Réalisé par Julien Duvivier
Avec
Fernandel, Gino Cervi et Vera Talchi
Édité par Studiocanal
1ère partie
1952. L’Europe d’après-guerre est une terre meurtrie sur
laquelle il a fallu reconstruire les bases de nations
tournées vers l’Avenir avec force confiance et naïve
insouciance. Après avoir enduré les souffrances d’une guerre
terrible, Hommes et Femmes n’aspirent plus qu’à une chose
désormais : la paix et le bonheur de l’Humanité. Oui
mais voilà, quel modèle adopter ? Faut-il transformer
l’Europe en une gigantesque communauté où la lutte des
classes mettra nantis et prolétaires sur un pied
d’égalité ? Ou bien faut-il céder à la satisfaction
individuelle et matérielle que prône le capitalisme
effréné ? Très tôt, l’Europe d’après guerre va devenir
le théâtre d’une autre guerre… une guerre idéologique qui
dessine deux blocs : celui de l’Est regroupé autour de
l’ex URSS, celui de l’Ouest mené par les
Etats-Unis… d’Amérique bien évidemment !
Mais cette guerre qualifiée de « froide » n’aura pas attendu
la fin de la Deuxième Guerre Mondiale pour à nouveau embraser
le Monde et les esprits. L’Allemagne subit un partage,
l’Italie une purge sans précédent tandis qu’à l’Est, les
républiques entrent en dictature les unes après les autres.
Champions du capitalisme et défenseurs des prolétaires
s’affrontent par pays interposés. Leur objectif : se
partager le Monde et imposer leurs idéaux à l’Humanité. La
France, comme les autres, connaît les affres de cette guerre
larvée. Les luttes intestines font rage. Les bénéfices du
Plan Marshall et du modèle américain sont très vite remis en
question. La classe ouvrière émerge, soutenue en 1950 par la
coalition CGT-FO. Les idées de partage et de société
égalitaire secouent désormais la France. La 4ème République
submergée par ce vent de révolte vacille !
Bref… c’est dans ce contexte lourd très succinctement résumé
que « Le Petit Monde de Don Camillo » paraît. L’année :
1952. Fernandel y tient le premier rôle, celui de Don
Camillo, curé de campagne chicanier et bagarreur mais au fond
très soucieux de l’Avenir de ses brebis égarées. Il partage
le haut de l’affiche avec un autre premier rôle, tenu par
l’acteur Gino Cervi, autrement dit Peppone, le maire du
village, communiste révolutionnaire mais au fond soucieux du
respect des Hommes et de la Tradition. Ces deux personnalités
que tout séparent ont un objectif commun : le bien-être
du village… .leur village. Et tant pis si ce bien-être doit
passer par une permanente confrontation entre idées
progressistes et réactionnaires. L’Est contre l’Ouest
microscopifié dans cette petite bourgade paysanne de la
plaine du Pô. Une bourgade comme 100 autres, 1000 autres dont
le nom ne sera jamais dévoilé. Une bourgade représentative du
monde d’après-guerre avec ses passions, ses haines, ses
rancoeurs et ses espoirs. Une bourgade enfin propice à tester
(et pourquoi pas à instiller) l’émergence d’une autre
voie… celle du juste milieu ; une 3ème voie qui mêle
habilement et diplomatiquement les revendications des deux
blocs opposants.
Oui… Don Camillo fait l’apologie du non-alignement !
Mais alors… pourquoi avoir marqué le film du sceau de son
héros réactionnaire en lui donnant le nom de « Petit Monde de
Don Camillo » ? Entre autres raisons, pour afficher une
morale de surface « politiquement correcte ». La tradition et
les valeurs familiales sont sauves puisque le héros est un
prêtre. Eglise et associations bien pensantes n’interdiront
ni le livre, ni le film puisqu’elles sont certaines que tous
deux iront dans le sens de l’ordre moral, politique et
réligieux établi. Mais à y regarder de plus près, le
manichéisme affiché tient plus du ressort comique que de
l’idéologie simpliste. Don Camillo et Peppone ne sont autres
que Gendarme et Guignol, deux personnages parodiés à
l’extrême, issus de la plus pure tradition comique
italienne ; La Comedia Dell’Arte. Tradition comique
inspira au théâtre français ses pièces les plus illustres,
les plus populaires mais aussi les plus polémistes sous la
plume d’un certain Jean-Baptiste Poclain dit « Molière ». En
effet, derrière la farce surgit une parabole amère, fruit
d’une pénible réalité économique et d’une réflexion politique
nouvelle. A peine « Le Petit Monde de Don Camillo » s’est-il
animé que les remarques cinglantes fusent. « Pauvre Madame
Isabelle (… ) tout le village s’est cotisé pour lui acheter
un réveil matin. Depuis, elle l’écoute chaque matin en
attendant que le gouvernement lui donne une pension ». La
voix off égratigne l’ordre social et accumule
imperceptiblement les formules pamphlétaires.
