Réalisé par Alain Jaubert
Édité par Éditions Montparnasse
Il est difficile voire illusoire de poser des mots sur le film
d’Alain Jaubert. Après l’avoir vu, il me traverse comme un
sentiment de dégoût qu’une telle fraction de l’Humanité ait
commis ces immondes atrocités. Que cette fraction se soit
autoproclamée hommes, sur-hommes même et que cette fraction
encore ait eu l’audace de fouler cette Terre sur laquelle
nous marchons à notre tour. Puis par refus catégorique de
tomber dans l’abject cynisme dont cette fraction a fait
preuve, je ressens une profonde admiration, comme de l’Amour
mêlé d’Espoir, pour ceux qui ont survécu et ceux qui sont
tombés, assassinés par l’infamie.
L’emploi du « je » ne doit jamais être dans une critique
digne de ce nom. Et pourtant, comment parler de ce film sans
évoquer ses propres réactions à la vue de ces milliers de
visages, hommes et femmes arrachés à leur foyer, leur pays,
leur famille, souffrant le martyr pour le simple fait d’être
hors-la-loi de par leurs croyances, leurs idéaux, leurs origines
ou bien encore leur sexualité. Ces milliers d’hommes et de
femmes devenus des millions, humiliés, dépouillés, torturés
puis assassinés. Ces millions d’hommes et de femmes dont
l’écrasante majorité fût déportée parce qu’être juif devenait
subitement un crime.
Rien de bien poétique ni rien de romantique dans tout cela si
ce n’est le courage de ces millions de victimes face à la
détresse et à l’adversité. Etrange comme de l’horreur la plus
effroyable peut jaillir la plus sublime des beautés. De ces
camps jaillirent l’entraide. De ces camps jaillirent le rêve.
De ces camps jaillirent l’espoir. Et sur ces millions de
cadavres, une liberté plus forte, plus solide, plus
inébranlable a jailli lors de la libération. Le Monde
n’oubliera jamais ce à quoi conduit l’extrémisme, la haine et
le fanatisme. De cette époque crépusculaire, les Hommes ont
appris… enfin pourrait-on dire. Il a fallu que pareils
crimes se produisent.
Mais le prix de la liberté est bien l’éternelle vigilance. Le
Monde a besoin de documentaires, de témoignages, de
commémorations afin que nul n’échappe à cet impérieux devoir
de mémoire. Oui, nous le devons à ceux qui sont morts pour
asseoir les fondations de notre Liberté. A ceux qui ont payé
le prix de la haine et de la tyrannie. A ceux qui n’ont pas
eu la chance de vivre assez longtemps pour voir le
fondamentalisme et l’extrémisme partout repoussés, traqués, à
leur tour exterminés. Bien sûr, le Monde n’est pas à l’abri
d’immondes résurgences. C’est pour cela qu’il faut, tel un
feu sacré, préserver cette mémoire et l’offrir en héritage
aux générations à venir.
C’est dans cet esprit que le film d’Alain Jaubert s’inscrit.
Histoire de camp, histoire de femmes, histoire d’un
arbitraire que celles qui le subissent ne comprennent pas et
n’accepteront jamais. De leur narration polyphonique, elles
commentent ces images de la déportation, leur donnent sens au
travers de leurs expériences poignantes, différentes parfois
complémentaires, parfois opposées. L’une a trouvé une amie à
Auschwitz à son arrivée, une autre a tout perdu par la
méchanceté d’autres femmes prisonnières qui dénonçaient pour
s’en sortir. Une autre a su presque immédiatement, une autre
ne voulait pas y croire.
