Réalisé par Edward Yang
Avec
Nianzhen Wu, Elaine Jin et Kelly Lee
Édité par H2F
Yi Yi est une oeuvre à la fois extraordinaire et ordinaire.
Dévoilée en avant-première mondiale au Festival de Cannes
2000, son esthétisme, son étonnante simplicité narrative et
sa mise en scène raffiné ont assuré la palme de la mise en
scène à son réalisateur (le très éclectique Edward Yang,
également auteur de « Mahjong »). Rien de très extraordinaire
pour ce cinéaste habitué aux nominations ainsi qu’à la
sélection Cannoise. Plus insolite est l’accueil que le film
recevra auprès du grand public. En quelques semaines, le
bouche-à-oreille permet à « Yi Yi » de franchir le barre des
300 000 entrées France. C’est une première pour le cinéma
asiatique, qui n’obtenait jusqu’alors que des succès d’estime
(comprenez une critique extasiée, des professionnels
admiratifs et un remarquable bide commercial).
Partout dans le monde, « Yi Yi » retient avec la même ferveur
et le même enthousiasme l’attention d’un large public, lassé
par le formatage et le film pop-corn, avide d’un autre genre
de divertissement : le cinéma indépendant. « Yi Yi » trace
ainsi la voie d’un cinéma asiatique fort, réfléchi, capable
de narrer sans lasser, de captiver sans abrutir, d’étonner
sans gesticulations superflues. Quelques mois plus tard
sortiront le désormais célébrissime Tigre & Dragon
(mêlant aventures et légendes ancestrales) et le cultissime
In the Mood for Love (ballade
poético-romantique) qui vaudront à leur réalisateurs
respectifs (Ang Lee et Wong Kar Waï) un immense succès
critique et publique (plus d’1 million de spectateurs). Ces 3
oeuvres ont, à elles seules, propulsé le cinéma asiatique sur
le devant de la scène internationale et permis que d’autres
oeuvres tout aussi ambitieuses (La Princesse du désert,
« Hero », « Sympathy for Mr Vengeance »… ) parviennent à un
grand public curieux mais prudent (asiatique = auteur =
inaccessible = ennuyeux).
Pour ce faire, « Yi Yi » a dû s’adapter aux exigences d’une
production internationale. Un titre simple, un thème fort et
universel ainsi qu’un montage dynamique, épuré de toute
séquence trop contemplative. « Yi Yi » s’affirme dès les
premières séquences comme une oeuvre moderne qui s’attache à
décrire, à travers le destin d’une famille, le Taïwan
contemporain. Exit les monologues pompeux et autres laïus
interminables (qui faisaient jusqu’alors l’apanage des
productions asiatiques), place aux problèmes concrets du
quotidien. Un Taïwan dans lequel beaucoup d’hommes et de
femmes relèguent au second plan les traditions et les valeurs
au profit d’une quête identitaire. Un Taïwan au coeur duquel
certains cherchent l’Amour, d’autres cherchent la gloire,
d’autres encore le bonheur. Un Taïwan en crise !
Crise d’identité comme beaucoup d’autres pays d’Asie qui ne
savent plus que choisir. Reproduire inlassablement « le
protocole de vie » qu’ont fixé leurs anciens au risque de ne
jamais affirmer leur existence en tant qu’individu ou bien
s’ouvrir à une occidentalisation des esprits qui les
individualiseraient au risque de perdre leur culture et leurs
traditions.
Crise économique qui a été l’un des principaux déclencheurs
de cette crise d’identité. Hier, fers de lance du
libéralisme, Taïwan et le Japon en sont aujourd’hui les
victimes puisque les deux îles subissent de plein fouet la
concurrence de la Chine, du Vietnam, de la Thaïlande… et
remettent en question leurs acquis démocratiques et
sociaux.
Crise de moralité qui s’accompagne d’une crise spirituelle et
religieuse. D’abord séduits par la souplesse et le confort
qu’offre l’absence de règles de conduites (dans les rapports
professionnels, sociaux, amicaux… ), Chinois et Taïwanais
ressentent aujourd’hui le besoin de retourner à des relations
franches et morales. Il n’est plus question de « sauver la
face » mais de ne pas perdre son âme.
