski libère l’Homme de tout contrainte et de
tout système pour lui opposer ses seuls choix. Logique
puisque l’irrationnel est intimement lié au choix. Une
conduite qui lui aura valu le surnom de » franc-tireur « .
Troquons-le pour celui d’observateur ou mieux encore de
chercheur. Social malgré lui, iconoclaste par accident, le
cinéaste laisse en héritage l’oeuvre cinématographique la
plus aboutie qui soit sur l’Homme et la nature humaine. Un
testament brillant, poignant, honnête, sans préjugés ni
idéaux. C’est sans doute ce qui donne au Premier contact avec
le Décalogue cette sensation d’inoubliable.
Les éditions Montparnasse apportent toujours un soin
particulier (tant en termes techniques qu’artistiques) à la
confection de leurs DVD collectors. De fait, ces éditions
déjà au-dessus de la moyenne (puisque collectors) bénéficient
toutes sans exception d’un niveau de qualité bien supérieur à
celles que l’on trouve dans le commerce. Le Décalogue
n’échappe heureusement pas à la règle !!! Il
se situe même un cran au-dessus des collectors Editions
Montparnasse.
Image et son entièrement remasterisés haute définition,
l’édition ne se contente pas de verser dans une académique
restauration. Elle adjoint deux catégories de bonus :
Ceux concernant le Décalogue à proprement parler et ceux
concernant son réalisateur. Interviennent alors une série de
documentaires tous plus intéressants les uns que les
autres.
Avec force analyses, interviews, comparaisons et images
d’archives, l’éditeur, sous la direction éditoriale de Gérard
Pangon, parvient à positionner le Décalogue dans le parcours
du cinéaste et rapporter très clairement les conditions dans
laquelle l’oeuvre est née. C’est bien simple ! Après
avoir visionné tous les bonus de cette opulente édition, vous
saurez tout ce qu’il faut savoir à propos du Décalogue. De
quoi débattre des journées entières. A signaler enfin, le
très sobre et très luxueux coffret cartonné qui recèle en son
sein les 4 inestimables DVD.
Un disque presque entièrement consacré au bonus. C’est
l’incontestable point fort de l’édition DVD. Un véritable
point d’orgue très intelligemment orchestré et mis en image
sous la direction de Gérard Pangon. Passionné et passionnant,
l’homme nous invite à entrer dans les coulisses de l’oeuvre
fleuve. Comment ? Le plus simplement du monde! En
opérant une judicieuse dichotomie entre les suppléments.
D’abord, cerner la richesse du Décalogue au travers
d’analyses, de discussions, d’abécédaires. Ensuite, découvrir
l’univers du cinéaste au travers d’images d’archives, d’une
biographie, d’une filmographie et d’un court-métrage. Ainsi,
la complexité du Décalogue et de l’approche Kieslowskienne
s’efface devant la simplicité avec laquelle Gérard Pangon
nous invite à les aborder. Une perspective qui force le
respect et suscite l’intérêt.
Introduction au Décalogue de Gérard Pangon (2’17)
Concise pour laisser place à l’oeuvre, cette brève
introduction de Gérard Pangon nous incite à regarder avant
tout le Décalogue avec des yeux d’enfants. De ceux qui
découvrent le monde avec naïveté et sans aucune
arrière-pensée. Unique objectif : inviter le spectateur
à réagir simplement, épidermiquement face au situations
décrites. On est bien d’accord ; faire réagir le
spectateur est la fonction première du cinéma !
L’introduction de Gérard Pangon a le mérite de le souligner
avec subtilité.
Traversée du Décalogue en 6 thématique (41’52)
Voilà la pièce de résistance du DVD. Gérard Pangon y extrait
les scènes clés du Décalogue afin de mettre en lumière les
thèmes chers à Kieslowski. Derrière ces thèmes, en filigrane,
les secrets de fabrication de l’oeuvre. Vous aurez la
possibilité de les visionner un à un ou dans leur
intégralité comme suit :
1 L’Observateur muet : l’oeil de la conscience au moment
du choix
2 Le verre, les vitres et les écrans : comment briser le
regard pour accentuer le doute
3 Le liquide : la mobilité des jugements et des
sentiments
4 Les diagonales : comment frôler un autre destin
5 Les jeux d’optique : comment remettre en cause la
manière de voir
6 Du documentaire au fantastique : comment évoquer la
métaphysique sans en avoir l’air
On peut difficilement faire plus simple, plus complet et plus
intéressant.
Le Guichet : court-métrage de Krzysztof Kieslowski
(5’30)
Superbement remasterisé, » le Guichet » est l’un des premiers
courts-métrages réalisés par le cinéaste. Il est aussi celui
qui est le plus profondément ancré ancré dans l’univers de
Kieslowski. Le cinéaste y fait montre d’un cadre soigné, d’un
découpage déjà très élaboré et d’une parfaite maîtrise de la
lumière à travers un noir et blanc éloquent. Un savoir-faire
au service d’un sujet polémique et social : l’octroi des
retraites par le gouvernement. En quelques plans appuyés sur
ce guichet, symbole du régime communiste polonais, Kieslowski
hurle son mépris et dénonce un système absurde, cruel et
foncièrement déshumanisant. Ceux qui ont eu la chance de le
découvrir, en 1966, ont pu les premiers assister à la
naissance d’un documentariste engagé et d’un cinéaste de
talent.