« La patience des crève-la-faim eut raison de l’égoïsme
des ventre pleins ». Autre dialogue bien senti et pour le
moins très contemporain. N’y a-t-il pas phrase plus
actuelle ? Et pourtant, le film est âgé de 52 ans,
preuve que l’Histoire se répète sans cesse et que le prix de
notre liberté dépend d’une lutte constante pour la
sauvegarder. La sauvegarder de quoi ? De la pensée
unique, celle qui affirme son bon droit et ne souffre aucune
objection, celle des intérêts économiques masqués derrière un
soi-disant recherche du bien être de tous. « Le Petit Monde
de Don Camillo » n’a certes ni la couleur ni l’engagement du
brûlot sartrien qu’est L’Auberge rouge. Il n’en est pas
moins une fable drôle et douloureuse avant-gardiste (ou
visionnaire, c’est au choix !) dont le plus grand des
mérites est d’avoir étiré jusqu’à l’absurdité les limites de
deux extrémités, la gauche et la droite, certaine que ce choc
des idées, des époques, des croyances et idéologies peut
engendrer une voix médiane dite « modérée ». Celle sur
laquelle le plus grand nombre aime à zigzaguer rêvant
partage, amour et paix. 3 belles utopies dont le monde a
besoin pour fonctionner.
1er volet de la saga, « Le Petit Monde de Don Camillo »
donnait ainsi le la. Partition rythmée aux improvisations
drolatiques, cet univers révèlera à la fois un potentiel
comique aujourd’hui encore rarement égalé ainsi qu’une audace
politique exemplaire… 2ème partie de la critique dans
Le Retour de Don Camillo.
Packaging véritablement collector, menus animées et par-dessus
tout, une avalanche de suppléments. De quoi être aux
anges !!! L’éditeur s’est transcendé pour réaliser une
édition d’envergure événementielle. Non pas 1 mais 2 DVD avec
des bonus foncièrement intéressants, voilà qui change des
éditions anémiques signées René Château Vidéo. Logique !
« Le Petit Monde de Don Camillo » et Le
Retour de Don Camillo étaient 2 titres DVD très attendus.
Ali Baba et les 40 voleurs l’était aussi, ça n’a pas empêché
l’éditeur de ficeler une édition simple sans aucun
suppléments… pas même une bande-annonce. Le travail sur ces
2 trésors du cinéma français est exceptionnel et mérite
d’être salué !
La galette insérée, c’est le rêve qui continue avec
introduction et images du film restaurées qui défilent une à
une sur la très belle musique d’Alessandro Cicognigni. Côté
transfert, c’est le paradis sur terre avec un noir et blanc
éclatant et contrasté. S’il ne restait quelques imperfections
bien naturelles, on eut pensé que le film fût tourné hier. La
restauration tant visuelle que sonore est proprement
hallucinante et indique un immense respect de l’éditeur pour
l’oeuvre ainsi que pour les acheteurs de DVD. Les puristes
auront beaucoup de mal à critiquer un tel transfert
manifestement l’un des plus réussis depuis
Les Tontons flingueurs. Un bel ouvrage artistique
empreint d’une touchante passion nostalgique.
Bien entendu, les dévédéphiles avides que nous sommes ne
seront jamais assez gavés de suppléments. Il manque une vraie
biographie, il manque une rétrospective et par-dessus tout il
manque un documentaire entier consacré à Gino Cervi, autre
grande star du « Petit Monde de Don Camillo ». Hormis un
premier documentaire sur l’univers de l’auteur, Giovannino
Guareschi, les bonus sont entièrement phagocytés par
l’immense personnalité de Fernandel. Au point qu’on en vient
à se demander si l’éditeur ne s’est pas concentré sur la
biographie de Fernandel pour dynamiser les ventes de DVD
auprès d’un public familial avant tout. Du même coup, la
genèse, la technique et le tournage sont réduits à l’état
d’anecdotes, certes croustillantes, mais un tantinet
bavardes. Cependant, le cinéphile arrivera à grappiller,
parmi cet amoncellement factuel, quantités d’analyses
pertinentes sur l’écriture et le tournage du « Petit Monde de
Don Camillo » ainsi que sur les raisons de son immense succès
populaire.