Habilement, avec le raffinement et l’élégance qu’on lui
(re)connaît, Edward Yang tisse les fils de sa narration
autour de cette famille et aborde tour à tour ces crises au
travers de la confrontation entre ses différents personnages.
La Grand-Mère et la Mère, tournées vers le protocole et la
religion, portent les stigmates d’un passé moribond qui ne
sait plus comment enseigner à sa jeunesse (Ting Ting et Yang
Yang) le respect des rites et des anciens. (Cf le mariage ou
bien encore la scène dans laquelle Min Min, au chevet de sa
mère plongée dans un profond coma, essaie de faire parler son
enfant). Le frère, A-Di, incarne ce rêve de puissance et de
Gloire. Un rêve évanescent qui se nourrit de fantasmes et de
mensonges. Enfin, NJ, véritable Lantier (cf Germinal),
recherche la vérité, l’honnêteté et l’amour. Confrontés à des
choix difficiles, chacun d’entre eux construisent les bases
du Taïwan, de l’Asie, du Monde de demain.
A travers cette fresque captivante, Edward Yang laisse plus
qu’un film. Il livre les secrets du cycle de la vie en
reproduisant à l’identique son mécanisme élémentaire : le
quotidien. Au moyen d’une mise en scène soignée et d’un
montage concis (composé de « cuts » et duquel toute musique
est absente), il parvient à construire / déconstruire avec
une incroyable intensité et une étonnante subtilité ces
moments clés de la vie de face auxquels nous savons
journellement être confrontés. Ces noeuds majeurs de
l’existence qui décident de notre sort immédiat et parfois
mêem de notre avenir.
A l’instar de , du Guépard ou
plus près de nous de « Juste un Baiser », « Yi Yi » séduit
par la passion qui anime plans et dialogues et sait évoquer
en nous une multitude de sentiments poignants… n’est-ce pas
l’essence du cinéma ?… bouleversant !!!
La sortie d’une oeuvre de cette envergure est un exercice
toujours difficile. Quoiqu’on puisse mettre, un cinéphile
tatillon sorti de je ne sais où viendra continuellement vous
reprocher de ne pas avoir ajouter ceci, de ne pas avoir
présenté comme cela. Bref, l’éditeur, quelle que fût son
respect pour l’oeuvre et sa volonté de promouvoir le film en
DVD devra s’exposer à essuyer de sévères critiques… H2F opte
pour l’exposition volontairement décomplexée en parachutant
un label (en caractère d’or s’il vou plaît) courageusement
titré édition spéciale. Il fallait oser !
Certes, ça partait plutôt bien côté présentation avec un
boîtier rouge et or positionné luxe et une pluie de fleurs
énumérant les caractéristiques techniques et les bonus. A
l’insertion de la galette, même l’avertissement contre les
méfaits du piratage et de la contrefaçon s’anime pour se
parer des couleurs du film. Les menus sont tous animés,
sonorisés et somptueusement décorés. Bref un coin de paradis
dans lequel le dévédénaute prendra infiniment de plaisir à se
plonger. L’image de Yi Yi restitue également toute la beauté
du film. Quant à la bande-son, elle a été tout spécialement
remasterisée pour l’occasion. Que demander de plus ? ? ? Des
bonus peut-être ? Hé bien je vous déconseille fortement de
vous diriger vers cette section « sinistrée ». Rien… enfin
presque rien. Pas l’ombre d’un commencement du début d’un
supplément. La claque ? Attendez on parle bien d’un édition
spéciale là ? Ben oui !!!
Finaude la stratégie ! Quitte à prêter le flanc au critique,
allons-y franco !!! L’éditeur s’est transformé en Pappy
Boyington, considérant que le soin apporté à l’édition du
film suffirait à lui garantir ce label d’édition spéciale (ni
simple, ni collector) tant convoité par le marketing pour
valoriser le contenu. Du coup ! on évite de justesse le crash
en flammes ! ! ! Si on ne peut pas leur en vouloir d’essayer
et de tout faire pour que « Yi Yi » soit acheté et vu par le
plus grand nombre de dévédéphiles, le procédé reste fort
contestable. Galvauder ce type d’appellation risque non
seulement de frustrer mais aussi de lasser !!!