Toutes ont côtoyé la mort puisqu’on les y condamnait en les
menant à Auschwitz. Toutes y ont échappé. Toutes aujourd’hui
racontent avec beaucoup d’émotion ce qu’elles ont vécu dans
cette usine de mort du régime nazi. Pas une pourtant qui
n’ait d’insulte à proférer. Pas une qui n’invective ses
bourreaux. Beaucoup d’entre elles ont cette impression
diffuse d’avoir traversé des événements surnaturels et de ne
s’en être sorti que par miracle. Celle qui rêvait de revoir
les siens l’exprime de bien jolie façon. « Je pensais que
j’allais retrouver ma famille et qu’ils allaient me gâter. Je
suis d’abord passé par Auschwitz puis à force d’espérer, je
suis retournée dans ma famille et ils m’ont gâté ».
Avec ces témoignages, Alain Jaubert n’a aucun besoin de
multiplier les illustrations. C’est pour cela qu’il se
restreint dans le visionnage du nombre de photographies
issues de l’album de la mémoire. Idem en ce qui concerne le
style de la réalisation ; quelques zooms pour pénétrer
jusque dans le grain même de la photographie, quelques vues
d’ensemble puis de très légers travellings enchaînés seront
les seuls effets de ce documentaire. Nul besoin de
surajouter, les photographies accompagnées des témoignages
distillent assez de force et d’émotion pour tenir en haleine.
La seule et unique frustration est la durée du
film-documentaire. 42 minutes. 42 petites minutes bien trop
courtes face à l’immensité du sujet et à la fascination
qu’opèrent ces voix sur notre conscient et notre
subconscient. L’un des derniers commentaires de ce
film-documentaire porte sur la rêverie. « Est-ce nous qui
rêvons ces visages ou eux qui nous rêvent ? » Les
deux très certainement puisque ces visages rêvaient un avenir
meilleur et que nous rêvons un avenir qui n’ignore jamais
notre histoire. Grâce au film d’Alain Jaubert, l’avenir
rejoint l’histoire afin de nous souvenir et de ne jamais
oublier… Un album de la mémoire bouleversant !
« Auschwitz, l’album, la mémoire » bénéficie du sérieux des
Editions Montparnasse. En plus du film-documentaire d’Alain
Jaubert, l’éditeur a ajouté près d’1 heure d’extraits
d’images d’archives ainsi que deux entretiens : l’un sur
le camp, l’autre sur le film. L’émotion est là encore très
présente puisque tant les hommes que les images témoignent
avec une sensibilité palpable de leur rapport face à la
déportation et face à ce camp d’extermination.
Côté son et image, l’édition fait office de très bel ouvrage.
Le réalisateur ayant accordé une attention toute particulière
à la prise de vue et au grain de la photographie, il semblait
inconcevable que l’éditeur ne fît pas de même pour la qualité
de l’encodage. Encore une fois, sérieux et attention sont les
maîtres mots de cette édition qui restitue parfaitement bien
toute l’émotion autour du film-documentaire d’Alain Jaubert
ainsi qu’autour des films d’archives tournés par les
américains. Et ce avec toute la sobriété et la dignité que le
sujet exige.
Près de 2 heures de compléments à cette évocation émouvante
des déportés d’Auschwitz. Des images terribles, des voix qui
supplient à ce que jamais pareille horreur ne recommence et
au bout de ce parcours initiatique, l’espoir de changer les
choses petit à petit dans le conscient collectif pour que
chacun prenne la mesure de l’ampleur de la persécution
odieusement opérée par les nazis. Dates, images d’archives et
témoignages d’historiens concourent à établir toute la vérité
sur les camps d’extermination, balayant ainsi à coups de
faits et de documents les arguments fallacieux des thèses
négationnistes.
- Les Camps de concentration : extraits d’images
d’archives (56’38 VOST)
Voici le document le plus dur mais aussi le plus nécessaire
de ce DVD. Les films d’archives tournés par les américains
lors de la libération des différents camps de concentration.
Pour la plupart des images inédites qui sont à la limite du
supportable. Tortures, charniers, blessures, expériences
pseudo médicales et crémations ont ainsi très clairement
montré le vrai visage du régime nazi. L’écoeurement des
Alliés et l’impassibilité des prisonniers allemands devant
les atrocités commises est là aussi très édifiante. Certains
d’entre vous auront beaucoup de mal à regarder jusqu’au bout
ce documentaire tant ce qu’on y trouve est abject mais il met
un terme à tout semblant de polémique sur l’utilisation des
camps et la présence de chambres à gaz. Devant de telles
images, il n’y a aucun débat !