A la recherche de Don Camillo et du Petit Monde de
Govannino Guareschi (51’40)
Formidablement structuré, original et poétique, ce
documentaire est une merveille. A travers une mise en scènes
à la fois simple et recherchée, l’éditeur nous emmène en
ballade. Direction la Plaine du Pô afin de retrouver ce petit
village qui a servi d’inspiration à Guareschi et de base à la
production. Les témoignages s’enchaînent livrant à notre
connaissance des éléments capitaux. 3 curés ont inspirés Don
Camillo. Pourquoi et comment ? Tout nous est révélé.
Puis c’est au tour de Peppone, engendré par 2 modèles,
d’exister… enfin !!! Seule et unique occasion de parler
de l’excellente composition d’un Gino Cervi inspiré par un
personnage d’une grande richesse et d’une réjouissante
complexité. Sans lui, pas de Don Camillo puisque le principe
même du film repose sur l’affrontement qui annule les
extrêmes et trace une voie médiane. Guareschi l’a voulu ainsi
puisqu’il pousse ses deux protagonistes jusqu’à la mauvaise
foi et à l’absurdité. Caricaturiste de talent, Guareschi fait
ici à son tour l’objet d’un portrait avec cette nostalgie
poétique qui nous rappelle combien il est délicieux de
plonger dans son univers. A l’appui de ce portrait, des
images d’archives, des extraits du film, des témoignages de
proches de Guareschi sans oublier les témoignages des
figurants de l’époque. De quoi être comblé !
Fernandel raconté par Franck et Vincent Fernandel
(29’11)
Si le début du documentaire éveille en nous quelques craintes
(notamment celle d’assister à une nauséeuse séance de
potins), la suite les dissipe heureusement très rapidement.
Principale raison : fils et petit-fils sont
intarissables sur cette immense acteur qu’est Fernandel et
focalisent tous leurs efforts à nous décrire son rapport
particulier au métier de comédien. On découvre un Fernandel
stricte presque guindé au professionnalisme à toute épreuve
et parfaitement lucide sur les enjeux du cinéma et sa place
dans cette gigantesque industrie. Son aura et sa popularité
l’élèvent aujourd’hui au rend de mythe mais derrière ce joli
conte de fée fils et petit-fils dessinent un acharnement
constant de Fernandel à se perfectionner, à improviser, à
travailler cette force comique qui est la sienne avec une
seule et unique règle ; toujours rester honnête envers
le public. Sur une interview aux allures de discussion à
bâton rompu, ce documentaire transforme l’anecdote en
information. On regrettera néanmoins l’absence d’un vrai
travail de fond avec photos, extraits et archives en
sous-main.
Archives : « Sur le tournage de Don Camillo et les
Contestataires » (2’50)
C’est un peu court jeune homme !!! Dommage, c’eut pu
être intéressant mais en 3 minutes que dire et surtout que
faire passer ? Fernandel, attablé, répond aux questions
d’un envoyé spécial pour le journal de 20 heures. Il est en
plein tournage du 6ème Don Camillo, celui qu’il ne finira
jamais, et s’attache à justifier son choix d’avoir rempilé
pour un autre épisode de cette truculente saga. Au passage,
le journaliste souligne l’ambiguïté du discours du film. « Le
message est il en la faveur ou en la défaveur des
contestataires ». Fernandel élude en répondant à côté. Il
feint de n’avoir pas compris le sens de la question. Le
subterfuge révèle très clairement cette volonté de ne pas
s’engager sur le terrain de la controverse
politique… terrain de prédilection pourtant du « Petit Monde
de Don Camillo » qui polémique sans en avoir l’air. Court
mais intense !
Galerie de photos et Filmographie
Fixe, muette avec 3 pauvres noms, la filmographie s’avère
bien inutile. Pourquoi avoir mis cette section ? Sans
doute par réflexe ou par habitude. Il aurait fallu lier les
noms à des images ou des sons… histoire d’obtenir quelque
chose d’à peu près interactif. Bref… une filmo, c’est bien
quand ça sert ! Même punition pour la galerie photo qui
ne défile pas, n’est pas sonorisée et par-dessus tout ne
contient aucune photo de tournage. Hormis l’affiche, le reste
n’est qu’un pillage iconographique du film, ce qui n’a aucune
espèce d’utilité.