De la morale de la Loi à la morale de la Forme
(16’32)
Vincent Amiel vient prêter main forte à Gérard Pangon. En
toute simplicité avec force exemples et anecdotes, les deux
hommes dessinent les grands traits du Décalogue. Certaines
vérités sont lâchées. Les deux hommes parlent de détournement
des 10 commandements mais également de distanciation
vis-à-vis du régime communiste. Ils concluent au rejet
épidermique du cinéaste pour toute forme de système et
exacerbent son militantisme pour une morale pragmatique.
Posément, sans admiration feinte ni obséquiosité, l’entretien
se terminera comme il a commencé. Par la volonté de voir et
de revoir l’objet de la discussion. Seule la vision du
Décalogue est importante pour les deux hommes. Le reste n’est
que littérature ! Encore un bonus méritant…
100 questions à Krzysztof Kieslowski (14’01)
C’est au tour de la » star » d’entrer en scène. Dénomination
volontairement provocatrice lorsqu’on sait l’aversion du
cinéaste pour ce genre d’exercice. Il s’agit de répondre, à
l’occasion d’une émission télévisée, aux questions de
critiques et de spectateurs venus interpeller Kieslowski sur
son oeuvre. Du Décalogue, on verse très vite dans l’univers
puis dans l’approche du réalisateur, décidément plus doué
derrière que devant la caméra. La plupart des propos tenus
par Kieslowski viennent attester de l’exactitude de ceux
tenus par Gérard Pangon à son égard ainsi qu’à l’égard de son
oeuvre. On retiendra de l’ensemble la formidable passion que
peut avoir Kieslowski pour le 7ème Art et l’incroyable
précision avec laquelle il décrit ce qu’il a ressenti, filmé
et voulu obtenir. Itinéraire d’un cinéaste déterminé…
Kieslowski cinéaste par Gérard Pangon (9’46)
Malgré l’exhaustivité des précédents documentaires,
Kieslowski et son oeuvre sont un sujet inépuisable. Gérard
Pangon poursuit de narrer de nouvelles anecdotes concernant
le cinéaste et ses films. A travers cet instructif
documentaire, on découvre un homme simple, avide d’intimité
avec le spectateur, foncièrement aimable avec ses acteurs
(chose rare pour être soulignée), porté sur la suggestion
plus que sur l’ordre. Un cinéaste qui avait su, malgré ses
nombreux prix, demeurer humble et que ses détracteurs, bien
en peine de l’atteindre, qualifiaient de » franc-tireur « .
Emane du documentaire cette sensation de pénétrer l’intimité
du cinéaste avec tout le respect et la pudeur qui s’imposent.
Laissons Gérard Pangon faire, il le fait si bien !
Le Décalogue de A à Z, abécédaire + filmographie de
Krzysztof Kieslowski
Ces deux parties, bien qu’intéressantes, manquent d’une
certaine interactivité. Des liens au film auraient pu être
créés, des extraits d’autres oeuvres auraient pu être
insérés. L’ensemble demeure un peu trop classique. Mis à part
cela, l’abécédaire est une mine d’information qui vous
amènera, sans aucun doute, à copnsidérer le décalogue sous un
autre angle. Ponts et liens en font une oeuvre méticuleuse,
pétrie de symboles. A consulter !
La remasterisation sérieuse montre ostensiblement le soin
apporté par l’éditeur dans ce domaine. Niveau Image, c’est un
quasi sans faute. Je dis bien quasi puisque demeurent de
temps à autre quelques points blancs et rayures sans doute
imputables au poids des ans. A noter que le décalogue 10 est
zébré d’une multitude de rayures de couleurs qu’une
remasterisation encore plus poussée aurait pris soin
d’éviter. Ces défauts, dont certaines oeuvres bien plus
anciennes sont exemptes (à noter que le Décalogue n’a que 16
ans), viennent assombrir quelque peu notre plaisir.
Toutefois, l’ensemble de très bonne qualité permet de
redécouvrir pleinement l’oeuvre phare de Kieslowski
Niveau contraste, l’éditeur a fait l’effort de les pousser de
temps à autres à leur paroxysme. Le travail sur le décalogue
5 est admirable est traduit entièrement la volonté du
cinéaste de placer les faits dans une atmosphère verdâtre et
jaunâtre, sentant le souffre et la saturation. Décalogue
parmi les décalogues, l’histoire de Jacek vibre d’une
atmosphère fantastique fidèle à l’approche à la fois
surréaliste et naturaliste du cinéaste. Chaque décalogue
(excepté le 10) affiche un transfert impeccable, repectueux
de la lumière et de l’atmosphère voulue… histoire de rendre
hommage à l’approche polymorphique d’un Kieslowski au sommet
de son Art… le 7ème !
Niveau son, le Décalogue est une réussite absolue ! Au
lieu de multiplier les pistes et barder ses indications
techniques de formats aux noms exotiques, l’éditeur a
judicieusement concentré ses efforts sur un seul et unique
format sonore ; le mono. Malgré un inévitable monopole
de l’enceinte centrale, le mixage ne manque ni de nuances ni
de dynamisme. Les voix sont claires et parfaitement
détachées, la musique présente tant dans les graves que dans
les aigus. Quant au bruitage, il saupoudre avec justesse un
inquiétant et singulier quotidien.
L’éditeur impose la VOST. Tant mieux ! Ce faisant, il
privilégie ainsi l’harmonie des voix polonaises. La
musicalité des voix féminines et le timbre inquiet des voix
masculines ajoutent à la profonde humanité qui se dégage du
mixage. Le doublage en studio, quel qu’en soit le niveau de
qualité, aurait desservi le point de vue réaliste du
Décalogue. Une fois encore, VOST sinon rien !!!
Excellente projection… bonnes discussions… bon
DVD !