- Entretien avec Alain Jaubert par Sylvie Lindeperg
(23’46)
Tout au long de cet entretien, Alain Jaubert revient sur
l’idée du film et le cheminement de la production. A maintes
reprises, il citera Serge Klarsfeld comme principale source
d’inspiration. C’est lui qui, en France, a rappelé encore
très récemment ce devoir de mémoire aux plus hautes instances
de l’Etat. Lui qui a retrouvé les noms de nombreux déportés
assassinés dans les camps. Lui enfin à qui l’on doit en majeure
partie cet album souvenir. Album souvenir qui a fortement
impressionné Alain Jaubert et lui a donné envie de raconter
l’histoire de ces photographies. Historienne, Sylvie
Lindeperg accompagne Alain Jaubert dans son analyse et guide
de belle manière cette évocation de l’évocation. Beaucoup de
simplicité et d’humanité émanent de cet entretien.
- Auschwitz, faits et chiffres par Annette Wieviorka
(19’25)
Directeur de recherche au Centre de recherches politiques de
la Sorbonne, Annette Wieviorka est une spécialiste reconnue
de Seconde Guerre Mondiale et fait autorité sur la question
du génocide et de la Shoah. Elle est également apparue dans
un autre documentaire essentiel dans le combat contre le
négationnisme ; « Autopsie d’un Mensonge ; le
négationnisme » et s’appuie sur son immense connaissance
d’Auschwitz et de la déportation pour dépeindre dans les
moindres détails la genèse et l’horrible fonctionnement de ce
camp d’extermination. Annette Wieviorka livre un témoignage
circonstancié, éprouvant mais passionnant. Son témoignage sur
un autre album de la mémoire, voilà qui donnerait un
documentaire poignant.
Un soin tout particulier a été apporté à l’image.
Photographies et archives âgées de plus d’un demi siècle ont
été remarquablement filmées et restaurées sans pour autant
perdre ni leur âme ni leur intensité. A tel point que le
réalisateur n’hésite pas à s’immiscer jusque dans le grain au
moyen de zooms et de très gros plans. Techniques qui eussent
été impossible avec une image approximative.
A la précision des contours s’ajoute l’éclairage du noir et
blanc. Un éclairage simple, quasi naturel sans aucun artifice
ni effet appuyé. Sans doute par égard à la gravité du sujet.
Rien ne sert d’en faire trop. Les images parlent
d’elles-mêmes. La cruauté s’y lit. Le désespoir aussi.
L’album photo et les films d’archives peuvent ainsi être
égrené sans que les effets indésirables d’une mise en scène
inopportune ou le parasitage de défauts insupportables ne
viennent troubler l’évocation du souvenir.
Le son est le seul domaine à avoir été ostensiblement
retravaillé. D’abord parce que les différents témoignages
proviennent d’époques allant de l’après-guerre à nos jours.
Il a donc fallu dater ces témoignages tout en les rendant
aussi clairs que possible. Ensuite parce qu’il a fallu mettre
en musique l’effeuillage de l’album photo. Enfin, parce qu’il
a été indispensable de mixer les voix afin d’obtenir cette
polyphonie à la fois touchante, confusante et poétique.
Le seul est unique regret est que le résultat soit du mono.
Le 5.1 aurait davantage rendu hommage à ce retravail
essentiel à la vision du film. Des voix venant d’un peu
partout, pas forcément identifiables aurait davantage donner
vie et sens à l’évocation.
L’éditeur aura cependant eu à coeur de nous offrir un mono de
qualité sans aucune saturation ni aucun grésillement. Niveau
encodage, c’est là encore du très beau travail qui, avec
beaucoup de nuances, laisse filtrer l’intensité émotionnelle
de l’évocation.
Se souvenir et ne jamais oublier…