C’est la partie qui fâche !!! Et si cela avait été fait
consciemment pour conserver au film sa magie et son
mystère ??? Plutôt léger comme explication !!! Ben oui mais
que voulez-vous ? Devant une telle frustration, moi j’essaie
de trouver quelques justifications (à ce désert de
suppléments) qui tiennent la route.
Ce n’était pourtant pas bien sorcier de glisser une
bande-annonce, un mini-reportage sur la présentation du film
à Cannes, une interview avec le réalisateur, ses
acteurs… pour ficeler une édition spéciale digne de ce nom !
Je retourne encore une fois le boîtier et que vois-je ? Une
pluie de caractéristiques et de bonus trônant au beau milieu
d’un pavé saumon titré « Pour cette édition spéciale ». Hé
bien nous allons en faire le tour… ça va être rapide !!!
Commentaire audio d’Edward Yang (VOST)
C’est de loin (faute de mieux) le bonus le plus intéressant.
Sous forme d’interview type question-réponse, le réalisateur
décortique la structure narrative de « Yi Yi ». C’est un film
apparemment simple qui parle de la vie et par conséquent, le
raccourci le plus simple serait de se dire qu’il n’y a qu’à
planter sa caméra et capter ce qui peut se passer dans la
rue, dans un appartement, dans un magasin… C’est ici que
vous vous rendrez compte (si vous ne le saviez pas déjà) que
retranscrire la réalité est ce qu’il y a de plus complexe. Le
cinéma amène souvent à la caricature pour simplifier le réel.
Ici, compte tenu du sujet et des thèmes abordés, pas de
caricature possible mais au contraire, une minutie
impressionnante en matière de réalisation qui soutient un
schéma narratif excessivement brillant et se sort adroitement
de situations compliquées. On regrettera qu’Edward Yang
privilégie dans son discours la théorie plutôt que la
pratique. Peu d’anecdotes et d’exemples concrets, beaucoup
trop d’envolées lyriques au menu de ce commentaire audio.
Toutefois, cette déclaration d’amour du cinéaste pour son
oeuvre est aisément compréhensible au vu de l’attachement
qu’il lui a porté (15 ans durant) et du résultat éblouissant
obtenu. Instructif !
Galerie de Photos
L’option diaporama vous permettra de visionner la trentaine
de photos présentes en plein écran, haute définition
accompagnées de l’enivrante musique composée par Kaili Peng.
Elles égrèneront les moments forts du film sans toutefois ne
rien révéler des secrets du tournage (hormis le réalisateur
présent sur la malheureuse photo de tournage égarée parmi
cette trentaine de photos de production). Séquence souvenir !
Entretien avec le réalisateur
C’est fixe, c’est laid et ça n’a pas grand intérêt. Vous en
retirerez 2 à 3 informations distillées par ci par là dans un
fatras de phrases aux tournures alambiquées. Un mauvais
résumé du commentaire audio ! Si mes souvenirs sont exacts,
c’est ainsi que les tous premiers DVD présentaient leurs
bonus sur le tournage des films. Séquence nostalgie !
A propos d’Edward Yang
Fixe, laid mais un peu plus intéressant que ce qui nous a été
présenté précédemment. Toutefois, ça n’est pas avec 3 slides
qu’on arrive à résumer la vie et la carrière d’un tel
personnage. A l’instar de l’édition spéciale du DVD de YiYi,
Edward Yang aurait mérité qu’on s’attarde un peu plus sur sa
vie son oeuvre. Ne nous décourageons pas, ce sera peut-être
pour l’édition Ultimate de Yi Yi. Séquence avance rapide !
L’arbre de la famille de Jian
Le chef d’oeuvre !!! Non seulement ça n’a aucune utilité (ni
avant ni après le film) mais en plus c’est digne de la
farce ; Des liens dans tous les sens, une dizaine de noms,
des photos pour les membres, rien pour les autres et aucune
interactivité. Ca c’est de l’arbre !!! On aurait peut-être pu
les voir agir dans le film. On aurait peut-être pu y caser
une interview de chacun. On aurait peut-être pu ajouter un
organigramme de l’entreprise dans laquelle NJ travaille. On
aurait pu mais voilà. Il fallait vouloir ! Séquence ratage
complet !!!