Bandes-annonces (2’12)
Bonus inestimable que d’avoir les bandes-annonces d’origine
et de surcroît plutôt bien restaurées. 4 bandes-annonces pour
les 4 autres films de Don Camillo.. De solides
bandes-annonces qui donnent envie de voir ou plutôt de revoir
la suite !!! Seul regret : elles sont uniquement
diffusées en VOST. Pourquoi n’avoir pas laissé le choix de
les consulter en italien ou en français ? Le doublage
italien de Fernandel lui fait perdre sa personnalité et une
grande partie de sa force comique !!!
Pas la peine de tergiverser, le transfert est tout simplement
éblouissant pour un film qui (on le rappelle) souffle ses 52
bougies. Comment imaginer même qu’une oeuvre ait aussi bien
traversé le temps. Il y a quelque chose d’irréel dans le fait
d’observer une image aussi nette, aussi peu tâchée et
bruitée. Certains d’entre vous regretteront le charme des
rayures et des traits sans parler de la neige dont leurs
vieilles cassettes vidéo du « Petit Monde de Don Camillo » et
du Retour de Don Camillo était bardées.
Mais faut-il pour autant associer trésors du cinéma et
mauvaise qualité d’image ?
Cela semble un brin extrême car la qualité de l’oeuvre est
inhérente à la perception du cadre, des objets et des
personnages qui s’y trouvent. Ici, on peut savourer
pleinement le jeu subtil des contrastes (cf les scènes le
long des rives du Pô), la richesse de la mise en scène (cf le
départ à la gare) ainsi que les mimiques et oeillades que
s’échangent les acteurs (cf la quasi-totalité du film). Don
Camillo utilise une composition qui met en scène deux
protagonistes voire plus à chaque plan. Don Camillo et
Peppone la plupart du temps, Don Camillo et Jésus, Peppone et
les membres du parti… D’où l’importance d’une qualité qui
puisse rendre hommage aux différents têtes à têtes et
collectifs.
L’image du « Petit Monde De Don Camillo » et du
Retour de Don Camillo joue sur la
lumière et les nuances. Palette allant du blanc aveuglant
(lumières divines) à la complète obscurité (scènes de
l’église immergée avec utilisation de l’ombre chinoise),
celle de Don Camillo passe par tous les états. Savoir-faire
indéniable de Julien Duvivier, exigence d’un film qui décrit
avec force couleur une palette d’émotions. Des émotions que
ce transfert a su parfaitement rendre et même magnifier.
L’éditeur donne ainsi aux films une seconde jeunesse et
permet au dévédéphile de les découvrir comme s’il s’agissait
de la première fois !
Des voix claires, une musique solennelle qui fait chanter
basses et aigus accompagnées de bruitages discrets mais
présents. Voici ce qui vous attend sur les éditions du »
Petit Monde de Don Camillo » et du Retour
de Don Camillo. Traitées avec le même soin et le même
respect (mono français ou italien avec sous-titres français,
anglais ou espagnols), les deux titres mettent
essentiellement l’accent sur les répliques et les musiques,
l’essence de toute comédie. Ce sont les répliques cinglantes
et la musique cabotine qui donnent son sel et son identité à
la série des Don Camillo. (cf. La scène du meeting interrompu
par les cloches de Don Camillo ou bien encore celle du
confessionnal avec ses dialogues mitraillettes).
Le DVD est très rarement pris en défaut et quand il l’est
c’est pour nous rappeler son âge. La remasterisation du son
est (à l’instar de l’image) extraordinaire. Inutile néanmoins
de vous bercer d’illusion, c’est du mono, donc ça se passe
exclusivement à l’avant et ce n’est pas avec ce type de
format sonore que vous testerez les performances de votre
installation. Cependant, un bon mono est toujours très
plaisant. Ici c’est du mono de premier choix. L’écouter est
un bonheur !
Vient enfin le débat VO / VF. Que choisir entre français et
italien ? Simple ! Soit vous avez envie d’entendre
les voix originale de la majeure partie du casting y compris
celle de Gino Cervi est vous choisissez l’italien, soit vous
ne résistez pas à la tentation d’entendre la voix chantante
de Fernandel et vous choisissez le français. Il y a fort à
parier que les nombreuses rediffusion télé vous orienteront
vers le français. Il est vrai que l’inimitable accent du plus
grand comique français a de quoi décider les plus VOphiles
d’entre vous à opter pour une version VFisée.
Excellente projection à toutes et tous… avec la
bénédiction de Don Camillo !