On comprend pourquoi les géniaux concepteurs de cette édition
si spéciale ont eu l’humilité de ne pas se créditer… en tous
les cas, il faudrait être mesquin pour leur reprocher de ne
pas avoir fait dans l’originalité !
L’éditeur continue de nous éblouir par son traitement
minutieux et respectueux de l’image. Après Mon idole
et Sweet Sixteen, « Yi Yi » confirme la capacité (et
le talent) de H2F à restituer l’atmosphère, le ton et les
nuances propres à chacune des oeuvres. Flashy pour
Mon idole, clair obscur pour Sweet Sixteen,
ce sera satiné pour « Yi Yi ». C’eut pu être fort louable
mais demeurer anecdotique en d’autres circonstances.
Néanmoins, ici, cela s’impose !
La preuve en images avec la très belle et édifiante séquence
du mariage. Principalement dominée par le rouge et or, elle
aurait pu agresser l’oeil en ne tolérant aucune couleur
froide (le blanc, le vert… ). L’image aurait alors développé
une tonalité dite « hard », c’est-à-dire des transitions
marquées visuellement agressives. En optant pour une tonalité
dite « soft » de l’image, au travers de nuances adoucies,
l’éditeur invite le spectateur à s’attarder sur tout ce qui
environne l’action et à s’immerger dans l’ambiance de « Yi Yi ».
Le choix de H2F est heureux puisqu’il rend ainsi
parfaitement hommage au travail exceptionnellement soigné de
la mise en scène et donne tout son sens au film.
Les couleurs, délicatement contrastées, vous offrirons
quelques moments de poésie pour ne pas dire d’évasion. Finis
les traitements trop clairs ou trop sombres de l’image qui
caractérisaient les éditions DVD de films indépendants. H2F
insiste sur la compression et le rendu des dégradés de
lumière pour offrir une profondeur de champ exemplaire, là
aussi prompte à parfaitement restituer le travail de la mise
en scène (cf le baiser donné par Ting Ting, de loin, sous le
pont). Seuls 2 à 3 endroits (principalement les séquences à
l’intérieur de la salle de classe) souffrent de tâches et de
coulures quasi imperceptibles. Rassurez-vous ! Elles ne
gâcheront en aucune manière le plaisir que vous prendrez à
savourer le film.
Et tant pis si le menu sonore a été conçu un peu n’importe
comment ! Je mets 4,5 et je m’y tiens car c’est un vrai
bonheur que d’écouter ce son remasterisé en 5.1. Evidemment,
côtés basses, ce ne sera certainement pas le DVD de
référence. Rien à voir avec un Matrix ou un
Seigneur des Anneaux,
on est d’accord ! Mais ça ne veut pas dire qu’il faille
passer sous silence ses très grandes qualités sonores. Au vu
de l’excellent rendu, cette bande-son fera même grand
bruit.
Oubliez la musique, place aux dialogues et à l’ambiance.
Voitures, chaises, tables, bruits de pas, téléphones
portables… tout se détache et s’entremêle pour capter votre
attention et ne plus vous lâcher au point que vous ne saurez
distinguer entre la sonorité de la rue, de vos appareils
ménagers, de votre téléphone et celle enveloppante du film.
Les personnages sont dans votre pièce, vivent et respirent
tout autour de vous… un vrai bonheur !!!
Que dire de la piste française. A éviter impérativement sous
peine de complètement passer à côté du film. Non seulement la
faiblesse du mixage ne restitue que pauvrement cette
atmosphère enveloppante mais les voix, souvent
désynchroniséses, choqueront particulièrement votre oreille.
C’est mal doublé, mal adaptées et mal mixé. Optez plutôt pour
cette piste VOST 5.1 et vous entendrez ce que vous
verrez…
Un fabuleux moment de cinéma à toutes et tous !